Nov 032011
 

Était-ce le lancement national de l’Année internationale des coopératives ? L’Organisation des Nations Unies (ONU) marquait le lancement mondial lundi à New-York, en présence notamment de Hélène Simard, présidente-directrice générale du Conseil québécois de la coopération et de la mutualité, et de Monique Leroux, présidente du Mouvement Desjardins. Le lendemain, Mme Simard participait à Rouyn-Noranda au premier Forum régional coopératif, organisé par la Coopérative de développement régional (CDR) de l’Abitibi-Témiscamingue et le Pôle régional d’économie sociale. Plusieurs représentants nationaux et régionaux, des coopératives et des agents de développement, ont répondu à l’appel, dans la capitale du cuivre.

Pour Denis Martel et Mario Tardif, respectivement président et directeur général de la CDR, il était important de tenir le premier forum en Abitibi-Témiscamingue. « Nous souhaitions faire connaître les liens et la collaboration que l’on a avec le Pôle d’économie sociale, qui est une particularité spécifique à la région et qui nous permet de développer encore plus les valeurs d’intercoopération et d’économie solidaire », a souligné M. Martel.

« Pour notre région, le forum d’aujourd’hui met la table sur certains sujets, a ajouté M. Tardif. Mais notre souhait, avec les partenaires des MRC, c’est d’aller plus loin, plus en profondeur sur certains enjeux. » La CDR souhaite en effet tenir cinq forums territoriaux pendant l’année 2012, au terme desquels plusieurs projets coopératifs verraient le jour. Deux forums sont déjà au calendrier de l’an prochain. Leurs thèmes seront définis à partir d’une identification préalable des besoins et viseront à « démontrer que la formule coop peut être une solution ».

Urgence écologique et crise institutionnelle

En conférence d’ouverture, Le professeur Louis Favreau, titulaire de la Chaire de recherche en développement des collectivités (CRDC) de l’Université du Québec en Outaouais, a posé les balises du contexte auquel l’économie sociale et solidaire peut apporter une réponse. L’urgence écologique, qui a aussi fait l’objet d’un article complet sur le carnet du chercheur, s’est imposée comme un facteur global qui doit mobiliser la « force de proposition et d’interpellation à l’échelle planétaire » dont disposent les acteurs de l’économie sociale et solidaire. M. Favreau a tenu à souligner que ce secteur représente 10 % du produit intérieur brut (PIB), 10 % des emplois et 10 % de la finance mondiale (Babekew Ashagrie, OIT, 2011).

Autre moment fort, pendant la conférence de fermeture, Claire Bolduc, présidente de la coalition Solidarité rurale du Québec (SRQ), s’en est prise à la perte de contrôle des institutions, que ce soient l’État ou les structures coopératives, associatives et syndicales. « À commencer par l’État, qui oublie les solidarités qui ont conduit à constituer le Québec, c’est l’échec des institutions, qui ont perdu de vue ce pourquoi elles étaient là, leur mission, leur mandat, leur rôle et qui elles doivent servir », a laissé tombé celle qui habite la région du Témiscamingue, rappelant le rôle de vigilance qui doit être exercé par les citoyens et les membres de ces institutions.

Outils concrets pour les coopératives de la région

Le forum a surtout été l’occasion pour les coopératives de la région de se rencontrer et de participer à des ateliers concrets, entre autres sur des techniques de gestion, des perspectives de développement et des outils promotionnels. « Je me suis inscrit dans un atelier où on parlait de marketing et de développement d’outils pour mieux vendre, pour aller chercher de nouveaux clients. », a témoigné Maurice Duclos, directeur général de la Coopérative de solidarité du journal culturel de l’Abitibi-Témiscamingue, mieux connu sous le nom de L’Indice bohémien.

Tout en constatant que l’application concrète des principes énoncés en conférence d’ouverture n’était pas évidente, M. Duclos a tenu à souligner que L’Indice bohémien, en tant que coopérative, est à but non lucratif et imprime son journal sur un papier écologique (Eco pack). Le mode de distribution de l’édition papier, par points de chute, permet de rejoindre environ trois lecteurs par exemplaire, comparativement à 1,8 chez les hebdos distribués dans le publisac. Le créneau de spécialité (culture) fait aussi en sorte que le temps consacré à la lecture du journal soit plus de quatre fois supérieur. La coopérative de solidarité, fondée il y a deux ans, regroupe plus de 200 membres utilisateurs (annonceurs) et membres de soutien (lecteurs) et s’autofinance à 70 %.

Richard Grondin, directeur général de la Coop de solidarité multiressources L’Union de Laforce, a suivi l’atelier qui se déroulait en avant-midi et en après midi sur les techniques de gestion. « Ça nous a donné un coup de pouce, une formation pour nous aider à innover et à avancer. Ce que j’ai aimé, c’est qu’ils m’ont demandé un exemple dans notre entreprise, donc ils ont pris notre cas et ils m’ont donnée des pistes de solutions. » Sa collègue et conjointe Ginette Morin, présidente, a voulu en apprendre davantage sur les outils de promotions et les façons de se « faire connaître, de diversifier notre image. Il faut trouver quelque chose qui va être innovant, parce que c’est ça notre affaire : on innove beaucoup dans notre petite place. » Leur coopérative, qui exploite les produits forestiers non ligneux, qui fait de l’aménagement forestier et qui développe l’agriculture biologique et l’écotourisme dans une municipalité d’environ 150 habitants, soulignera son premier anniversaire le 12 novembre.

Oct 242011
 

À l’issue de la Semaine de la coopération et de la mutualité et du Forum international de l’économie sociale et solidaire (FIESS), Hélène Simard, présidente-directrice générale du Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM) a confié au journal Ensemble son bilan et les projets à venir dans le cadre de l’Année des coopératives.

Nicolas Falcimaigne, journal Ensemble : Mme Simard, quel bilan dressez-vous de la Semaine de la coopération 2011, au niveau des activités qui se sont déroulées au Québec ?

Hélène Simard, CQCM : Cette année, notre cible principale, c’est de rejoindre les élus et le grand public. Pas seulement les convaincus, pas seulement nos réseaux habituels. Pour rejoindre le grand public, on a lancé un grand concours : Ma coop de rêve.com. Et là on s’est aperçu qu’il y a plein de gens qui sont allés, impliqués dans des coop au départ. Mais avec les nouveaux médias sociaux, ils sont en lien avec d’autres réseaux, et ça fait parler des gens qui sont dans une coop, ça les fait en parler aux autres. Parce qu’il y a quand même un beau voyage à gagner, on commence à voir dans les commentaires des gens qu’on commence à rayonner un peu plus large : « Moi, je vais passer à ma coop », « Je vais m’impliquer », « Mon frère est dans sa coop, je vais m’impliquer plus ». Je pense que d’ici à la fin du concours dans quelques jours, on fera un bilan plus précis, mais c’est une expérimentation qu’on fait et c’est intéressant.

