«J’espère que vous n’êtes pas trop peinés d’apprendre que vous n’existez pas dans l’esprit de M. le ministre», a lancé Richard E. Langelier aux 160 personnes réunies lors du Colloque sur les alternatives énergétiques aux hydrocarbures, tenu à Rimouski lundi et mardi par la Coalition Bas-Saint-Laurent pour une prospérité sans pétrole. Le militant est à l’origine du fameux «règlement de Saint-Bonaventure» sur la protection de l’eau potable, qui utilise la compétence municipale sur l’eau pour empêcher le forage gazier et pétrolier, adopté par des dizaines de municipalités et récemment par la ville de Gaspé. Son équipe est maintenant engagée dans une course contre la montre pour organiser l’opposition des municipalités au nouveau règlement proposé par le gouvernement, dont la consultation se termine le 28 juin.
Le Projet de règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection, déposé par le gouvernement le 15 mai dernier, ainsi que le projet de loi 37 imposant un moratoire sur le gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent, sont considérés comme incomplets, irresponsables et dangereux. C’est ce qui se dégage de la conférence prononcée par Richard E. Langelier et Céline Marier, lors du Colloque sur les alternatives énergétiques aux hydrocarbures, tenu à Rimouski lundi et mardi. Le moratoire protège la vallée du Saint-Laurent contre l’exploitation du gaz de schiste, mais du même trait de plume le gouvernement ouvre grand les portes à la fracturation dans les autres régions, à l’exploitation pétrolière, et enlève aux gens des municipalités les maigres pouvoirs de réglementation dont elles disposaient encore.
Québec impose un règlement moins contraignant
M. Langelier, docteur en droit et doctorant en sociologie, chargé de cours à l’UQAM et chercheur indépendant, a retracé le parcours du «règlement de Saint-Bonaventure», dont l’adoption récente par la ville de Gaspé a bloqué les activités de l’entreprise Pétrolia dans cette municipalité. Cette impasse a forcé Yves-François Blanchet, ministre du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (MDDEFP) à déposer un règlement provincial qui aurait préséance sur les règlements municipaux.
L’analyse de ce projet de règlement, présentée ensuite par Mme Marier, biologiste et professeur retraitée au Cégep de Drummondville, révèle qu’il est beaucoup moins contraignant que le règlement de Saint-Bonaventure. La distance minimale de fracturation, fixée à 400 m de profondeur sous l’aquifère (nappe d’eau potable), est moins grande que les fracturations verticales observées dans des forages similaires, notamment aux États-Unis.
La distance minimale de protection des puits d’eau potable, 300 m, est également très insuffisante. Mme Marier a fait état d’observations de méthane faites en 2011 dans l’eau potable de puits situés à moins d’un km d’un forage, près de 20 fois supérieures à ceux situés plus loin. Les études hydrogéologiques, prévues pour évaluer les risques de contamination en surface, ne sont d’aucune utilité pour connaître les risques de contamination venant de la fracturation en profondeur, a dénoncé la conférencière.
«Ce nouveau cadre règlementaire est taillé sur mesure pour permettre l’exploitation par les entreprises pétrolières et gazières», s’est indignée une participante, rappelant que l’ingénieur et géologue Marc Durand a démontré que la réduction de la profondeur minimale de fracturation de 1000 m à 400 m sous l’aquifère fait la différence entre pouvoir exploiter ou non Anticosti, ce qui a un impact direct et majeur sur les projets de l’entreprise Pétrolia.
Les personnes présentes lundi ont aussi pu entendre un exposé très complet sur les enjeux de l’exploitation pétrolière, livré par Marc Brullemans, biophysicien, membre du Collectif scientifique sur les gaz de schiste et coordonnateur interrégional «Rive-Nord» du Regroupement citoyen opposé à l’extraction d’hydrocarbures par la fracturation et autres procédés non conventionnels.
La soirée a été conclue par une présentation de l’exploitation marine des hydrocarbures dans le golfe du Saint-Laurent, par Sylvain Archambault, biologiste, co-porte-parole de la Coalition Saint-Laurent et responsable des aires protégées et utilisation du territoire à la Société pour la nature et les parcs du Canada, section Québec (SNAP Québec). Chacun de ces sujets mériterait à lui seul un article.
Un débat public sur l’énergie
Face à ces constats, un foisonnement d’alternatives présentées mardi a démontré que la région du Bas-Saint-Laurent a une longueur d’avance dans le domaine des énergies renouvelables. Le Conseil régional de l’Environnement (CRE) a réuni, comme dans chaque région du Québec, une Table régionale sur la réduction de la dépendance au pétrole, qui compte parmi ses membres des acteurs socioéconomiques importants, incluant les instances municipales. À la suite d’une démarche amorcée lors des Rendez-vous de l’Énergie en 2010, ce groupe a récemment lancé un plan d’action que Patrick Morin, biologiste et agent de développement au CRE du Bas-Saint-Laurent, a présenté en conférence.
Pour Kim Cornelissen, consultante en développement régional et international et vice-présidente de l’Association Québecoise de Lutte contre la Pollution Atmosphérique (AQLPA), l’exploitation des énergies fossiles est clairement incompatible avec le développement des énergies renouvelables. «Aux États-Unis en ce moment, le développement du gaz et du pétrole de schiste a fait baisser le prix du gaz naturel, ce qui crée des problèmes non seulement aux énergies renouvelables plus nouvelles comme l’éolien, le solaire, mais également à l’hydroélectricité. Tout le monde y perd», a-t-elle confié en entrevue au journal Ensemble dans nos bureaux de Trois-Pistoles (écoutez l’intégrale), avant de livrer sa conférence.
Alors que le renouvellement de la stratégie énergétique du gouvernement du Québec est à l’ordre du jour, Mme Cornelissen considère qu’il est indispensable de tenir un débat public sur l’énergie. Elle a proposé de le faire d’abord au Bas-Saint-Laurent pour inspirer le reste du Québec, une proposition qui a été bien accueillie par l’assistance. «Il y a des projets de biomasse, de biométhanisation, d’éoliennes, de géothermie, a-t-elle souligné en entrevue. Tout l’est du Québec, la Gaspésie, les Îles-de-la-Madeleine, le Bas-Saint-Laurent, il y a plein de choses qui s’y passent en ce moment. Or, si on développe le pétrole et le gaz, ça va avoir tendance à scraper ça.»
Avant de s’envoler pour Anticosti, le militant et metteur en scène Dominic Champagne a assisté au colloque. «Est-ce qu’on est prêts à saboter, à mettre en péril le paradis qu’est Anticosti, a-t-il résumé, pour faire rouler des Hummer au centre-ville de Montréal?»
Fuite des pétrolières
Il semble que la tenue de ce Colloque sur les alternatives énergétiques aux hydrocarbures ait provoqué l’annulation d’un autre colloque, où la Société de promotion économique de Rimouski (SOPER) devait accueillir l’Association québécoise des fournisseurs de services pétroliers et gaziers du Québec (AFSPG), le même jour à l’Hôtel Rimouski. Lorsque les organisateurs ont voulu réserver une salle au même hôtel, ils ont d’abord essuyé un refus. Après avoir réservé leur salle dans un autre hôtel, ils ont constaté que le colloque de la SOPER était annulé. «Nous, c’est sûr qu’on voit que notre venue les a amenés à bouger», conclut Martin Poirier, organisateur du colloque.