VLB aurait dû avoir droit à des funérailles nationales, point final. D’ailleurs, il n’y serait probablement pas allé. Il en aurait profité pour remettre en question la nationalité de ces funérailles par-devers cette nation pas nation encore et toujours colonisée. Il aurait claqué la porte du cercueil et serait parti en invitant son public à fuir cette mascarade. Roulant à tombeau ouvert au volant de la fameuse Plymouth Fury décapotable jaune vif, il aurait mené la foule sur les rangs reculés de la campagne peuplée de cabanes délabrées, dans les rues sales des quartiers indigents d’appartements insalubres, débarquant de temps à autre pour errer parmi les lits amassés dans les couloirs décrépits des hôpitaux sous-financés. Il nous aurait montré les réalités du pays vécu et incarné par tous ses millions de mots-reflets de tout ce que nous sommes. Il nous aurait embarqués dans une virée en bordure de la mer océane, avec dans le siège passager tour à tour Joyce et Melville, Nietzsche et Voltaire, Kerouac et Hugo, et les autres innombrables monstres sacrés de son bestiaire autobiographique, l’air salin plein les narines. Abel Beauchemin, Satan Belhumeur, Malcomm Hudd et Bouscotte (le chapeau d’aviateur était trop grand pour lui, mais il le portait fièrement le jour où la navette spatiale s’est envolée de Cap Kennedy. On l’avait invité à assister au décollage fulgurant qui a tracé une grande colonne de vapeur dans le bleu du ciel) se succédant au volant pour aller faire crisser les pneus et éteindre le moteur à la porte de la petite grange-étable de l’Antiterre, peuplée de ses chers animaux qui guérissent (les odeurs fauves des bêtes, la chaleur brute de leur attroupement, la simplicité de leur cri, la sincérité de leur sentiment), où Will Shakespeare attendait patiemment ses cajoleries habituelles. Enfin, il serait rentré à la Meson. Il aurait mis du feu dans la truie. Il se serait assis au bout de la grande table de pommier. Il aurait tassé les grandes feuilles de notaire manuscrites et empilé tous ses titres, comme en deux mille quinze. Il aurait allumé sa pipe et saisi le feutre bleu, pour dédicacer à chaque personne l’une ou l’autre de sa centaine d’œuvres publiées qui dispersent les cendres de la nation et de ses curés désuets. Voilà la véritable funéraille nationale qu’il nous a offert en héritage et que nous pouvons lire et relire pour les siècles des siècles. Merci Lévy d’avoir toujours été entier, épormyable, sans compromis, à travers cette vie immense et rocambolesque.
En Photo: Dédicaces, 21 avril 2015 – Photo: N. Falcimaigne