Deuxième élément : les élus. Depuis quelques années, durant la Semaine de la coopération, on va rencontrer les élus à l’Assemblée nationale, avec les présidents de tous les grands réseaux coop au Québec. On était donc tous présents à l’Assemblée nationale pour cette rencontre. C’était parrainé cette année par M. Bachand, ministre des Finances, et il y avait le président de l’Assemblée nationale, des députés, des ministres.

On veut développer un contact réel, humain entre les élus et les coopérateurs et leur faire redécouvrir les coop sur leur territoire. Parce que tous ces députés, tous ces gens-là qui font la législation au Québec, on veut qu’ils développent le réflexe de se dire : « Ah, tel projet, tel chose, ça peut aider ou ça peut nuire aux coops ? », qu’ils aient le réflexe d’aller vérifier et de considérer que ce réseau d’entreprises fait partie de solutions et fait partie d’un tissu économique solide au Québec.

D’ailleurs, M. Bachand a souligné dans son allocution le fait que, pour un ministre des Finances, c’est très rassurant d’avoir une économie coopérative parce que ça stabilise, ça n’est pas soumis à la tyrannie du trimestre, ça peut penser à long terme. Les règles de gouvernance sont enchâssées dans la loi coopérative, donc on n’a pas d’inquiétude sur la gouvernance. C’était intéressant d’entendre le ministre des Finances le répéter devant les autres élus de l’Assemblée nationale.

N.F. : Quelles sont les améliorations qui pourraient être apportées à la législation qui encadre l’économie du Québec pour les coopératives ?

H.S. : Le principal problème sur lequel on travaille actuellement, c’est qu’il y a énormément de programmes, de projets de loi que ne spécifient pas ce qui arrive au niveau des coop. On classe le monde entre un monde à but lucratif et un monde à but non lucratif. Les coopératives ne sont ni dans l’un ni dans l’autre. C’est une économie où, quand il y a des excédents, ils sont répartis dans l’entreprise pour assurer sa pérennité, puis auprès des personnes qui en ont fait usage. En réalité c’est une économie de juste prix, c’est une économie basée sur les services qu’on va utiliser à la fin. S’il y a un excèdent, l’entreprise reconnait qu’elle nous a trop demandé et elle le retourne à l’usager.

Donc, cette classification ne convient pas, mais on la retrouve dans tous les programmes et les lois. On a commencé, avec le ministère de la Culture notamment, à réviser les programmes pour spécifier les caractéristiques au niveau des coopératives quand les coopératives sont érigées. On l’a fait avec le Conseil du Trésor, pour les nouvelles politiques d’appels d’offres publics. On autorisait le gré à gré pour les OBNL et l’appel d’offres des entreprises privées sans spécifier. Maintenant, les coopératives pourront choisir leur statut, mais si elles choisissent le statut d’aller dans le gré à gré comme les OBNL, elles seront soumises à un test du ministère du Revenu, à l’obligation de ne pas ristourner et de ne pas payer d’intérêt sur leurs parts. Les autres coop, qui veulent ristourner, qui sont plutôt dans l’économie de marché, elles vont continuer aller dans les appels d’offres publics.

Ce sont quelques exemples, et on a un comité de vigilance au Conseil avec un fast-track avec le gouvernement pour quand il arrive des cas où le modèle coopératif est désavantagé. On va être proactifs maintenant, pour éviter des situations qu’on a trop vu malheureusement ces dernières années. Des gens qui se font dire « ne fais pas une coop, c’est plus facile de faire un OBNL, vous allez avoir droit à telle subvention ». Ou même quelqu’un dans les médias qui nous disait au GESQ : « faites un Inc. et vous allez avoir droit à telle subvention ». Il faut sortir de ce paradigme, il faut faire comprendre aux gens que le paradigme coopératif est un paradigme économique crédible et qu’ils doivent le supporter et ne pas nous obliger à choisir un terme ou l’autre.

N.F. : Quel est votre coup de cœur parmi les initiatives internationales qui ont été présentées pendant le Forum international de l’économie sociale et solidaire (FIESS) et qui pourraient inspirer le Québec ?

H.S. : Les coups de cœur, souvent, sont les contacts plus personnels. J’ai assisté à un atelier sur les mutuelles de sécurité et de santé en Amérique latine et j’ai pu échanger après avec le groupe Odema, qui regroupe à travers l’Amérique latine et centrale des mutuelles de sécurité sociale et de santé. Ce qui m’a frappé, c’est que, sur le terrain, les gens essaient de répondre aux besoins et de sécuriser les familles, d’organiser la mutualité de façon à ce que les gens aient accès aux services, ceux qui n’y ont habituellement pas accès.

Souvent les États sont moins interventionnistes, offrent moins de mesures sociales, alors les mutuelles apportent vraiment une sécurité de base aux familles. En plus, elles ne travaillent pas seules, elles sont regroupées au niveau national, au niveau de 18 États et l’organisation qu’elles ont créée et qui les regroupe est reconnue par l’OMS. Elles ont, par leur approche mutualiste et par le réseau qu’elles se sont donné, une influence sur les grandes politiques de la santé et de prévention, par exemple, et elles viennent influencer leurs États de cette façon. Parfois, pour construire des politiques, l’approche à privilégier n’est pas nécessairement de regarder notre propre univers. C’est peut-être se mettre avec d’autres de notre famille et aller influencer l’univers qui détermine les conditions dans lesquelles vont vivre ces entreprises-là.

Entre autres, elles vivent un phénomène qu’on a vécu au Québec. En se développant, interpellent l’État pour qu’il améliore ses services aux personnes. Plus l’État les améliore, plus la mutuelle perd ce marché, mais elle doit se réorienter et, grâce à cette réflexion qu’ils font ensemble plutôt que d’être sur la défensive et de vouloir protéger uniquement leur créneau, ils encouragent les États à développer des services pour la toute population et font comme les mutuelles au Québec : développer des services complémentaires. Ils aimeraient bien d’ailleurs qu’on devienne membre d’Odema. On leur donnera l’occasion de rencontrer des fédérations de coopératives en santé et services aux familles.

Il y avait tellement de choses très diversifiées, alors c’est un coup de cœur bien sélectif. Ce n’est pas le coup de cœur du mouvement, c’est le contact entre des personnes qui m’ont semblées dédiées, allumées et avec beaucoup de vision.

