Il fallait arriver tôt pour trouver une place assise au café L’Innocent, le 17 avril dernier. Troisième du nom, le Cabaret Kerouac avait monopolisé le lieu de convergence de la relève culturelle louperivoise. Les spectateurs, en grand nombre comme chaque fois, étaient venus découvrir un bouquet de créations artistiques complètement déjantées. Ils ne furent pas déçus. Les 18 numéros allant de la lecture au théâtre, en passant par la musique et même la danse, ont repoussé avec brio et originalité les limites de l’acceptable.
Pour les quatre organisateurs, Louis Gagnon, Mélanie Langlais, Evelyne Lavoie et Olivier Martin, il s’agissait avant tout de donner une scène à des artistes et à des œuvres qui autrement, ne pourraient être présentés en public. L’industrie culturelle conduit habituellement les productions à former un tout homogène et destiné à un public précis. Il faut donc monter un spectacle complet ou s’y adapter. C’était manifestement loin d’être possible pour les petits bijoux présentés au Cabaret Kerouac, chacun issu de l’inspiration ponctuelle d’artistes amateurs.
Cabaret qui ?
Plus de la moitié des numéros étaient des lectures, une couleur qui ne se dément pas depuis le premier Cabaret et qui reflète bien l’esprit de Jean-Louis «Jack» Kerouac. Les parents de ce monument de la littérature moderne ont quitté la région de Rivière-du-Loup peu avant sa naissance, comme des milliers de Canadiens partis chercher fortune chez nos voisins du Sud.
L’auteur franco-étatsunien a joué un rôle phare dans la naissance d’une contre-culture après la Deuxième guerre mondiale. Son chef d’œuvre On the Road a canalisé le courant beatnik qui, d’un petit groupe littéraire interlope, est devenu un mouvement qui a entraîné une génération de contestataires vers Mai 68, l’opposition à la guerre au Viêt-nam et, au Québec, la Révolution tranquille. C’est tout ce bagage identitaire qui sous-tend l’initiative du Cabaret, dont les organisateurs souhaitent rendre hommage à un écrivain qui les a profondément inspirés, et qui s’illustrait par ce qu’il appelait lui-même la «prose spontanée».
Incubateur culturel
Au-delà d’une simple initiative de quelques «crinqués», le Cabaret Kerouac semble se vouloir un véritable incubateur pour la relève artistique louperivoise. En stimulant la scène culturelle et en faisant une place pour le nouveau et l’original, il y a fort à parier que ce concept contribuera à l’atteinte d’une maturité autant chez le public que chez les artistes producteurs.
C’est ce que remarque Michel Lagacé, spectateur féru de culture, lorsqu’il commente le spectacle. «À Rivière-du-Loup, il y a des activités culturelles environ deux fois par semaine, ce qu’il n’y avait pas il y a dix ans. On n’est pas très critique, on prend tout: quand la culture commence, il faut tout prendre, et après on peut passer à un autre niveau et être critique. Je suis agréablement surpris ce soir. Même dans un esprit critique, j’ai trouvé ça assez bon. Il y a un côté très ironique dans les textes choisis, très corrosif parfois, c’est très intéressant. En fait ça passe d’un niveau à l’autre, ce n’est pas juste humoristique, il y a des choses très sérieuses. J’ai passé une très belle soirée.»
Des thèmes variés et croustillants
Entre l’anecdote du Gino (Les plombs) d’Émile-Olivier Desgens, les recettes cruelles de Mélanie Langlais et la danse de Sandra Belzile, se glissent des numéros musicaux très émouvants. Ce double duo fraternel d’Olivier et Élise Martin, une fois guitare et violon et l’autre fois guitare et voix, aura su donner des frissons même au nouveau mobilier du café bondé. Incursion du country dans cette ambiance surréaliste, la «chanson sincère» d’Evelyne Lavoie s’est démarquée par une grande aisance d’interprétation, une fois les micros bien ajustés.
La lecture vivante, théâtrale, de Marc-Olivier Dugas-Pelletier mérite aussi une mention pour son audace, qui s’illustre par l’impossibilité de trouver une interprète féminine pour le personnage féminin. Marc-Olivier, qui en est à sa deuxième participation, souligne que «ça faisait longtemps qu’on en voulait des événements où on pouvait partager et échanger. Avec le Cabaret Kerouac ici, il n’y a pas de ligne précise à respecter. On peut se permettre des choses que, règle générale, on aurait peut-être peur de présenter. On sait que ça va être bien reçu parce que le public s’attend à une diversité qui est bien intéressante.»
Selon l’organisateur Louis Gagnon, il est nécessaire d’avoir assisté au moins une fois au Cabaret pour faire un numéro qui s’intègre bien dans l’ambiance. Sans vraiment le contredire, Mélanie Langlais précise qu’«on aime ça quand c’est déjanté, quand c’est original, quand c’est léger, loufoque, puis en même temps quand c’est varié». La diversité semble être le critère fondamental à respecter pour les artistes qui souhaiteraient participer. Le quatuor les invite à s’adresser à eux pour entrer dans la programmation, par le biais du site web, du groupe Facebook et bientôt d’un blog. Mais il faut se dépêcher: les organisateurs avouent leur intention de produire l’événement mensuel pendant un maximum de dix ans.