En 2014, les journalistes indépendants n’ont pas encore accès au «salaire minimum». En 2014, le secteur des médias est encore laissé entièrement aux lois du marché, donnant au financement publicitaire la priorité sur l’information. En 2014, deux corporations contrôlent 97% du tirage de la presse quotidienne au Québec, sans parler du quasi-monopole des hebdos régionaux. Ce contexte est-il propice à la bonne santé de notre société? Est-il de nature à nous permettre de faire face aux défis importants qui se dressent devant nous? À l’orée d’une crise financière, économique, écologique, sociale, politique, énergétique, qui informe le public, et dans quel intérêt?
Les crises frapperont sans choisir leurs victimes. Nous en sommes au point où, quels que soient les avantages que les élites et les grandes entreprises tirent de la faiblesse du secteur de l’information, ces avantages ne font pas le poids face aux immenses risques qu’encoure une société, privée de la capacité d’action, de réaction et d’innovation qu’encourt l’accès à l’information indépendante.
Il est urgent de rapiécer notre rafiot informationnel, afin d’éviter le naufrage. Trois mesures peuvent être entreprises rapidement par un gouvernement responsable.
Une loi pour les journalistes indépendants
Il faut adopter une loi sur les conditions d’engagement et le statut des journalistes indépendants. Cette loi doit contraindre les entreprises de presse à négocier avec une association qui représente les journalistes indépendants pour convenir de conditions plancher, sans limiter la capacité des journalistes à négocier individuellement. Elle doit également leur donner accès à un statut fiscal adapté à leur situation, ainsi qu’à des protections sociales semblables à celles des autres travailleuses et travailleurs du Québec.
Cette loi doit donner aux journalistes indépendants les moyens de faire leur travail consciencieusement, sans que la précarité les rende vulnérables aux pressions qu’ils subissent. Un minimum de sécurité financière est nécessaire quand vient le temps d’écrire un article qui risque de bousculer des intérêts puissants et influents.
Une telle loi permettra de sécuriser la première source d’information, c’est-à-dire les journalistes, et de lui redonner son indépendance, dans toutes les régions du Québec. Cela aura un impact sur les hebdos et les magazines, mais également sur les plus grandes salles de presse qui recourent à la pige, notamment pour les cahiers spéciaux.
Un fonds pour la presse indépendante
Améliorer les conditions des journalistes, c’est augmenter les coûts d’opération des entreprises de presse. Or, leur financement repose presque entièrement sur la publicité. Il faut créer un financement public pour libérer les entreprises de presse de l’influence exercée par leurs annonceurs sur le contenu, mais il ne faut pas pour autant la remplacer par un pouvoir d’influence de l’État. Aussi faut-il que ce financement public reste indépendant.
Ce fonds, géré par un organisme indépendant, doit être régi par des critères prévisibles et mesurables, sujets à très peu d’interprétation, et s’adresser aux entreprises de presse indépendantes.
D’où doit provenir l’argent? L’État n’aurait pas nécessairement à investir de fonds publics. Il suffirait de créer une taxe sur un secteur qui génère d’importants profits, et dont l’essor contribue actuellement à limiter l’indépendance de l’information: l’industrie publicitaire.
Personne au Québec ne se plaindra d’une taxe progressive appliquée à tous les placements publicitaires, si on la conçoit pour que les commandites de festivals en région soient beaucoup moins taxables que les bandes de patinoire du Centre Bell. Des revenus importants peuvent ainsi être perçus et redistribués équitablement.
Un crédit d’impôt pour l’accès à l’information indépendante
Enfin, il faut permettre au public de faire sa part pour soutenir la presse indépendante de son choix, en favorisant celle qui sert le mieux ses intérêts, le bien commun. L’État doit aider ses citoyens à accéder à l’information. Une mesure simple pour redonner accès à l’information au plus grand nombre est, par exemple, un crédit d’impôt sur l’abonnement aux médias indépendants.
Afin d’être un puissant incitatif envers l’indépendance de la presse, ces deux dernières mesures ne doivent s’adresser qu’aux entreprises de presse sous propriété indépendante, en évitant les éventuels contournements possibles. Sinon, cela reviendrait à subventionner les empires financiers qui œuvrent dans d’autres secteurs que celui de l’information.