N.F. : On a dit à la blague : « c’est tellement dense, la semaine de la coopération, qu’on devrait en avoir plusieurs pendant l’année ! » C’est un peu ce qui va se passer avec l’Année des coopératives : on va avoir une année complète. Qu’est-ce que vous avez en vue pour 2012 comme activités, comme mobilisation ?

H.S. : Le 31 octobre, c’est le lancement international au siège social des Nations unies à New York. J’y  serai, ainsi que d’autres représentants du Québec. Mme Monique Leroux y sera, il y aura Mme Bardswick de Cooperators, il y aura une délégation du Canada. Les États qui ont signé la déclaration en faveur de l’Année internationale et le mouvement coopératif de ces pays-là, un peu partout dans le monde, vont être présents pour cette journée de réflexion vraiment à un niveau supra.

Il y aura, tout de suite après, un congrès de l’Alliance coopérative internationale où on finira de mettre la table sur les programmes qui sont transnationaux. Au Québec, on a travaillé pendant 18 mois sur un plan d’action, qui a fait l’objet d’une campagne de financement auprès de nos membres, qui nous a même permis de supporter le programme canadien-francophone pour aider les francophones hors Québec, qui eux aussi auront une programmation pour 2012.

Il va aussi y avoir des activités dans les régions et dans les secteurs, qui vont être autopropulsées comme dans tout le mouvement coop en général, mais au niveau national on mise beaucoup sur le lancement à l’Assemblée nationale au début de l’année. On veut interpeler les associations et les grandes organisations socio-économiques du Québec pour qu’elles signent une déclaration en faveur de la coopération. Alors c’est en cheminement et on veut que les élus fassent la même chose, que l’ensemble de l’organisation sociale se prononce clairement en faveur des coopératives et de la place qu’elles ont dans l’économie du Québec, mais aussi comme potentiel futur dans le développement des ressources, dans le développement des services.

Ensuite, les deux associations canadiennes, qui travaillent ensemble à se rapprocher, vont tenir leur congrès à Montréal en juin. Donc le Québec sera l’hôte, on veut en faire un moment fort de l’année.

Et il y a le sommet international au mois d’octobre. Tout au long de l’année, il y a une montée qui va se faire avec des forums dans toutes les régions, où on va réfléchir en suivi de la Conférence internationale de l’an passé, sur les différents défis de la société, les enjeux et de voir comment le mouvement coop peut faire partie des solutions. On a demandé dans chaque région aux Coopératives de développement régional d’animer ces forums dans le sens de dire : « venez réfléchir à ces questions-là, mais invitez aussi les autres secteurs de la société a réfléchir avec vous. » Ça commence en Abitibi-Témiscamingue au début de novembre, ensuite au Saguenay, et pendant toute l’année on va faire le tour de toutes les régions au Québec et on fait un grand forum à la veille du Sommet international pour dire, nous les québécois, quelle est notre contribution au développement par la formule coopérative.

Avec la collaboration de Laura Carli

Oct 172011
 

Du 13 au 15 octobre, les coopératives de travail se sont réunies à Québec dans le cadre du Congrès nord-américain de la coopération du travail, précédé d’un congrès spécial sur la transmission d’entreprises aux employés. Interrogé en marge de l’événement, Alain Bridault, président de la Fédération canadienne des coopératives de travail (FCCT/CWCF) dresse un portrait inquiétant du défi qui attend le mouvement coopératif au cours de la prochaine décennie.

Nicolas Falcimaigne, journal Ensemble : M. Bridault, pourquoi avez-vous convié les coopératives de travail à un congrès spécifique sur la transmission d’entreprise aux employés ?

Alain Bridault, FCCT/CWCF : Nous avions vraiment pour objectif de réveiller le monde en disant : « écoutez, on sait qu’il y a un tsunami qui s’en vient de 200 000 entreprises au Canada qui vont changer de main d’ici 20 ans. »

Normalement, il n’y a jamais de problème pour la transmission d’entreprise parce que ça se fait régulièrement, mais la génération des papy-boomers va prendre sa retraite. Comme c’est la génération la plus populeuse, cela va créer une espèce de courbe en cloche, dont la pointe devrait être vers 2018, 2020.

C’est comme un raz-de-marée qui va arriver, parce que le mode traditionnel de transmission d’entreprise ne suffira pas. Le ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’exportation (MDEIE) évalue à 55 000 le nombre d’entreprises québécoises qui vont changer de main dans les 10 ou 15 ans, et il va manquer 25 000 repreneurs. C’est ça l’enjeu.

Et moi je dis : « non, il ne manquera pas 25 000 repreneurs. Parce que les employés sont là, ou la population locale si c’est un petit magasin, la dernière épicerie ou la dernière station service qui disparait, ou la quincaillerie. » Oui, il y a des repreneurs. Ce ne sont pas les repreneurs habituels, mais ils sont là potentiellement. Les employés ont intérêt à conserver leur travail.

N.F. : S’il y a des repreneurs, où est le problème ?

A.B. : Cela se fait sous forme de coopérative, et la formule est mal connue. Même au Québec, la région la plus coopérativisée en Amérique du Nord, elle est mal connue. Ce qu’on connaît, c’est les caisses populaire, les coop de consommation, les coop agricoles, mais la formule de coop de travail n’est vraiment pas connu.

Il y a déjà eu des expériences extraordinaires de transmission d’entreprise, mais beaucoup plus en Europe et en Argentine. Tout à coup, avec l’énorme crise qui a frappé l’Argentine, les patrons ont carrément quitté tous les CA et ce sont les employés qui ont repris les entreprises sous forme de coop. Le film The Take le présente bien.

N.F. : Voyez-vous ce phénomène comme une opportunité de transformer l’économie du Québec ?

A.B. : C’est non seulement une opportunité, mais c’est une obligation morale. On ne peut pas se permettre de laisser tomber les régions. C’est surtout en région, parce qu’en ville ça paraît moins une entreprise qui ferme. En région, ça peut être des catastrophes, ça peut être le seul employeur du village qui ferme. Si on ne fait rien, on est irresponsables socialement. Il faut se préparer à ce tsunami. On a les éléments de réponse, on sait comment il faut faire, mais il faut mettre tout un dispositif en place parce que ça va être  des centaines de cas qui vont arriver chaque mois quand on va être à la pointe de la vague.

Si on n’a pas tout un dispositif d’accompagnement, des fonds spéciaux, on risque d’avoir une catastrophe économique et sociale terrible. On a cette responsabilité d’y répondre. On a quelques cas déjà au Québec qui sont merveilleux. Promo plastik, sur la rive Sud, qui fait les petits bonhommes carnaval, c’est une transmission d’entreprise partielle. On a Électro coop, à Rimouski, avec une trentaine d’électriciens. Toutes les coopératives d’ambulanciers, les paramédics, sont des rachats d’entreprise et coopérativisation par les travailleurs. Mais ce sont quelques cas peu connus.

