Rivière-du-Loup, journal culturel Le Q-Dpoule – «Tu peux pas avoir d’histoire sans terre.»
C’est le message lancé par le peuple millénaire qui a vu naître, dévaster et maintenant mourir à petit feu Schefferville, boomtown du « Nouveau-Québec ». Ce n’est pas qu’un paysage stérile et rouillé que nous dévoile Une tente sur Mars, le documentaire de Martin Bureau et Luc Renaud présenté le 16 février dernier par les Projections Cinédit. Ce n’est pas une énième complainte à la situation socioéconomique des autochtones, ni même une critique de l’exploitation minière sauvage que l’on fait subir au Québec depuis plus d’un siècle. C’est plutôt une remise en question des représentations identitaires les plus profondément ancrées chez le spectateur québécois. Expérience bouleversante pour une salle comble à la Maison de la culture de Rivière-du-Loup.
Un traitement à la mesure du désastre
Sobre de contenu et empreint d’une retenue essentielle à la force du propos, c’est aussi par sa facture visuelle et sonore que le film illustre l’étendue des dégâts provoqués par la colonisation matérielle et identitaire. Tantôt dramatique et lancinante, tantôt agressive et revendicatrice, la musique de Fred Fortin déchire délicatement les images d’une réalité déjà en lambeaux. Elle fait place à de lourds silences qui laissent toute leur intensité à d’éloquents plans fixes. La photographie soignée à l’extrême fait de chaque plan un tableau, une composition dont les lignes, la profondeur de champ, les couleurs et les contrastes ont été dosés avec un talent impressionnant.
Malgré l’approche poétique privilégiée par le duo de réalisateurs, dès la première image s’impose blanc sur noir le thème politique, une citation de Ghislain Picard, Chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador en mars 2007 : « Les Nations autochtones n’ont pas moins le droit à l’autodétermination que le Québec. » En citant également Lucien Bouchard, selon qui « les droits des autochtones s’arrêtent où commencent les nôtres », le film plonge un peu plus profondément dans un de ces problèmes insolubles qui tissent la trame du Québec moderne. Les réalisateurs mentionnent qu’« en 2008, le député du Parti Québécois, porte-parole en matières autochtones, lui-même membre des Premières Nations, a décliné [leur] invitation à se prononcer sur la question ». Lorsque nous avons relancé Alexis Wawanoloath, il nous a confié que selon lui, « les peuples autochtones ont droit à l’autodétermination et le défi est plutôt de trouver un compromis pour le partage équitable du territoire. L’approche commune pourrait faire faire des progrès vers la reconnaissances des droits des Premières Nations et il va falloir aller plus loin aux niveaux législatif et représentatif. Entre autres choses, car ce n’est pas si simple, une réforme des institutions démocratiques, avec une chambre des régions et des nations, pourrait permettre de sortir de la dynamique coloniale ».
Une population divisée
La psychologue Inês Lopes a travaillé sur les lieux à titre d’intervenante pour le Wapikoni mobile. Elle décrit une population divisée par la question minière. Alors que des promoteurs étrangers projettent de redémarrer l’exploitation du fer, certains habitants sont séduits par les emplois qui y sont rattachés et d’autres n’y voient qu’une réédition du désastre économique, social et environnemental qui a laissé de lourdes cicatrices lors de la fermeture des mines en 1982. Celle qui a mis sur pied la première cellule francophone de Cinéma politica à l’UQAM, où Une tente sur Mars a récemment été projeté, se questionne sur la réception du film dans ce contexte délicat. L’une des quatre productions du Wapikoni, réalisée par les Innus, est intitulée Kushtakuan, un mot qui signifie « Danger ».
Rejoint par téléphone, le protagoniste central Essimeu « Tite » McKenzie a confirmé l’impact du documentaire sur la communauté. Selon ce qu’il rapporte, quelques personnes ont pu le voir lors d’une projection à Sept-Îles. « C’est comme une claque dans ‘face, mais c’est la réalité », aurait commenté un Blanc, tandis que des spectateurs Innus se seraient dits satisfaits que cette réalité soit enfin abordée. Toutefois, c’est surtout l’enjeu du territoire qui préoccupe le protagoniste. Au moment d’écrire ces lignes, plus de 150 Innus de cinq communautés participent à une chasse illégale du côté terre-neuvien de la frontière interprovinciale, qui divise depuis plus de soixante ans le territoire ancestral. Ils défient les lois pour réclamer le droit de chasse dont Terre-Neuve prive les Innus provenant des communautés québécoises. Essimeu « Tite » McKenzie dénonce cette situation invraisemblable avec le même sens de la formule-choc dont il fait preuve dans le documentaire : « Les frontières, ça mène à la guerre ».
Confronté à l’insolubilité du problème identitaire, le spectateur peut pardonner au film un angle univoque qui laisse place à une certaine victimisation, si légitime soit-elle. Cette approche présente l’inconvénient de masquer les inégalités entre les membres d’une même communauté autochtone. On y décèle des échos du mythe du « bon sauvage », déjà décrié par Voltaire au 18e siècle, ainsi qu’un traditionalisme monolithique qui va jusqu’à faire porter aux réalisateurs le poids de l’usurpation territoriale. Le film ne prétend pas chercher les solutions. Il laisse le spectateur face à ses propres contradictions, mais il a le mérite de dresser un portrait émouvant d’une réalité méconnue et surtout de susciter une réflexion fondamentale.
Au fond, est-ce le territoire qui nous appartient ou bien nous qui appartenons au territoire ?
Luc Renaud, réalisateur, Youri Blanchet, spectateur et Denis Boucher, responsable et animateur des Projections Cinédit, commentent la soirée:
En première partie
C’est un autre documentaire chargé d’émotion et d’ambiance qui a été présenté en première partie de cette soirée Cinédit. Les 110 spectateurs ont pu découvrir Autopsie d’une boulangerie, un film de Nicolas Paquet qui brosse avec délicatesse les traits d’un entrepreneur hors-normes. À travers un montage aéré, qui laisse une large place au silence des images qui valent mille mots, se révèle la personnalité attachante de Marcel Caron, l’âme de la microboulangerie La Seigneurie.
Ce petit café a été un lieu de socialisation pour bien des louperivois jusqu’à sa récente et subite fermeture. L’entrepreneur, qui ne souhaitait peut-être pas l’être, a fini par lancer la serviette. S’il se dégage une certaine solitude du traitement du film, de ses silences et de ses plans déambulatoires, c’est avec sérénité que l’on voit Marcel Caron s’affranchir de son commerce pour animer (en ce sens qu’il lui donne une âme) un autre lieu : la Librairie du Portage. En plus de permettre une incursion dans l’univers de cet unique « créateur d’ambiances », c’est toute la question du rôle des très petites entreprises et des lieux de rencontre dans le maintien du tissu social que pose le film, toujours en laissant la réponse au spectateur.