Les Mi’kmaq d’Elsipogtog s’opposent à la fracturation hydraulique. Les Mohawks de Kanehsatà:ke veulent bloquer l’oléoduc d’Enbridge. Les Malécites de Cacouna font face au projet de terminal pétrolier de TransCanada. Les Innus ont marché contre le Plan Nord et assistent maintenant à la reprise de l’exploitation minière à Schefferville. Même le gouvernement du Québec peine à faire adopter une nouvelle loi pour tenter d’encadrer ce secteur. Pendant que s’enrichissent les multinationales, la tragédie des Premières Nations prend un nouveau visage, qui les place à l’avant-garde de la lutte pour le sauvetage des écosystèmes et du bien commun. Le journal Ensemble s’est rendu à Schefferville, à la rencontre de la blessure identitaire, à la recherche d’une réponse collective.
Il faut prendre le train pendant plus de treize heures pour traverser le Nitassinan, territoire ancestral des Innus, sur les quelque 600 km qui séparent Sept-Îles de Schefferville. Tout droit vers le Nord, la ligne ferroviaire se poursuivra bientôt jusqu’à Kuujjuaq. La reprise des mines et le développement du Plan Nord dopent les infrastructures, mais les trains de minerai ont toujours la priorité sur ceux des humains.
La boom town fourmille de gros pick-ups qui zigzaguent dans les rues entre les cratères hérités des trente ans d’abandon. Depuis la fermeture des mines en 1982, la communauté innue de Matimekush/Lac-John a été isolée. Schefferville a même été fermée quelques années et sa population expropriée, sous le gouvernement de Robert Bourassa. C’est dans un milieu déstructuré que les mines ont été relancées en 2011.
«Il y a trois ou quatre ans, tu voyais un pick-up passer à toutes les heures. Maintenant, t’as des chars qui valent 40000$, des quatre portes», illustre Essimeu «Tite» McKenzie. Innu de Matimekush, il a été le protagoniste principal du film Une tente sur Mars, qui brossait en 2009 le grinçant portrait de la désolation interminière.
M. McKenzie a connu 1982. Il redoute déjà la fin de l’actuelle relance. «Ça c’est des gens qui comprennent quoi? Je sais pas, moi. Il y en a qui disent qu’en 2018, ça va être fermé. Il y en a qui disent en 2022. Ils construisent parce qu’ils savent qu’en deux ans ils vont avoir ce qu’ils ont investi. Une fois la mine arrêtée, on va faire un documentaire: Une tente sur Pluton, en 2022.»
Rares sont les Innus comme lui, prêts à s’exprimer ouvertement. Une loi du silence règne, alors que quotidiennement se côtoient travailleurs et non-travailleurs miniers, élus, Innus sédentarisés, Blancs natifs, Métis. Tous sont attachés au destin de Schefferville et de ses mines.
«Les camions qui circulent, c’est des 25 tonnes, des 34 tonnes. Ils sont payés combien?», s’interroge M. McKenzie. «Ils s’en fichent de ce qui va arriver à nos petits enfants. Tout ce qui compte, pour eux autres, c’est leurs petits enfants. Ils viennent de Montréal, Toronto, États-Unis. Mais nous, ils vont nous lâcher. Puis avant de partir, ils vont pleurer, tandis qu’on va être ici, nous autres, sans pleurer. Ils vont pleurer devant la caméra.»
Pour ou contre?
François Durette, prospecteur indépendant, est né à Schefferville d’un père soudeur et d’une mère enseignante. Selon lui, la communauté est divisée. «Il y en a qui sont pro-mines, mais il y en a qui sont complètement contre.» Ceux qui sont pro-mines, c’est parce qu’ils y trouvent du travail, admet-il. «Il y a aussi l’histoire que ça empiète sur certains territoires de pêche et de chasse. Ça a certains impacts négatifs, c’est sûr.»
Un Innu, qui a requis l’anonymat et que nous appellerons Sam, rappelle que «pour l’acceptation sociale, au niveau de Matimekush/Lac-John, 52% des gens ont voté. Les gens qui ne voulaient rien savoir [de la mine], ils n’ont pas voté. 52% ont dit oui et 48% ont dit non. Si le monde qui était silencieux avait voté, ça n’aurait pas passé.»
Impact social
«Les employés des mines qui ne viennent pas d’ici, ils n’ont pas le droit de sortir en ville, a confié un travailleur minier innu qui ne souhaite pas être identifié et que nous nommerons ici Mat. Il y a eu des problèmes un peu avec le harcèlement, harcèlement sexuel surtout. Les gars viennent ici, deux trois semaines en ligne. Ils sortent, puis ils veulent se ramasser une p’tite fille.»
La mine a apporté son lot de problèmes sociaux à la communauté innue. «Il n’y avait pas d’argent ici avant, rappelle M. McKenzie. Quand l’argent est arrivé, la drogue est arrivée, la consommation de substances est arrivée.» Mat est passé par là: «C’était chaque fin de semaine, c’était des mille piastres, man, que je dépensais. Parce que je gagnais beaucoup et j’étais capable, moi, de fournir dix personnes pour une fin de semaine à pas dormir et juste boire. J’achetais aussi de la drogue.»
Colonialisme nouveau genre
«Le colonialisme, c’est exactement ce qu’on vit avec l’exploitation des mines, ajoute Sam. De l’autre bord de la terre, les Indiens et les Chinois ont besoin des ressources. Présentement, ça nous affecte ici dans le nord, mine de rien. Le colonialisme, ce n’est plus le pouvoir politique qui le fait, c’est le pouvoir économique.»
«Pour l’instant, toutes les mines sont au Labrador, mais pour les Innus, la frontière Québec-Labrador, ça n’existe pas, explique-t-il. Il y a des projets d’exploration, mais pas de mine à court terme. On a des ententes entre les compagnies minières et les quatre nations innues.» C’est loin du Klondike: «Les profits vont aux compagnies, dénonce Mat. J’ai vu des chiffres. Avec un seul mois de profit, on rénoverait toute la ville.»
Le spectre de la ville-fantôme
François Durette s’est mobilisé contre l’expropriation dans les années 1980. «On a formé un comité de citoyens dont j’étais le président. Les premiers négociateurs du ministère qui débarquaient ici, ils donnaient des montants dérisoires. Avec les avocats, on a eu un peu plus, mais on a perdu nos maisons pareil. Quand ils ont décidé de ne pas fermer, c’était quelques années après. Et nous autres, on était partis et éparpillés à la grandeur de la province.»
Comment faire pour éviter de revivre la même chose dans quelques années, quand les nouvelles mines fermeront? «Il faut apprendre aux jeunes à ne jamais oublier qu’ils sont autochtones, faire des projets éducatifs sur les savoirs traditionnels, la survie», croit Mat.
Il envisage aussi que les Innus pourraient prendre le contrôle du développement minier. «Dans 30 ans, qu’est-ce que ça va être? Ça se peut que les Innus gèrent une mine. On n’aura plus besoin des Blancs. C’est notre roche, ça, c’est nous qui occupons le territoire. Là un Blanc vient et prend ce qui nous appartient. Déjà, je connais du monde qui met son argent dans les mines.»
Du même auteur, lisez le compte-rendu du film Une tente sur mars, paru en 2010 dans le journal culturel devenu depuis la Rumeur du Loup: Cinéma politique et poétique.
Découvrez le film Une tente sur Mars, de Martin Bureau et Luc Renaud, avec Essimeu «Tite» McKenzie.