À quelques jours du début de l’Année des coopératives, 2012, certains auront trouvé au pied du sapin le dernier ouvrage de Jacques Attali, Demain, qui gouvernera le monde ?, paru chez Fayard en 2011. À travers un fulgurant voyage dans l’histoire des empires et des puissances qui ont tour à tour scellé le destin de leur temps, l’ancien conseiller politique de François Mitterrand dresse le terrifiant bilan d’un monde de plus en plus complexe et incontrôlable, soumis à des intérêts de plus en plus fragmentés. Il y démontre l’absolue nécessité d’établir une démocratie mondiale pour faire face aux défis énormes de notre siècle, trop lourds pour être convenablement pris en charge par le marché ou par les États. Comment trouver une voie entre ces deux obstacles pour permettre aux « citoyens du monde » de prendre leur place ?
Ce livre est un voyage dont les escales sont les multiples empires qui ont dominé leur époque. Il décrit ce qui leur a permis de le faire et ce qui a causé leur déclin. On y découvre des empires structurés, durables et étendus, babylonien, chinois, romain, égyptien, africains et précolombiens, qui chacun leur tour « mettent sur pied une armée et une administration, espionnent le reste du monde, font régner leur propre justice, transmettent des ordres à longue distance, attirent les élites des peuples qu’ils conquièrent, prennent en otage les enfants des princes vaincus, gèrent des alliés, suscitent des conflits entre leurs rivaux ».
On y comprend comment, à la Renaissance, les cités marchandes ont pris le pas sur les empires guerriers, tout en utilisant la force civile et militaire de ces derniers. Contrairement aux empires, leur essor et leur déclin sont conditionnels à la paix et à l’ouverture des frontières. De plus en plus, ces pôles économiques se heurtent à des limites, lesquelles trouvent leur plus éloquente et dramatique illustration lors des guerres mondiales du XXe siècle.
Visionnaires de la démocratie mondiale
L’idée d’une démocratie mondiale, trame de fond de cet ouvrage, n’est pas nouvelle. Après une longue succession de penseurs éclairés et ignorés par leur époque, c’est Léon Bourgeois qui en inspire la première incarnation au président états-unien Woodrow Wilson. À l’issue de la Grande Guerre, il fonde la Société des Nations (SDN), qui n’est pourtant qu’une ombre du projet ambitieux de Bourgeois, comme le sera plus tard l’Organisation des Nations Unies (ONU). Toutes deux sont dépourvues de moyens concrets pour appliquer leurs décisions.
Impasse planétaire
Alors que s’enchevêtrent les traités multilatéraux et les organisations mondiales, aucune autorité n’a la légitimité, la responsabilité, le pouvoir ni les moyens de les gérer. L’économie de marché, qui a accompagné la naissance des États-nations, est maintenant mondialisée. En l’absence d’État de droit de niveau mondial pour encadrer l’économie de marché, celle-ci dicte maintenant sa loi, dans la plus complète anarchie. La démocratie et la paix seront mondiales ou ne seront pas.
Pour répondre à cette situation, Jacques Attali présente son propre projet de constitution mondiale, tout en décrivant les conditions actuelles qui entraveront sa réalisation concrète. Même les chantiers qu’il propose (de l’intégration fédérale progressive au prélèvement de taxes mondiales) paraissent illusoires en l’absence d’une volonté politique pour les réaliser. Il en prend acte : « On retrouve ici la logique de toute action collective : pas d’action sans ressources, pas de ressources sans légitimité, pas de légitimité sans volonté populaire, pas de volonté populaire sans appropriation de l’enjeu. »
Pour déclencher la révolution mondiale, pacifiquement et démocratiquement, M. Attali propose donc des États généraux du monde, dont la tenue serait provoquée par une initiative modeste : consulter les Terriens par référendum sur une question mondiale. Cela permettrait de créer une plateforme de consultation permanente, un espace de délibération, une Assemblée constituante virtuelle sur les institutions mondiales à mettre sur pied. Mais qui s’en chargera ?
S’il traite généreusement de l’économie de marché, l’essai reste muet sur le mouvement coopératif, dont les membres représentent pourtant une grande partie de la population de la planète, une démocratie économique qui se prend en main à tous les niveaux pour pallier l’incapacité des États et le désintérêt du marché. Ce mouvement démocratique, mondial et structuré, qui couvre tous les secteurs d’activité, pourrait être l’espace commun, neutre, permettant de tenir ces États généraux. S’ouvre maintenant l’Année des coopératives, décrétée par l’ONU sous le thème « Les coopératives, des entreprises pour un monde meilleur », une belle occasion de passer à l’action.
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Cet article du journal Ensemble, presse coopérative et indépendante, est publié simultanément dans Le Mouton Noir. www.moutonnoir.com