«Il y va de notre santé démocratique.» C’est ainsi que Maka Kotto, ministre de la Culture et des Communications du Québec, résume l’enjeu des conditions de pratique du journalisme indépendant. L’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ), qui représente les journalistes travaillant à la pige comme travailleurs autonomes, lui a demandé de convoquer une commission parlementaire devant se pencher sur la création d’une loi pour protéger les journalistes indépendants, comme celle qui permet aux artistes de négocier leurs conditions collectivement. Ensemble a rencontré le ministre et l’a questionné sur cette revendication issue des États généraux du journalisme indépendant, tenus en septembre dernier.
«Comment ça se fait qu’on paye des fortunes pour des centres de recherche, pour des hommes d’affaires qui vont faire de l’exploration sur le pétrole potentiel au Québec, sur la richesse potentielle des gaz naturels, et qu’on ne paye pas un quart du centième du millième de ça pour ceux qui nous partagent cette information?», s’exclame François Bugingo. Si l’économie de marché semble avoir laissé le journalisme loin derrière, l’enfonçant dans la précarité, le mépris et des conditions de travail misérables, il n’en reste pas moins la pierre angulaire de toute la machine médiatique et un pilier de toute société démocratique. M. Bugingo, journaliste, chroniqueur et animateur spécialisé dans l’information internationale, croit que c’est l’indépendance qui donne sa valeur au travail des journalistes, et qu’ils doivent la faire respecter. Ensemble l’a rencontré dans les bureaux de la radio FM 98,5 Montréal, où il travaille.
Le nombre de journaux locaux indépendants s’est effondré de plus de 50% au cours des dix dernières années. Ils ont fermé ou ont été rachetés par l’un des deux conglomérats qui s’y livraient la guerre. Avec l’acquisition des hebdos de Québecor par TC Media, il faut s’attendre à ce que la diversité de l’information se réduise encore plus. Contre toute attente, un mouvement inverse se produit: aux quatre coins du Québec, des communautés se mobilisent pour démarrer des coopératives d’information, qui prennent la relève là où les grands groupes ne répondent pas à leurs besoins.
Depuis le milieu du XXe siècle, la publicité a progressivement pris de l’importance dans les journaux, jusqu’à complètement remplacer les revenus provenant des lecteurs. Le lecteur n’est plus le client du journal, il en est la marchandise, fournie à un annonceur. Les intérêts des annonceurs, conjugués à la proximité économique et sociale qui est la règle dans les régions du Québec, crée des situations où les journalistes subissent des pressions, de l’intimidation, des menaces, et même parfois de la violence.
Ce n’est pas un cliché. Dans toutes les régions du Québec, se dégage le sinistre portrait de journalistes indépendants vivant de l’isolement, un manque de ressources, une précarité et des conditions de travail indignes de la responsabilité cruciale qu’ils exercent pour le fonctionnement de la société démocratique. Le maillon qui tient la chaîne de l’information entre le public et les faits n’a jamais été si faible et négligé dans l’histoire récente du Québec.
À l’origine du journalisme moderne, le journal était vendu à un lectorat, dont provenait l’essentiel de ses revenus. Avec l’apparition de la radio et de la télévision, le financement public s’est imposé pour les chaînes d’État, mais c’est rapidement la publicité qui est devenue la source de financement majoritaire, provenant principalement du secteur privé. À l’heure où elle règne presque sans partage, nous avons posé la question aux participants à la consultation: qui doit payer pour l’information indépendante et le journalisme qui l’alimente? L’État, le lectorat, le privé?
En 2014, les journalistes indépendants n’ont pas encore accès au «salaire minimum». En 2014, le secteur des médias est encore laissé entièrement aux lois du marché, donnant au financement publicitaire la priorité sur l’information. En 2014, deux corporations contrôlent 97% du tirage de la presse quotidienne au Québec, sans parler du quasi-monopole des hebdos régionaux. Ce contexte est-il propice à la bonne santé de notre société? Est-il de nature à nous permettre de faire face aux défis importants qui se dressent devant nous? À l’orée d’une crise financière, économique, écologique, sociale, politique, énergétique, qui informe le public, et dans quel intérêt?
Trois-Pistoles — Deux heures et huit. La nuit est bercée d’un blizzard dans lequel je n’aurais pas voulu conduire. Mon traditionnel lourd sac à dos plein de matériel journalistique m’aide à garder les pieds au sol. Ces quelques pas contre le vent et la poudrerie, qui me mènent à la gare, confortent mon choix. Mais la gare est fermée. Désaffectée. Les bourrasques qui charrient la neige en faisant tomber des glaçons de son toit sur le quai désert évoquent un improbable western arctique.
Cette semaine, je pars sans voiture. Un peu par lassitude: les 200000 km parcourus depuis trois ans ont peut-être eu raison de mon appétit naturel pour la route. Mais c’est surtout un défi. On m’a si souvent rappelé que, dans le fond de mon rang, ma ruralité me rendait «dépendant de l’automobile», d’autant plus que mon métier frénétique de démarreur de journal me traîne partout au Québec. J’ai envie de prouver le contraire. Parce que, chers lecteurs et chères lectrices, si je réussis à me passer d’une auto, presque tout le monde peut aussi vivre sans voiture.
Je suis votre cobaye. Cette courte série de textes sera un peu comme un journal de transition. Dans un style à peine romancé pour le plaisir, je vous rapporterai mes tentatives de fonctionner «avec pas d’char», depuis le fond de mon rang jusqu’aux impromptues destinations de ma vie chaotique, en passant par le quotidien de l’épicerie et des obligations familiales. Si ça marche, je vous le promets, on se le dit juste entre nous pendant que personne n’écoute: si c’est concluant, mon vénérable char qui m’a rendu de si bons et loyaux services sortira de ma cour pour de bon.
