Mar 012013
 

Qui peut se targuer d’avoir, visière levée, privé les banques de plus de 275 millions de $ en revenus sur sept ans? Grandes perdantes du Sommet de l’enseignement supérieur, les banques sont restées dans l’ombre du débat. Elles sont pourtant les seules qui tirent de la hausse des frais de solarité un important profit privé net, sans coûts ni risques associés: les intérêts sur l’endettement étudiant, garanti par le gouvernement. Les étudiants ont réussi à diminuer ce gain de 73%. Cet exploit fait pourtant figure de prix de consolation face à tous les enjeux laissés sur la table de ce Printemps érable. Le mouvement étudiant peut surtout revendiquer la prise de conscience de leur pouvoir par des milliers de citoyens. Le but avoué du Sommet étant pour le gouvernement de refermer la marmite du Printemps, qu’adviendra-t-il de cette mobilisation?


L’issue du Sommet sur l’enseignement supérieur tenu la semaine dernière, qui a consacré la hausse de 3% des frais de scolarité, n’est pas un échec pour les étudiants, mais il en est un pour les banques. L’étalement de la hausse sur un plus grand nombre d’années a permis d’arracher un manque à gagner de 277 millions de $ aux banques, qui encaisseront entre 2012 et 2018 un peu plus de 917 millions de $ en intérêts sur l’endettement étudiant, plutôt que le 1,195 milliard de $ qu’aurait rapporté la hausse beaucoup plus brutale prévue par les Libéraux en avril dernier. C’est tout de même un peu plus que les 813 millions de $ d’intérêts qu’aurait rapporté l’endettement étudiant aux banques sur les mêmes sept années, si les étudiants avaient eu complètement gain de cause en maintenant le gel.*

La baisse de la hausse est donc déjà un gain pour les étudiants, modeste mais plus impressionnant qu’il n’y paraît. Les étudiants ont réduit de 73% le profit que représentait la hausse pour les institutions financières. Ce gain ne s’explique qu’en constatant que du même souffle, on a légitimé le principe de la hausse des tarifs et de l’endettement des citoyens pour l’accès aux services publics. Bientôt, ce principe pourrait justifier d’autres hausses de tarifs ou baisses de mesures d’aide, et pas seulement pour les étudiants. Déjà, le gouvernement Marois annonce des coupures aux prestataires de l’aide sociale avec enfants de moins de 5 ans, pour ne citer qu’un odieux exemple.

Échec démocratique

Le Sommet a surtout été un échec de démocratie. En tenant à l’écart des options importantes et le débat de société qui vient avec, cette rencontre que nombre d’analystes qualifie d’exercice de relations publiques a détourné l’élection du 4 septembre dernier, gagnée par le Parti québécois avec la promesse d’annuler la hausse des frais de scolarité. C’est toute une génération d’électeurs qui se sent flouée. Mais qui a dit que nous vivions en démocratie?

Une mise sous tutelle de nos gouvernements par les intérêts financiers qui possèdent les banques et les médias est de plus en plus évidente. Ces intérêts contrôlent l’accès au crédit et à l’opinion publique, dont ont besoin l’État, les gouvernements et les partis politiques, notamment pour gagner une élection. Comment s’étonner que le pouvoir et les revenus de ceux-ci ne puissent être sérieusement remis en question par le gouvernement?

Les nouveaux combats

Le débat de société était déjà limité par son déclencheur, les droits de scolarité. On a ensuite tenté de le confiner à la protection de la hausse contre le gel. Il faut maintenant l’élargir. Il faut questionner la tarification: ce principe d’utilisateur-payeur qui nie l’équité prévue par notre contrat social. La société issue de la Révolution tranquille avait comme principe l’égalité des chances. La tarification des services publics impose une discrimination non plus en fonction du sexe ou de l’origine ethnique, mais bien en fonction des conditions socio-économiques, ce qui n’est pas moins inacceptable. Lire à ce sujet notre entrevue avec Omar Aktouf, publiée le 22 mars 2012.

Il faut revoir la fiscalité, qui depuis trente ans s’effrite au bénéfice des mieux nantis, au rythme des brèches ouvertes par la mondialisation et la dérèglementation. La désuétude de la fiscalité affecte les revenus de l’État. L’impasse budgétaire devient un prétexte pour justifier d’injustes politiques de rigueur. La fiscalité doit redevenir un outil de redistribution de la richesse et de développement équitable, en mettant à la disposition de l’État une juste part des revenus des institutions financières, des entreprises et des fortunes, bien souvent générés par l’exploitation des humains (les «ressources humaines») et de notre environnement (les «ressources naturelles»).

Enfin, et avant tout, il faut revoir la démocratie pour que l’allégeance du gouvernement se détourne des intérêts privés pour revenir aux citoyens. Pour y arriver, il y a un modèle : en marchant nus dans la rue, soir après soir, les étudiants ont ouvert une brèche. Avant qu’elle se referme, il est temps de prendre le relais et de se mobiliser pour rétablir la démocratie. Quoi réclamer? La simple annulation d’une hausse de tarifs? La seule gratuité scolaire? Le financement de la presse indépendante? Le retour des anciennes règles de l’assurance chômage et d’aide sociale?

Non, il faut maintenant réclamer une assemblée constituante afin de rétablir notre contrat social, et le protéger par une réforme démocratique décidée par les citoyens, pour les citoyens.

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* Cette évaluation, basée sur les chiffres de l’endettement étudiant publiés par la FEUQ le 6 septembre 2011, tient compte d’un taux intérêts de 3,5% pour les prêts étudiants (ibid) et de 4,5% pour l’endettement étudiant hors de l’aide financière aux études, ce qui est volontairement conservateur. Pour la même raison, nous n’avons pas tenu compte de l’impact des frais afférents sur l’endettement, trop difficile à évaluer. Cette comparaison utilise un scénario d’indexation fixé à 3%, et ne touche que les sept années concernées par la hausse prévue par les Libéraux, car il est très hasardeux de prévoir l’absence ou le niveau de la hausse après cette période, peu importe le parti au pouvoir.