C‘est avec une innovation audacieuse que l’équipe de Paralœil, sous l’étiquette des Productions Par’Ici, a fait ses premiers pas dans la production de documentaires. La coopérative de Rimouski est connue pour son soutien à la production cinématographique de la relève, mais surtout pour son mandat de diffuseur qui a permis aux publics d’ici de découvrir les oeuvres d’ici dans faire le détour par les grands centres. Cette fois, l’équipe de Claude Fortin a décidé de sélectionner deux réalisatrices et deux réalisateurs de la région bas-laurentienne et de leur commander un court métrage sur le thème du territoire. L’étonnant résultat, TER, a été présenté en avant-première au cinéma Paradis, de Rimouski, le 10 mars dernier.
Un pari risqué, dont le résultat paradoxal est un assemblage hétéroclite qui, pourtant, permet au spectateur de tirer une vue d’ensemble. Réunir quatre regards, quatre traitements cinématographiques, des sujets nombreux et des messages différents, sans étourdir le spectateur : c’est un tour de force d’autant plus impressionnant que les artisans de Paraloeil n’avaient, une fois la commande passée, que peu de prise sur le résultat final. Cette diversité de points de vue, rare dans le milieu du documentaire, permet de sortir du cadre univoque dans lequel s’enferme trop souvent cet art pourtant si libre à l’origine. Aux questions suggérées par un documentaire, le spectateur trouvera ses réponses dans un des trois autres. Chacun trouvera aussi son compte dans la variété de tons, de traitements et de messages, dont voici un trop bref tour d’horizon.
Greetings from Gaspesia, par Pascale Ferland
Sur fond de l’obsédant bruit des néons, sinistre rappel du silence incongru qui hante l’usine désaffectée, se succèdent des plans d’ambiance lourds de sens. En très peu de mots, images d’archives à l’appui, Pascale Ferland illustre le sort de la ville mono-industrielle de Chandler, où la relance avortée de l’usine de papier Gaspésia a tourné le fer dans la plaie d’une population abandonnée. Le gardien de l’usine décrit cette réalité autant par ses silences que par ses phrases laconiques. Les questions suggestives de la réalisatrice, conservées au montage final, ont tendance à troubler l’atmosphère mais ajoutent une touche d’authenticité.
Batèche, par Thomy Laporte
Ce film se donne le temps de contempler le monde, par de longs plans fixes. De près ou de loin, la qualité de la photographie se démarque par des images saisissantes, comme cette vue d’un parc éolien qui surplombe un entrepôt de maisons préfabriquées. Une succession de personnages uniques font un tour quasi exhaustif des enjeux qui touchent le territoire : concentration agricole, pollution, développement éolien, exploitation forestière et disparition de l’économie locale. Un musicien attachant, qui écoute des chants d’oiseaux avec des écouteurs, cigarette au bec, dans son désordre domestique, déplore que l’on ait parqué la nature dans des parcs que l’on ne visite qu’une fois par année. Le spectateur se retrouve confronté à ses propres contradictions.
Cul-de-sac, par Karina Soucy
Autobiographique, ce film évoque par un traitement d’image légèrement flou et aux couleurs vieillies, la nostalgie d’un cinéma d’une autre époque. La narration à la première personne, omniprésente, présente une vision enthousiaste et inspirante du retour en région. L’excès bucolique, de bonne guerre face à la machine médiatique de masse, est alimenté par le personnage du frère sportif, idéal de qualité de vie, et par les scènes du salon de coiffure, qui évoquent une convivialité rurale bien réelle.
Quelques arpents de terre, par Guillaume Lévesque
Exploration des représentations du territoire, ce court-métrage touche aussi au thème de la propriété. Son accès, sa relation au pouvoir et à la liberté, mais aussi à la responsabilité. Le réalisateur utilise sans complexe les plans accélérés, dont le contraste avec d’autres plans paisibles attise l’antagonisme rural-urbain, un aspect qui a soulevé les passions lors de la discussion qui a suivi l’avant-première. On retiendra aussi ces camions géants de la mine d’amiante qui, en plus de réveiller le p’tit gars en chaque spectateur, évoquent le pillage des ressources naturelles. La chicane de clôture, mise en parallèle avec des images d’archives des guerres du siècle dernier, donne un effet légèrement caricatural mais efficace.
À l’heure où les enjeux qui touchent l’occupation du territoire se multiplient et prennent l’avant scène, alors même qu’une consultation nationale se tient dans toutes les régions pour l’élaboration d’une nouvelle politique gouvernementale à cet égard, à l’aube de l’éclatement d’une crise forestière, agricole, énergétique et démographique, cet assortiment de regards sur la ruralité prend la valeur d’une pétition adressée aux décideurs et aux citoyens, qui devront prendre position.