Le 30 octobre 1995, la souveraineté du Québec s’est vue refusée par 50,6 % de sa propre population. Peu après, un sondage révélait que 65 à 70 % des québécois désiraient que leur gouvernement provincial perçoive tous leurs impôts et taxes, vote toutes leurs lois et puisse prendre unilatéralement toutes les décisions politiques les concernant, ce qui correspond à la définition de «souveraineté d’un pays». Histoire d’un nationalisme craintif…
Il faut remonter au Moyen-âge pour comprendre ce problème à la fois si simple et très compliqué. De tous temps, les Anglais et les Français se sont fait la guerre. Évidemment, ils se sont disputés des colonies, dont le Canada. Les Français furent, après les nations amérindiennes, les premiers habitants de ces «quelques arpents de neige». C’est d’eux dont descendent la plupart des Québécois. L’Anglais arriva ensuite, lors de la guerre de Sept ans, prenant en quelques batailles (Québec en 1759 et Montréal en 1760) possession du territoire vaste et mal défendu de la Nouvelle France. Ce fut leur quatorzième colonie, dont la partie habitée par les Français prit le nom de «Province of Quebec». Ensuite, bien que les choses aient évolué de diverses façons et que le Canada soit devenu, en 1867, une fédération, nous pouvons dire que pendant deux cent trente-deux ans, les Canadiens-Français luttèrent contre l’acculturation et surent garder leur intégrité culturelle et linguistique. Ce ne fut malheureusement pas sans heurts: la «Révolution des Patriotes», en 1837-38, fut particulièrement sanglante car la répression anglaise était à la mesure de la hargne patriotique des Canadiens-Français.
Bien que le combat soit aujourd’hui moins violent, plus culturel et économique, il n’en reste pas moins réel. Aujourd’hui, presque sept millions de Québécois francophones font face à plus de vingt millions d’anglophones Canadiens, lesquels ont des idées radicalement différentes des leurs et le soutien du gouvernement fédéral, ce qui crée évidemment un continuel désaccord et une énorme perte de temps en vaines et infructueuses discussions. Deux accords constitutionnels ont récemment été tentés: l’accord du Lac Meech, en 1990, et celui de Charlottetown, en 1992. Ils se sont tous deux soldés par un échec. Il est donc logique que, les compromis faisant jusqu’alors défaut, le Québec ait pour volonté de devenir un pays souverain, d’accéder à la maîtrise de ses décisions, de son budget, et arrêter de perdre du temps en négociations stériles. C’est pour cela que, par deux fois, les Québécois se sont rendus aux urnes. À deux reprises, ils ont eu peur. Le 20 mai 1980, le «NON» l’a emporté par 59,5% et, en octobre dernier, les partisans du «OUI» ont encore été déçus… par 53 498 voix!
Pourquoi? L’amère question se retrouve sur les lèvres de la moitié des électeurs québécois.
Lors de cette campagne, il semble y avoir eu moins d’enthousiasme de la part des indépendantistes qu’en 1980. En effet, leur chef, Jacques Parizeau (Premier ministre du Québec jusqu’au début 1996), ne vaut pas celui de l’époque: René Lévesque. Il est jugé moins sympathique et moins populaire par la majorité des Québécois, qui disent avoir élu le parti, mais pas l’homme. M. Parizeau n’a donc pas par lui-même propulsé le camp du «OUI» en tête des sondages. Et encore, la défaite aurait été radicale s’il avait été seul. Ce qui a sauvé l’honneur à la fois de la francophonie, du Québec, du projet souverainiste et de ses partisans, c’est la nomination de Lucien Bouchard, chef de l’opposition au gouvernement fédéral (Bloc Québécois), comme négociateur en chef d’un futur «Partenariat» avec le Canada, ce qui l’a introduit de façon officielle dans la campagne référendaire. Le résultat de cette nomination fut ce qui prit rapidement le nom d’«Effet Bouchard». Effectivement, cet homme populaire et rassembleur effectua un parcours sans faute qui valut le sauvetage de la cause référendaire.
Même si la déception des souverainistes est aussi aiguë que leur échec est serré, il n’en est pas moins que ce résultat est – après la victoire du «OUI», évidemment – ce qu’ils pouvaient attendre de mieux du référendum. Le pire aurait été pour eux la déconfiture totale, qui aurait mis un point final à toutes ces discussions constitutionnelles et ridiculisé le statut de «Société distincte» du Québec. Par ailleurs, une défaite semblable à celle de 1980 aurait perpétué le statu-quo et les luttes constitutionnelles qui s’éternisent déjà. En revanche, même si la victoire du «OUI» aurait été une solution radicale à ces problèmes, ce résultat serré propose une solution partielle et ouvre la voie à de nouvelles discussions.
Enfin les Québécois se sont vus reconnaître comme «Société distincte» et enfin ils auront leur mot à dire dans l’Amérique du Nord, cette mer anglophone. Le gouvernement canadien devra maintenant tenir compte du risque souverainiste. En dépit du résultat, le véritable vainqueur de ce scrutin est la démocratie. L’incroyable taux de participation (94%) pulvérise tous les records et offre un exemple pour le reste du monde, car il est généralement peu courant que les débats nationalistes soient l’objet d’un référendum. Et les Québécois en sont déjà à leur deuxième expérience.
Paru dans le journal étudiant Ste Fa’ctualités (Amiens, France) de janvier 1996