La présidente de Solidarité rurale du Québec n’a pas froid aux yeux. Heureusement. La coalition qui fête ses vingt ans cette année contemple avec perplexité les cadeaux du présent : gaz de schiste, pétrole, mines, crise forestière, crise agricole, crise des institutions démocratiques, le tout emballé dans un papier parfumé d’indifférence.
«Tout ce que les ruraux ont obtenu au fil des ans, ils l’ont obtenu à force de batailles. Il n’y a jamais eu de cadeau», confie-t-elle. Lucide et déterminée, c’est sur une expérience de militantisme à la dure qu’elle fonde son idéalisme. Claire Bolduc inspire une force tranquille qui rappelle les Chartrand qui ont fait l’histoire du Québec.
Solidarité rurale, une coalition
D’entrée de jeu, elle rappelle le vaste mouvement collectif qui a donné naissance à Solidarité rurale en 1991, sous le leadership de Jacques Proulx. «On perdait entre 30 et 50 fermes par semaine, et ils se sont aperçus que c’était la ruralité au complet qui était en difficulté.»
Réunis lors des États généraux du Monde rural, des organisations variées, allant du Mouvement Desjardins à l’Union des producteurs agricoles (UPA), en passant par les commissions scolaires, ont adopté la Déclaration du monde rural et fondé la coalition Solidarité rurale du Québec.
Puis il y a eu la bataille pour le maintien des bureaux de poste de village, la bataille pour le maintien des petites écoles et pour la diversification de l’économie rurale. «Dans un contexte où on parlait de mondialisation, de globalisation, de production de masse, Solidarité rurale s’est mis à parler de produits du terroir, de produits distinctifs, de produits de niche.»
En 1997, la coalition était reconnue en tant qu’instance conseil auprès du gouvernement en matière de ruralité, ce qui a mené à l’adoption des deux premières Politiques nationales de la ruralité. Le gouvernement ne venait-il pas d’apprivoiser le chien de garde? Mme Bolduc est catégorique: «Si, pour avoir les moyens d’agir, tu te prives de ton droit de parole, tu viens de te priver de ta raison d’agir, de ta légitimité d’agir.»
Elle concède qu’il était parfois un peu dérangeant pour une commission scolaire de se faire dire par quelqu’un d’autre: «Vous ne pouvez pas fermer la dernière école de village», mais que c’est ça une coalition. «Si on s’arrête aux intérêts corporatifs et aux intérêts particuliers, on arrête de se battre pour un objectif plus grand.»
Claire Bolduc se défend bien d’être sans peur. Ce qui l’inquiète le plus, actuellement, c’est l’indifférence des citoyens. Les gens sont craintifs. Ils acceptent de perdre beaucoup collectivement, pour maintenir un petit acquis individuel. «Pour avoir des jobs pendant dix ans, on va sacrifier un territoire pour les deux cents prochaines années, s’indigne-t-elle. Le sous-sol ne nous appartient pas au Québec. On le donne notre sous-sol! Et dans ce sous-sol là, il n’y a pas que des minéraux, du gaz et des hydrocarbures, mais il y a aussi de l’eau potable. Ça, c’est la plus grande richesse qu’on a et on est en train de la scraper.»
Face au défi de se renouveler, après vingt ans de combats et de réussites, Solidarité rurale aura donc plus de fil à retordre avec l’apathie des citoyens qu’avec la recherche d’enjeux mobilisateurs, ceux-ci étant nombreux. La coalition pourra compter sur la conviction d’une femme libre et déterminée. À ses côtés, la peur fait place à la saine colère qui amène le changement.
Cet article fait partie du journal spécial L’Écho de L’Avenir, réalisé dans le cadre de l’événement Ruralia et publié dans Le Devoir du samedi 14 mai 2011, organisé par Solidarité rurale du Québec (SRQ). Si le journal est un hebdo fictif inventé pour le village fictif de Saint-Ailleurs, qui était le salon de la ruralité, les articles qu’il contient sont tous de bien réels articles de journalisme indépendant portant sur des nouvelles réelles et répondant aux standards élevés de la Coopérative de journalisme indépendant.