Les coop de travail se sont développées en France, en Italie et en Espagne. Il y a des dizaines de milliers de coopératives dans ces trois pays européens. Des cas magnifiques de transmission d’entreprise saine, beaucoup plus avancés que nous, nous ont été présentés pendant le congrès. C’était ce qu’on voulait montrer. On prend les enseignements d’ailleurs pour mieux réussir.

Une fois l’entreprise transformée en coop, il faut la gérer. C’est tout un apprentissage, la gouvernance. C’est un changement culturel complet. Pour les employés, arriver à se transformer en patron collectif ne se fait pas en criant : « lapin ». Au Canada, ça pourrait être un million d’emplois qui disparaissent.

N.F. : L’alternative, c’est la fermeture ou le rachat par des intérêts étrangers. Qu’est-ce qui vous inquiète le plus ?

A.B. : Les deux. C’est certain que les requins, les compagnies américaines, ou d’autres régions, c’est leur stratégie. Ils rachètent des concurrents pour l’achalandage. Ils rachètent et ils ferment l’entreprise. On a vu des cas dans la région de Québec, c’est une menace directe.

Et s’il n’y a pas de repreneur, le patron lui-même sera victime parce qu’il ne pourra pas vendre. Au moins, en vendant aux employés, il va retrouver ses billes. Tout le monde est perdant s’il n’y a pas de repreneur.

Ça va coûter beaucoup d’argent. Ça prend une expertise. Il faut accompagner un processus qui est complexe. Il faut transférer non seulement les avoirs, l’argent, mais ce n’est pas seulement ça la problématique de transmission. Il faut aussi transférer les savoirs. Le problème, ce sont les savoirs entre les deux oreilles du propriétaire dirigeant. Si on ne le transfère pas, l’entreprise ne fonctionnera pas. C’est ce qui fait la différence. La connaissance du réseau de fournisseurs, comment fonctionne son marché, les savoirs-faire du métier, les pratiques de gestion de ce type d’entreprise-là, ses réseaux personnels et ce sont des informations qui souvent ne sont pas écrites.

Un entrepreneur, c’est toujours un acteur social. Il ne peut arriver à fonctionner que dans la mesure où il arrive à mobiliser un paquet de ressources autour de lui, qui sont des ressources physiques, financières, mais aussi intellectuelles, informationnelles. Cette capacité-là, elle n’est jamais écrite, et c’est ça qu’il faut arriver à transférer. Et puis il y a toute la problématique de transférer les pouvoirs, parce que 95 % sont des petites et moyennes entreprises, de gestion paternaliste, qu’il faut tout à coup gérer collectivement. Ça prend beaucoup d’argent. Avant le contrat de vente, il y a énormément de travail à faire. On a des réseaux existants, mais il va falloir mettre sur pied un dispositif spécial pendant une dizaine d’années.

N.F. : Les Coopératives de développement régional (CDR) auront donc un rôle important à jouer.

A.B. : Oui mais il y a onze CDR, et ce sont des petites équipes. Ils ne fourniront pas. Même le réseau des 120 CLD ne suffira pas. Quand les cas vont tomber par centaines, il va falloir cesser les chicanes de territoire et que tout le monde travaille ensemble pour faire un task force national au niveau du Québec et dans chaque province.

La vague n’est pas partie encore, mais il faut s’y préparer à l’avance parce qu’il faudra plusieurs années pour mettre en place ce dispositif avant que la courbe monte et que l’on voit les premiers dégâts. On a trois ou quatre ans au maximum. Dans très peu de temps il va falloir avoir des capitaux à la disposition. On a besoin d’un fonds de développement coopératif dédié à cette question-là pour pouvoir avoir du capital patient spécifiquement dédié à la transmission coopérative des entreprises.

En même temps, c’est une gigantesque occasion historique qui ne se reproduira jamais, de marquer d’un seul coup et de changer complètement l’économie, surtout celle des régions, qui peut devenir complètement dominée par les coopératives. Ça peut changer l’histoire économique du Québec et du mouvement coopératif, si on sait saisir l’occasion.

Sep 262011
 
Le conseil d’administration de la Coopérative de journalisme indépendant est formé par Dru Oja Jay, administrateur, Nicolas Falcimaigne, président, René Bougie, administrateur, Stéphanie-Élizabeth Le Sieur, secrétaire et Simon Béland, vice-président. - Photo: Nicolas Falcimaigne

Être indépendant de fortune garantit la liberté d’expression. C’est le principe qui a guidé la naissance de la presse indépendante aux XIXe et XXe siècles. Cette presse a évolué vers de grands groupes très puissants, qui font maintenant face à une crise, souvent associée à la disparition du support papier. Et si la cause était tout autre ?

Le besoin d’information n’a pas disparu avec le changement de millénaire. Avec l’arrivée d’internet, on observe même un déplacement du nombre d’heures consacrées à la télévision vers celles consacrées à naviguer sur la toile. De l’information télévisuelle passive, on passe maintenant avec les réseaux sociaux à une interactivité qui permet une animation de l’espace public sans précédent.

Ce qui a changé, c’est l’accès à une information indépendante. La concentration de la presse a fait en sorte que le propriétaire, hier indépendant et maître de sa liberté d’expression, est maintenant assis à la tête d’un empire financier. Cet empire a acquis des filiales dans plusieurs secteurs et les dirigeants ont placé leurs dividendes dans les secteurs les plus prometteurs de l’économie. Rien de plus normal : c’est ce que font toutes les entreprises qui ont du succès.

La différence, lorsqu’il s’agit d’un média, c’est que tous ces intérêts pris dans plusieurs secteurs de l’économie font en sorte que, quel que soit le sujet traité, l’entreprise de presse se retrouve en conflit d’intérêts. Comment aborder le sujet des ressources énergétiques et de leurs impacts lorsque l’on possède des intérêts dans l’exploration pétrolière et gazière ? Comment traiter de la guerre en Irak lorsque l’on investit des sommes faramineuses dans des placements à haut rendement qui s’appuient entre autres sur l’industrie de l’armement ?

Comment couvrir un conflit de travail lorsqu’on est actionnaire de l’entreprise concernée ? Quel regard porter sur les coopératives lorsqu’on incarne le système économique dominant, qu’elles remettent en question ?

On peut mettre sur papier des barrières qui garantissent l’indépendance de la salle de presse, et dans les conventions collectives des clauses qui garantissent celle des journalistes, mais dans l’esprit de ces derniers, à tout moment, leur employeur reste leur employeur. À l’externe, l’apparence de conflit d’intérêts, consciemment ou non, nourrit le cynisme des lecteurs et des citoyens envers les médias d’information et la sphère publique en général.

