Qui se ressemble s’assemble et les contraires s’attirent, dit-on. C’est dans la complémentarité des différences que se trouve l’essence de la permaculture : l’effet de bordure («edge effect»). C’est sous ce thème de l’effet de bordure que s’est ouverte la neuvième Convergence de permaculture du Nord-Est de l’Amérique hier à Frelighsburg. Un demi-millier de personnes, plus du double de l’achalandage habituel, a convergé vers le village montérégien. Le journal Ensemble a rencontré les trois conférenciers de la soirée d’ouverture pour connaître leurs préoccupations et leurs espoirs.
Nicolas Falcimaigne, journal Ensemble: Selon vous, est-ce que l’effet de bordure est une réponse à un enjeu actuel du mouvement de permaculture aujourd’hui?
Bernard Alonso, facilitateur en permaculture internationale: C’est crucial de comprendre qu’il y a des différences et que ces différences ne sont pas un problème mais un atout. Dans l’ancien monde, la notion de frontière était interprétée comme une séparation. Dans l’approche de permaculture, les différences et les frontières sont considérées comme une zone d’échange qui est beaucoup plus riche que les deux opposés. Il faut se réapproprier cette compréhension que, entre deux éléments, entre une espèce et une autre espèce, il y a des points forts et des point faibles. On peut mettre les points forts ensemble, on peut s’en servir pour créer des écosystèmes.
Eric Toensmeier, écrivain sur la permaculture: Nous vivons dans des régions différentes et indépendantes, où il se passe des choses différentes: l’Ontario, le Québec et l’Est des États-Unis. Il faut faire de la pollinisation croisée entre nous et apprendre des autres.
N.F.: Quel est l’enjeu principal du mouvement de la permaculture en ce moment?
Bonita Ford, enseignante et designer en permaculture: À mon avis, c’est d’agrandir le mouvement, faire comprendre aux gens que, non seulement il faut faire pousser notre nourriture de façon saine, mais aussi soutenir et conserver des relations saines entre les personnes. Dans nos communautés, non seulement faut-il mettre de l’énergie sur les structures physiques, mais il faut aussi créer et maintenir des structures sociales.
B.A.: Le défi est de faire comprendre que la monoculture, représentative du milieu industriel, doit changer. On n’est pas fait pour vivre en monoculture, pour vivre séparés. L’humain est fait pour vivre en groupe. On a peur de la communauté dans le sens de commune. Mais, en fin de compte, l’espèce humaine est faite pour vivre en groupe. Il y a un coût écologique à vivre tous séparés, à avoir son propre appartement, où derrière la porte c’est un étranger, à avoir sa voiture, etc. Se regrouper recrée un écosystème plus viable en diminuant les impacts écologiques. Pour l’alimentation, c’est la même chose.
E.T.: Selon moi, le plus gros défi est d’amener notre plateforme d’idées et de solutions aux changements climatiques pour qu’elle soit acceptée et appliquée par la communauté du changement climatique comme une partie de la solution. Cela implique que nous devons apprendre à faire plus d’argent afin de gérer plus de terres et de séquestrer plus de carbone grâce à des pratiques d’agriculture prévues à cet effet. Nous avons besoin de faire de l’argent pour faire cela car on ne peut pas cultiver gratuitement.
N.F.: Comment l’événement de cette fin de semaine va-t-il contribuer à franchir cette étape?
B.A.: Tout simplement en ouvrant les consciences. On va se demander ce que c’est que ce mouvement de permaculture et comment se l’approprier. Il est important de montrer que la permaculture est faite pour tous. Qu’on utilise le mot permaculture ou pas, il faut réaliser que notre mode de vie doit changer et on n’a pas le choix de toute façon. Il y a trois choses qui vont nous faire changer. La première est le pic pétrolier car c’est la fin du pétrole à bon marché. Il y aussi les changements climatiques, qui sont présents. On nous les cache, on fait comme si on les ignorait, mais ils vont nous pousser au changement. Enfin, l’économie qui est basée sur la consommation et la production sans cesse. Nous sommes des prototypes créés par le monde industriel pour produire et consommer. Il faut que ça change. Il y a une limite à la croissance, on sait qu’on est au bout de la croissance. Ce qui est intéressant de la permaculture, c’est que c’est une boîte à outils pour se transformer soi-même en recréant un design. C’est important de faire parler de la permaculture pour que les gens s’approprient cette boîte à outils.
B.F.: C’est la plus grande convergence du Nord-Est jusqu’à maintenant. C’est une occasion pour les gens de se réunir pour échanger des idées, pour partager l’inspiration et les connaissances. On voit que le mouvement grandit de plus en plus. De se réunir, de se mettre ensemble en communauté pour apprendre et faire de la pollinisation croisée, à mon avis c’est vraiment important pour la croissance de ce mouvement.
C’est important que les gens voient qu’ils ne sont pas seuls. Voir que, dans mon quartier, dans ma communauté, dans ma ville, il y a d’autres gens, d’autres groupes qui s’impliquent ou s’intéressent aux mêmes questions que nous. C’est un soutien qui est très important.
E.T.: Cet événement va contribuer à tisser des relations et des réseaux entre les gens, au partage de compétences spécifiques et d’information, puisque plusieurs personnes ici découvrent la permaculture. C’est aussi le plus gros événement jusqu’à maintenant et c’est très excitant.
Avec la frontière entre les États-Unis et le Canada, on ne peut pas échanger des semences, mais on peut échanger des idées.
N.F.: À la fin de l’événement, vous devrez dresser un bilan de tout ce qui s’est passé durant la fin de semaine. À quelle conclusion pensez-vous arriver dimanche après-midi?
E.T.: Je crois que les gens vont savoir quoi faire quand ils vont revenir chez eux, quand ils vont travailler, afin de faire croître le réseau et le mouvement.
B.F.: J’aimerais que les gens rentrent chez eux avec des graines d’idées en tête. Cela peut être le début d’un projet, un contact, un groupe à commencer ou un projet à commencer, des voisins à visiter, des pistes concrètes et vraiment inspirantes qui vont faire mûrir ces petites graines d’idées.
B.A.: J’espère que les médias vont faire un bon travail et que cela va mousser la connaissance de la permaculture en Amérique du Nord. Le plus de gens possible doivent en entendre parler des deux côtés. Je voudrais voir ressortir des liens entre le Québec, l’Ontario et l’Est des États-Unis, des liens constructifs, pour donner des cours, pour échanger des idées, pour échanger des actions et pour apprendre les uns des autres. Cela sera très fertile.
Avec Matthieu Max-Gessler, Marie-Ève Cloutier
Transcription par Marilyne Thibault