Vous l’aurez peut-être entendu: une brasserie a fait faillite au Bas-Saint-Laurent. Une parmi tant d’autres. La mienne. Transparence totale: je n’y ai plus aucun rôle ni intérêt. La faillite est signée. Ma proposition personnelle aux créanciers est acceptée. Je vais bien, merci de demander. La page est tournée. Retour à l’écriture et à l’enseignement. Je peux en parler à tête reposée, à l’occasion de cette brève analyse qui trace un lien du personnel à l’universel.
Tout au long de cette saga, j’ai voulu saisir l’occasion de marteler un message dans les médias, celui de l’achat local. Cliché? Non, moins que jamais. En 2025, ce n’est plus un vœu pieu. C’est une question de vie ou de mort pour ce que nous aimons dans notre quotidien, dans notre centre-ville, dans notre village. Acheter, c’est voter. Le titre de Laure Waridel est passé dans le langage courant, signe d’une prise de conscience. Mais il faut enclencher la vitesse supérieure. L’enjeu est maintenant devenu critique.
La pandémie a gonflé les voiles des multinationales tout en cassant les jambes des entreprises locales. Les années suivantes ont été un cauchemar pour les petites entreprises. Inflation, hausse des taux d’intérêts, perte de pouvoir d’achat de la population, rupture des chaînes d’approvisionnement, pénurie de main d’œuvre. Pour les multinationales, qui ne sont pas au service de l’humain, toutes ces catastrophes sont plutôt de bonnes nouvelles.
Ce contexte ouvre la voie à l’automatisation à grande vitesse, largement financée par des programmes gouvernementaux hors de portée des petites entreprises, avec à la clé des économies d’échelle importantes qui permettent de casser les prix pour faire tomber les indépendants, les artisans, les entreprises familiales. Bientôt, ce phénomène sera amplifié par le développement de l’intelligence artificielle.
Le plus ancien algorithme, bien avant l’IA, c’est la «main invisible du marché». Depuis plus d’un siècle, le fonctionnement des places boursières s’impose comme un véritable logiciel qui gère de façon presque autonome notre économie. Parfois, une intervention humaine, comme une hausse du taux directeur, tente d’infléchir la tendance d’un système qui par sa complexité et son automatisation échappe de plus en plus à l’humain.
Face à l’inhumain des multinationales et de l’économie de marché mondialisée, l’artisan est bien souvent seul. Seul devant la responsabilité d’offrir un produit local, de le promouvoir et de le rendre accessible, alors que la population le perçoit plutôt comme un riche, comme quelqu’un qui exploite des employés ou qui fait un coup d’argent.
Oubliez ça! Votre artisan local, c’est un prolétaire comme vous et moi. C’est un prolétaire qui n’a pas de patron. Aucun intermédiaire entre lui ou elle et les autorités bancaires, financières et gouvernementales. C’est un prolétaire au front qui se bat chaque jour pour que vous puissiez aller acheter du bon pain au coin de la rue, prendre une bière de qualité à la micro, un bon repas au resto, acheter un vrai fromage fait localement, une charcuterie saine, être conseillé avec passion sur un disque ou un livre, offrir un bouquet composé avec art, et lire un journal de qualité depuis trente ans.
Votre artisan local, il est au service de l’humain. C’est quelqu’un qui a accepté de mettre sa passion sur la table, d’y ajouter les tâches ingrates de la gestion, et de prendre des risques financiers qui peuvent à tout moment le mettre à la rue. C’est quelqu’un qui maintient à bout de bras plusieurs emplois signifiants qui font vivre des familles dans votre communauté, plutôt que des robots d’entrepôt à l’autre bout du monde.
Sur ce front, c’est vous qui fournissez les munitions. Chaque choix, chaque achat, chaque décision, peut sauver notre camp, celui des humains, …ou bien nourrir la bête multinationale. Un resto ou une boîte HelloFresh? Netflix ou un spectacle au bistro du coin? Une commande Amazon ou magasiner dans les environs? Un voyage dans le sud ou un spa en Gaspésie? Annoncer dans Le Mouton Noir ou sur Facebook?
C’est plus cher, dites-vous? Eh bien, consommez moins! Ou plutôt, consommez mieux. Échangez un sourire, obtenez un conseil, tissez votre tissu social. Oui, le choix de l’humain est souvent plus cher, moins facile. Mais le jour où il n’y aura plus rien, tout sera plus cher. Chérissons l’humain.
Nicolas Falcimaigne-Wuattier, écrivain-brasseur
Fondateur et dernier propriétaire de la microbrasserie Le Caveau des Trois-Pistoles
En photo: Une partie de l’équipe du Caveau – Photo: NFW