Le public se tourne alors vers des médias alternatifs ou des blogues, qui relaient parfois les positions de groupes d’intérêts sans toute la rigueur du travail journalistique. Ce secteur en émergence devra se professionnaliser pour acquérir la confiance du public.

La réponse coopérative

Pour reprendre le contrôle de leur accès à l’information, des citoyens de plusieurs régions fondent des coopératives d’information. Que ce soit de grands médias comme Alternatives économiques au niveau international, ou la dizaine de journaux régionaux coopératifs québécois, dont Le Graffici en Gaspésie et L’Indice bohémien en Abitibi-Témiscamingue sont des exemples, les initiatives se multiplient.

Leur indépendance est encore tributaire de leur structure de propriété, qui doit reposer sur des membres pour qui la coopérative représente un intérêt majeur.

Des membres journalistes

En fondant la Coopérative de journalisme indépendant, éditeur du journal Ensemble, nous avons choisi d’en faire une coopérative de producteurs dont les membres sont les journalistes. En inversant la structure habituelle, nous remettons la qualité de l’information au centre des préoccupations de l’entreprise de presse.

Comme son nom l’indique, c’est ensemble que nous réussirons à créer ce nouveau média, dédié à améliorer l’accès des citoyens à l’information, notamment sur les coopératives et sur l’économie sociale et solidaire. Tous les acteurs préoccupés par cet enjeu peuvent participer en adhérant comme membres auxiliaires lecteurs ou annonceurs, en s’abonnant et en abonnant leur entourage à cette édition mensuelle exclusive, en réservant des placements publicitaires et en souscrivant des parts privilégiées au montant de leur choix.

Parce qu’ensemble, on va plus loin.

Surveillez les activités de lancement, qui seront annoncées sur www.journalensemble.coop

Sep 262011
 

Être indépendant de fortune garantit la liberté d’expression. C’est le principe qui a guidé la naissance de la presse indépendante aux XIXe et XXe siècles. Cette presse a évolué vers de grands groupes très puissants, qui font maintenant face à une crise, souvent associée à la disparition du support papier. Et si la cause était tout autre ?

Le besoin d’information n’a pas disparu avec le changement de millénaire. Avec l’arrivée d’internet, on observe même un déplacement du nombre d’heures consacrées à la télévision vers celles consacrées à naviguer sur la toile. De l’information télévisuelle passive, on passe maintenant avec les réseaux sociaux à une interactivité qui permet une animation de l’espace public sans précédent.

Ce qui a changé, c’est l’accès à une information indépendante. La concentration de la presse a fait en sorte que le propriétaire, hier indépendant et maître de sa liberté d’expression, est maintenant assis à la tête d’un empire financier. Cet empire a acquis des filiales dans plusieurs secteurs et les dirigeants ont placé leurs dividendes dans les secteurs les plus prometteurs de l’économie. Rien de plus normal : c’est ce que font toutes les entreprises qui ont du succès.

La différence, lorsqu’il s’agit d’un média, c’est que tous ces intérêts pris dans plusieurs secteurs de l’économie font en sorte que, quel que soit le sujet traité, l’entreprise de presse se retrouve en conflit d’intérêts. Comment aborder le sujet des ressources énergétiques et de leurs impacts lorsque l’on possède des intérêts dans l’exploration pétrolière et gazière ? Comment traiter de la guerre en Irak lorsque l’on investit des sommes faramineuses dans des placements à haut rendement qui s’appuient entre autres sur l’industrie de l’armement ?

Comment couvrir un conflit de travail lorsqu’on est actionnaire de l’entreprise concernée ? Quel regard porter sur les coopératives lorsqu’on incarne le système économique dominant, qu’elles remettent en question ?

On peut mettre sur papier des barrières qui garantissent l’indépendance de la salle de presse, et dans les conventions collectives des clauses qui garantissent celle des journalistes, mais dans l’esprit de ces derniers, à tout moment, leur employeur reste leur employeur. À l’externe, l’apparence de conflit d’intérêts, consciemment ou non, nourrit le cynisme des lecteurs et des citoyens envers les médias d’information et la sphère publique en général.

Le public se tourne alors vers des médias alternatifs ou des blogues, qui relaient parfois les positions de groupes d’intérêts sans toute la rigueur du travail journalistique. Ce secteur en émergence devra se professionnaliser pour acquérir la confiance du public.

La réponse coopérative

Pour reprendre le contrôle de leur accès à l’information, des citoyens de plusieurs régions fondent des coopératives d’information. Que ce soit de grands médias comme Alternatives économiques au niveau international, ou la dizaine de journaux régionaux coopératifs québécois, dont Le Graffici en Gaspésie et L’Indice bohémien en Abitibi-Témiscamingue sont des exemples, les initiatives se multiplient.

Leur indépendance est encore tributaire de leur structure de propriété, qui doit reposer sur des membres pour qui la coopérative représente un intérêt majeur.

Des membres journalistes

En fondant la Coopérative de journalisme indépendant, éditeur du journal Ensemble, nous avons choisi d’en faire une coopérative de producteurs dont les membres sont les journalistes. En inversant la structure habituelle, nous remettons la qualité de l’information au centre des préoccupations de l’entreprise de presse.

Comme son nom l’indique, c’est ensemble que nous réussirons à créer ce nouveau média, dédié à améliorer l’accès des citoyens à l’information, notamment sur les coopératives et sur l’économie sociale et solidaire. Tous les acteurs préoccupés par cet enjeu peuvent participer en adhérant comme membres auxiliaires lecteurs ou annonceurs, en s’abonnant et en abonnant leur entourage à cette édition mensuelle exclusive, en réservant des placements publicitaires et en souscrivant des parts privilégiées au montant de leur choix.

Parce qu’ensemble, on va plus loin.

Surveillez les activités de lancement, qui seront annoncées sur www.journalensemble.coop

Juil 032011
 

Halifax, journal EnsembleCréer des liens coop. C’est le thème du Congrès qui a réuni le mouvement coopératif canadien à Halifax du 27 au 29 juin dernier. Francophones et anglophones de partout au Canada ont consacré leur semaine à discuter ensemble de la création d’une organisation qui regrouperait tout le mouvement coopératif du Canada, sans distinction linguistique. Cette question soulève évidemment l’enjeu de la protection des minorités francophones. Le mouvement coopératif réussira-t-il à surmonter l’obstacle redouté par toute la classe politique canadienne ? Une occasion de vérifier si la coopération se passe de frontières.