Deux heures et treize. À peine cinq minutes de retard. Le chef de train me salue. «Y a pas grand monde à soir», chuchote-t-il, signifiant que j’ai l’embarras du choix de ma place. Dans la rame ensommeillée, rien ne bouge. Déjà, le train repart et file dans la nuit.
Récemment, la gare de mon village a fermé ses portes, laissant les rares passagers attendre sur le quai les trains encore plus rares. Depuis peu, également, il n’y en a plus tous les jours. Signe que l’économie de l’automobile est en plein essor, ou plutôt que le transport collectif interurbain et son incarnation ferroviaire parapublique ne sont pas prioritaires pour ce gouvernement fédéral. Peut-être ne s’y consomme-t-il pas assez de pétrole par passager, malgré cette lourde locomotive au mazout qui tire quelques malheureux wagons.
Pourtant, c’est un choix rentable. À six heures de route de Montréal, les 147$ que coûte le billet aller-retour paraissent pire qu’ils ne sont, en regard des 80 litres d’essence que réclamerait ma si raisonnable voiturette. En ajoutant aux 110$ d’essence les quelque 240$ que coûte la possession et l’entretien d’une voiture pour une telle distance (avez-vous acheté des pneus récemment?), pour un très prudent total de 35¢ du km, le train est déjà gagnant.
Ensuite, on peut considérer le temps gagné en ne le passant pas à conduire: douze heures au salaire minimum – le rêve de tout journaliste indépendant! – représentent un peu plus de 120$. Même en embarquant trois passagers Amigo-express entre Québec et Montréal à l’aller et au retour, ce qui représente un bon achalandage moyen, cela ne fait qu’une économie de 90$, qui peut disparaître assez vite si on a le malheur de ne pas bien comprendre les absconses pancartes de stationnement de Montréal ou de Québec.
Donc, si tout va bien, on aura dépensé 380$ avec la voiture, et 165$ en train, après avoir ajouté une dizaine de dollars de métro et les 5,50$ de transport collectif rural pour me rendre du fond de mon rang au village, un service sur mesure et sur réservation 24h à l’avance, offert dans beaucoup de régions dans des conditions diverses. Sur le plan strictement financier, le cerveau rationnel choisit encore le train.
S’ajoutent d’autres facteurs moins faciles à évaluer. En tête de liste, le risque d’accident, dont la moitié est entre les mains des autres conducteurs. Statistiquement, prendre la voiture est probablement l’activité la plus risquée de notre époque, et étonnamment la plus banale. La flexibilité offerte par le transport individuel vaut-elle la peine de prendre ce risque? J’ai dû devancer mon voyage d’une journée parce qu’il n’y a pas de train tous les jours (et l’autobus est plus cher), le voyage est plus long, et il m’a fallu rester au village plusieurs heures entre le transport collectif et le train. Mais combien de fois ai-je dû retarder mon départ en voiture ou subir des délais en route à cause d’une tempête de neige, ou d’ennuis mécaniques?
Ensuite, une fois achetés, les 80 litres d’essence devront forcément être consumés. Ce coût environnemental des émissions polluantes, bien qu’on ne l’assume pas tout de suite, devra être payé d’une façon ou d’une autre dans l’avenir, par mes enfants… ceux-là même pour qui je m’en vais gagner ma croûte! Et il y a fort à parier que les intérêts seront très élevés.
Enfin, parlons de la tranquillité d’esprit. Je ne dirai pas qu’on évite les embouteillages: les infrastructures et les priorités étant ce qu’elles sont, ils sont remplacés par les arrêts fréquents pour laisser passer les trains de marchandise. On est en Amérique, n’est-ce pas?
Si la rapidité n’y est pas – il faudra plus de sept heures pour arriver à Montréal –, quelle paix tout de même de se faire conduire tout en rédigeant, de ne pas se faire téléphoner au volant, d’oublier le nerveux pilotage urbain et le tas de ferraille à déplacer d’une rue à l’autre dans la neige brune!
L’abandon de la voiture, qui pourrait sembler être une perte de liberté, devient un luxe incroyable. J’ai l’impression d’être enfin entré dans la modernité et d’avoir laissé la voiture à explosion, telle une erreur de l’histoire, loin derrière dans son gris vingtième siècle.
L’éducation du public «est entre les mains des propriétaires des grands médias», dénonce Claude Béland en entrevue au journal Ensemble. Pourtant, c’est par l’éducation qu’il entrevoit le salut de la démocratie et le remplacement du modèle néolibéral actuel par la social-démocratie. C’est dire à quel point le défi est grand. Pour l’ancien président du Mouvement Desjardins, l’éducation de proximité, dans les familles, mais également dans les coopératives, mutuelles et autres entreprises d’économie sociale, devient un devoir dont dépend l’avenir de notre civilisation.
Depuis quelques années, Mountain Equipment Coop (MEC) a effectué des changements dans sa structure de gouvernance. Ces changements limitent le pouvoir des membres au profit de celui des administrateurs, notamment pour la sélection des candidats éligibles au conseil d’administration ou pour le dépôt de propositions par les membres. MEC se détourne-t-elle de ses racines coopératives? Ensemble a interrogé Sara Golling, co-fondatrice de la célèbre entreprise de matériel de plein air, pour prendre la mesure du fossé qui s’est creusé au pied de la forteresse.