« On parle ici de la création d'une nouvelle entité bilingue, qui pourrait parler d'une voix forte au niveau des gouvernements et qui pourrait mieux desservir, sans duplicata, les coopératives à travers le Canada. » - Marthe Hamelin, présidente du CCCM. - Photo: N.Falcimaigne

Les mouvements coopératifs francophone et anglophone canadiens n’avaient pas tenu un congrès conjoint depuis celui de 2008 à Winnipeg. Cette fois-ci, ce sont les membres du Conseil canadien de la coopération et de la mutualité (CCCM), de l’Association des coopératives du Canada (ACC), du Conseil coopératif acadien de la Nouvelle-Écosse (CCANÉ) et du Nova Scotia Co-operative Council (NSCC) qui ont délibéré ensemble. Lire la suite »

Juil 032011
 

Créer des liens coop. C’est le thème du Congrès qui a réuni le mouvement coopératif canadien à Halifax du 27 au 29 juin dernier. Francophones et anglophones de partout au Canada ont consacré leur semaine à discuter ensemble de la création d’une organisation qui regrouperait tout le mouvement coopératif du Canada, sans distinction linguistique. Cette question soulève évidemment l’enjeu de la protection des minorités francophones. Le mouvement coopératif réussira-t-il à surmonter l’obstacle redouté par toute la classe politique canadienne ? Une occasion de vérifier si la coopération se passe de frontières.

Les mouvements coopératifs francophone et anglophone canadiens n’avaient pas tenu un congrès conjoint depuis celui de 2008 à Winnipeg. Cette fois-ci, ce sont les membres du Conseil canadien de la coopération et de la mutualité (CCCM), de l’Association des coopératives du Canada (ACC), du Conseil coopératif acadien de la Nouvelle-Écosse (CCANÉ) et du Nova Scotia Co-operative Council (NSCC) qui ont délibéré ensemble.

Vers une seule organisation coopérative canadienne

La proposition d’intégrer les deux organisations nationales en une seule est le résultat de deux années de discussion menées par un comité de partenariat composé de représentants des deux organisations. Si des lignes directrices et des principes généraux de gouvernance ont été établis par ce comité, les 200 participants au congrès ont tout de même eu à discuter de nombreux éléments pour être en mesure de se prononcer en assemblée générale sur la création d’une nouvelle entité. « On parle ici de la création d’une nouvelle entité bilingue, qui pourrait parler d’une voix forte au niveau des gouvernements et qui pourrait mieux desservir, sans duplicata, les coopératives à travers le Canada. On a eu beaucoup de résolutions et d’amendements, mais je pense que les membres, puisque nos membres des conseils provinciaux étaient très informés, sont prêts à faire un pas et à consacrer tous leurs efforts à l’année 2012, qui sera une vitrine pour les coopératives à la grandeur du Canada. », précise Marthe Hamelin, présidente du CCCM.

Claude Gauthier, président de l’ACC, tout aussi enthousiaste, admet qu’il y a encore du chemin à faire. « Il faut être patients et s’assurer qu’on comprend bien les étapes à franchir. Il va falloir travailler sur ce que nos membres et notre communauté nous disent, en regard de ce qu’on propose et qui est un projet très global pour l’instant. La prochaine étape, c’est d’ajuster les détails définitifs en fonction de ce qu’on a appris et compris. C’est à nous d’ajuster le projet pour être sûrs qu’on rejoint une bonne majorité de notre membership. »

Du côté du comité de partenariat, on salue le chemin parcouru. « J’ai participé au comité de partenariat et je vois qu’il y a eu beaucoup de travail de fait, reconnaît Hélène Simard, présidente du Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM). Pour mieux se connaître, pour comprendre les organisations, les cultures organisationnelles, et essayer de bâtir, dans une perspective d’avenir, dans le respect des communautés et de l’identité des deux institutions fondatrices. »

La nouvelle génération de coopérateurs semble déjà avoir relégué les clivages linguistiques au rang de reliques du passé. Victoria Morris, présidente du National Youth Caucus de l’ACC, pense qu’il est temps de passer à autre chose. « Nous voulons dépasser le paradigme de réalités séparées pour travailler ensemble. Parce que nous voyons qu’il y a plus d’opportunités à créer quelque chose de plus grand. »

Au nombre des six grandes coopératives dont dépendra la nouvelle organisation, et qui s’y verront confier un siège, le Mouvement Desjardins, premier groupe financier au Québec, est favorable au regroupement et entend y assumer un leadership actif. « Nous y voyons beaucoup d’avantages parce que, simplement de faire comprendre aux Canadiens et aux Canadiennes les avantages du modèle coopératif, ça prend une organisation forte et Desjardins est prête à mettre ses billes, confirme Clément Samson, membre du conseil d’administration à titre de président du Conseil des représentants de Québec-Ouest et Rive-Sud. C’est au nom de nos valeurs, parce qu’on partage les mêmes valeurs à l’échelle canadienne, les valeurs coopératives, et on partage notamment celle de l’intercoopération, où on met ensemble des coopératives de moins grande taille et de plus grande taille, et nous sommes conscients qu’on a un rôle à jouer. On voit ça d’un bon œil de pouvoir partager autour d’une seule table nos défis et nos ambitions. »

Débats linguistiques dans le berceau de l’Acadie

Le gouvernement néo-démocrate de la Nouvelle-Écosse, province anglophone qui est aussi le berceau de l’Amérique française, a probablement délégué pour cette occasion son plus fervent francophile. C’est le ministre des Finances, Graham Steele, qui s’est adressé aux coopérateurs, principalement dans un  français impeccable. Interrogé en marge de l’événement, celui qui a la responsabilité des caisses populaires admet s’être lui-même questionné sur la pertinence de garder deux organisations différentes dans la même province. « Le Conseil coopératif acadien est assez petit, et basé à Chéticamp, il est un reflet de l’histoire de cette région, explique-t-il. Peut-être qu’ils ont peur de perdre la nature francophone de leur organisation s’il y a une fusion avec le réseau anglophone. Ici la population acadienne est seulement 3%, située dans des communautés isolées, et il y a toujours la crainte d’être assimilée dans un océan anglophone. C’est une question intéressante, la question de l’unité, qui va être posée au congrès, non seulement en Nouvelle-Écosse mais également au pays, de fusionner ces deux organismes. »

Cette crainte trouve son écho chez les plus jeunes générations. Mélissa Basque fait partie du Comité consultatif jeunesse créé par la Fédération des caisses populaires acadiennes. C’est sa passion pour les coopératives qui l’a amenée à s’engager dans sa communauté de Tracadie-Sheila. « C’est sûr qu’on est toujours un peu inquiets. Quand tu vis près des Anglais, tu t’aperçois que, parfois, ils essaient de tirer la couverture un peu plus vers eux. Tu as toujours peur de perdre ta langue parce qu’on est minoritaires, ils sont beaucoup plus nombreux que nous. Tu as peur qu’ils se lèvent debout et qu’ils disent : « Nous autres, ont est beaucoup plus nombreux. On a le droit à ça, à ça et ça, pis vous autres vous êtes moins, fait que vous avez le droit à moins. » Surtout que nous, la jeunesse, on a un droit de vote au CCCM, et eux ne l’ont pas au CCA. On a peur de perdre ça aussi. On a tout le temps peur qu’ils essaient de prendre le dessus. Un Français, quand il rencontre un Anglais, la première chose qu’il fait c’est qu’il parle anglais. Il change sa langue et il parle anglais. Tu as toujours peur de te faire assimiler, c’est toujours une inquiétude. »

Marco Plourde, président des jeunes coopérateurs et mutualistes du Canada, est aussi le responsable du Comité consultatif jeunesse des Caisses acadiennes. Il confirme que les délégations jeunesse du CCCM et de l’ACC n’ont pas les mêmes pouvoirs. « On ne veut pas perdre nos acquis, parce qu’on s’est quand même mobilisés pour avoir le poste qu’on a présentement, qui n’existe pas du côté anglophone. Donc si les deux organisations se marient pour former une nouvelle entité, c’est sûr qu’on ne veut pas perdre ça. Les mentions qui ont été faites hier d’avoir deux postes jeunesse correspondent à qu’on voulait : avoir un représentant francophone et un représentant anglophone qui siègent au niveau du conseil d’administration pour apporter la diversité des deux côtés parce que c’est pas toujours pareil mais ça prend quand même une bonne information. »

Autre génération, même son de cloche. Coopérateur d’expérience, Marcel Garvie est président de Coop Atlantique et administrateur de l’ACC. « J’ai des inquiétudes parce que ça fait déjà 18 mois qu’on brasse cette idée-là, et d’entendre qu’une des organisations nationales se dit pas prête et dit vouloir aller consulter encore ses membres, c’est toujours un peu inquiétant. Est-ce qu’il y a anguille sous roche ? Pourquoi retarder indéfiniment ? En tant que président Coop Atlantique, je suis le seul représentant d’un organisme officiellement bilingue. Nous, on vit ça au quotidien, au Nouveau-Brunswick, cette méfiance entre les deux groupes linguistiques. Je ne suis pas surpris de la voir au niveau national. Rappelons-nous tout simplement l’échec du Lac Meech, par exemple. Au début, on était tous d’accord avec le principe général, ensuite on s’est mis à faire des caucus dans les chambres, et puis un beau matin, on s’est rendus compte que les anglophones ne voulaient plus embarquer. C’est ce qui risque d’arriver, c’est un danger réel. »

Interrogés sur la protection des minorités linguistiques, les présidents du CCCM et de l’ACC affirment avoir à cœur la représentation de la diversité. Mme Hamelin pense « que le conseil d’administration va s’assurer que, même si les grandes coopératives francophones et anglophones sont représentées et ont des sièges au conseil d’administration, la diversité de l’est à l’ouest, en français et en anglais, sera à la table. Les petits n’ont pas à s’inquiéter, je pense qu’ils auront une place et on leur fera une place. » Pour M. Gauthier, au-delà des structures, la question linguistique doit trouver sa réponse dans l’engagement des membres. « L’intention aujourd’hui est très claire, mais avec les années, quand les gens se remplacent, la dynamique change. Si la communauté francophone perd de vue ce besoin-là elle-même, les gens qui la représentent vont mettre moins de priorité là-dessus. Ça dépend entièrement de la communauté francophone. Il faut qu’elle continue à jouer son rôle et d’être claire. »

Hommages et distinctions

Le gala tenu lors du congrès a été l’occasion pour le mouvement coopératif de reconnaître les efforts d’individus qui se sont investis dans plusieurs réussites collectives. L’Ordre du mérite coopératif et mutualiste canadien a été remis à Raymond Doucet, Camille Thériault et Paul Cabaj. Le Nova Scotia Distinguished Co-operator Award a aussi été remis à Dr. Greg MacLeod.

Bill Lyall, président de Arctic Co-operatives Limited, a prononcé un vibrant témoignage.
Photo: N.Falcimaigne

Le président de Arctic Co-operatives Limited, Bill Lyall a pour sa part reçu le Canadian Co-operative Achievement Award. Laurette Deveau, qui a été directrice du Conseil coopératif acadien de la Nouvelle-Écosse, a vu son engagement reconnu dans les deux langues par l’Ordre du mérite coopératif et mutualiste canadien et le Nova Scotia Distinguished Co-operator Award.

Pour la première fois, le Global Co-operator Award de l’ACC a été décerné à une organisation, Gay Lea Foods Co-operative, plutôt qu’à un individu. Une façon de souligner que la coopération mène à des réussites avant tout collectives.

Ont également été introduits au Temple de la renommée coopérative canadienne, Thomas Edgar Brady (1917-2005), qui a activement participé à l’émergence du mouvement coopératif dans l’est de l’Ontario et occupé des postes de direction dans ce qui est maintenant devenu Gay Lea Foods, Allister Marshall (1928-2005), administrateur du Scotian Gold Co-operative et directeur de Co-op Atlantic, ainsi que Benjamin Voth (1926-2010), pionnier dans le mouvement des caisses de Colombie britannique et administrateur de East Chilliwack Credit Union (devenu First West Credit Union).

Le gala tenu lors du congrès a été l’occasion pour le mouvement coopératif de reconnaître les efforts d’individus qui se sont investis dans plusieurs réussites collectives.
Photo: N.Falcimaigne

Juin 302011
 

Lelystad, journal EnsembleFlevoland, Pays-Bas. Les moulins à vent ne servent pas qu’à moudre le grain. Symbole de la Hollande, ils sont littéralement à l’origine de ce pays d’Europe du Nord, tel qu’on le connaît aujourd’hui. En fournissant l’énergie nécessaire à pomper la mer hors des marais, ils ont permis l’émergence des polders et la transformation de ce littoral humide en territoire. C’est aussi un vent d’interdépendance et de coopération qui a rendu possible la création des premiers polders dès le Moyen-âge. Il s’y bâtit depuis le XXe siècle le cœur de l’Europe économique. Quelques pas sur l’improbable Nouveau Monde du Vieux Continent.

La digue qui relie Lelystad à Enkhuizen divise en deux la mer intérieure, Zuiderzee, et constitue un axe routier important entre l’Est et l’Ouest des Pays-Bas. - Photo: N.Falcimaigne

Le musée Nieuwland de Lelystad raconte cette histoire fascinante, où l’aménagement du territoire prend son sens le plus extrême. Henk Pruntel, chercheur au musée, explique que c’est avec l’apparition de la machine à vapeur, au XIXe siècle, que de grands projets commencent à devenir réalistes. On projette alors de refermer Zuiderzee, la mer intérieure, et d’en faire émerger plusieurs polders modernes. Une énorme tempête, en 1916, et la nécessité d’améliorer la sécurité alimentaire des Pays-Bas, victimes de blocus pendant la Grande Guerre, ont insufflé la volonté politique nécessaire pour passer aux actes. Les digues seront toutefois détruites par les Allemands pendant la Deuxième Guerre mondiale, causant des inondations dévastatrices. Lire la suite »

Juin 092011
 

Bruxelles, journal EnsembleLa Cour d’appel de Bruxelles a confirmé, le 5 mai dernier, le jugement intervenu en première instance en 2007, qui condamnait les pratiques de reproduction illégales en matière de droit d’auteur, de parties significatives d’articles de presse sur Google Actualités Belgique. Cette victoire de la presse doit beaucoup à la Société coopérative à responsabilité limitée Les Journaux Francophones Belges (JFB).

Le Soir, grand quotidien bruxellois, est membre de la coopérative des Journaux francophones belges (JFB). - Photo: N.Falcimaigne

Le Soir, important quotidien bruxellois, est membre de la coopérative. Son directeur général, Didier Hamman, voit dans le jugement une importante victoire collective. « Nous avons fait école dans l’ensemble du monde », s’exclame-t-il, avant d’ajouter que la protection des sources est un autre front sur lequel s’exerce la vigilance de la coopérative.

« Notre action a contribué au vote de la loi sur le secret des sources de 2005 qui est une des plus protectrices des droits des journalistes, renchérit Catherine Anciaux, juriste chez JFB. Nous avons pu, à différentes reprises, arrêter des projets de loi ou d’autres mesures dont les effets auraient pu être dramatiques pour le secteur. L’action menée contre Google a permis la reconnaissance officielle, à deux reprises déjà, des droits des éditeurs de presse sur leurs contenus et l’obligation d’une autorisation préalable avant l’utilisation de ceux-ci par des tiers. » Lire la suite »

Mai 142011
 

Au sortir d’une crise économique sans précédent, l’Amérique du Nord se relève en s’appuyant notamment sur de grands chantiers et sur l’exploitation des ressources naturelles. Quelle épingle les régions rurales peuvent-elles tirer de ce jeu qui les place au centre de l’arène? Jean-Paul Lallier, conseiller stratégique au cabinet d’avocats LKD, et John Parisella, délégué général du Québec à New-York, se partageront le panel de la Conférence nationale pour répondre à cette question. Rejoints par téléphone à quelques jours de l’événement, ils ont accepté de donner un bref aperçu de leur vision.

Aux premières loges de notre voisin du sud, John Parisella situe la lente reprise économique dans le contexte politique où le président Obama a joué ses grosses cartes en début de mandat. Les grosses réformes étaient nécessaires, mais elles sont choses du passé. La relance passe maintenant par le développement des nouvelles technologies. «En ce moment, la croissance est de l’ordre de 3% en général, mais dans le domaine des technologies de l’information, elle touche les 17%.»

Transport à grande vitesse

Un projet de transport rapide, tel que le monorail proposé par l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC), pourrait-il désenclaver les régions? «C’est important de regarder les transports comme un tout, avec des éléments d’intégration, souligne le diplomate. Je ne veux pas qualifier un système plus qu’un autre. Pour faire face à des besoins et aux changements climatiques, je vois le mouvement sur rail comme étant quelque chose de positif.» Sur le TGV Montréal-New-York, un sujet qui lui tient à cœur, le Délégué général parle d’un consensus qui est en train de se développer en faveur du transport de passagers par rail aux États-Unis.

L’ancien maire de Québec insiste pour sa part sur le rôle de leadership complémentaire que doivent assumer les villes. «Quand Québec se présente comme une ville d’histoire, il ne faudrait pas qu’elle oublie d’associer les territoires où il y a aussi de grands morceaux de notre histoire.»

M. Lallier affirme que, pour se développer, les régions doivent d’abord trouver leur identité. «Le côté touristique, ce n’est pas uniquement d’aligner des motels sur la route. C’est ce qu’on a à partager avec les gens qui viennent ici. Charlevoix a assumé son identité. D’autres régions se perçoivent encore à travers le potentiel d’exploitation des ressources naturelles. On revient cinquante ans en arrière.»

Ressources naturelles

C’est pourtant les grands projets d’exploitation des ressources naturelles qui sont souvent présentés comme la planche de salut des régions. Les projets miniers, hydroélectriques et éoliens sont-ils réellement structurants pour les régions? «Il suffisait qu’une compagnie dise “Je vais vous donner tant d’argent pour implanter mon éolienne sur votre terre”, et le cultivateur prenait le morceau, pensant que c’était bien bien payé pour utiliser un fond de terrain dont il ne se servait pas», s’indigne l’ancien maire pour illustrer le laisser-faire qui a caractérisé les appels d’offres en éolien. À cette approche, il oppose celle de la coopération.

Coopération

«Les régions qui se servent d’un des outils les plus traditionnels du Québec, c’est-à-dire les coopératives, défendent mieux leurs intérêts et partagent le bénéfice. Ça a toujours été pour le Québec une stratégie gagnante», rappelle-t-il en ajoutant que si on n’avait pas eu la coopération, le Québec ne serait pas devenu ce qu’il est. «La coopérative, c’est la mise en commun de ressources modestes qui, elles, constituent alors un important bassin de ressources. C’est tout le principe de la solidarité. C’est ça qu’il faut développer en région. Une des forces potentielles des régions, c’est qu’il est plus facile d’y développer des solidarités autour de projets gagnants que ça peut l’être dans le quartier Saint-Michel à Montréal, par exemple.»

Paul-Albert Brousseau, garagiste et maire de Saint-Ailleurs-de-l'Avenir, a présenté L'Écho de L'Avenir à la presse. Photo: N.Falcimaigne

Paul-Albert Brousseau, garagiste et maire de Saint-Ailleurs-de-l’Avenir, a présenté L’Écho de L’Avenir à la presse.
Photo: N. Falcimaigne

Cet article fait partie du journal spécial L’Écho de L’Avenir, réalisé dans le cadre de l’événement Ruralia et publié dans Le Devoir du samedi 14 mai 2011, organisé par Solidarité rurale du Québec (SRQ). Si le journal est un hebdo fictif inventé pour le village fictif de Saint-Ailleurs, qui était le salon de la ruralité, les articles qu’il contient sont tous de bien réels articles de journalisme indépendant portant sur des nouvelles réelles et répondant aux standards élevés de la Coopérative de journalisme indépendant. Sauf cet article qui en faisait la Une et qui est une fiction.