Chère Mélanie Joly, ministre du Patrimoine canadien

Chère Mélanie,

Malgré notre alors jeune âge, c’est comme «mentors» en entrepreneuriat social que nous nous sommes rencontrés, à l’école d’été de l’INM, celle qui a eu lieu à Québec. Puis, Génération d’idées et le journal Ensemble nous ont accaparés chacun de notre bord. «Entrepreneurs sociaux», nous nous sommes suivis de loin, au-delà de toute partisanerie. Aussi me permettrai-je de te tutoyer, comme dans le temps.

L’entrepreneuriat social qui était notre point commun m’a amené à démarrer trois coopératives dont ce journal, puis maintenant à prendre la relève d’une maison d’édition. Toi, tu as choisi la politique. Forte des acquis de ta firme de marketing, tu as sauté sur le tremplin de la mairie de Montréal, et te voilà ministre. Toutes mes félicitations!

Te voilà ministre de «Patrimoine canadien – Canadian Heritage», et donc responsable du fonds de soutien à l’édition. Puisque c’est mon secteur d’activité, l’édition, permets-moi de faciliter ton entrée en poste en te fournissant quelques informations sur le terrain miné que t’a laissé le précédent gouvernement.

Figure-toi donc que, à peine quelques mois avant de quitter le pouvoir, le gouvernement Harper a émis une nouvelle directive qui impose aux éditeurs de mentionner l’aide de Patrimoine canadien – Canadian Heritage dans les deux langues, chose qui était impensable jusqu’alors. Imagine des milliers de livres en français, destinés à un lectorat francophone, et criblés d’une mention en anglais. Ça fait dur.

Je reviens d’un salon du livre, et toutes les personnes que j’ai rencontrées, auteurs, éditrices, libraires, lectrices, trouvent que cette directive est inutile et même nuisible. Au mieux, c’est de la pure provocation. Toi qui as déjà publié un livre, tu sais à quel point chaque détail compte.

On se demande même si l’intention du précédent gouvernement n’était pas de se servir du secteur de l’édition, précaire s’il en est, comme d’un champ de bataille linguistique. Provoquer une levée de boucliers, puis humilier publiquement la défense du français au Québec pour se faire du capital politique dans le reste du Canada, en faisant oublier le désastreux bilan de leurs dix années au pouvoir. Imagine… c’était peut-être ça, l’agenda des Conservateurs.

Ou encore, une fois ce terrain conquis au bilinguisme, il suffirait de demander la même chose aux producteurs de films, aux maisons de disques, aux entreprises du spectacle, aux médias d’information. «Bienvenue au Festival de la Chanson de Tadoussac, nous tenons à remercier l’aide financière de Patrimoine Canadien – We’d like to thank Canadian Heritage for their financial support.» Imagine… Tes oreilles québécoises ne grichent-elles pas?

En tout petits caractères, dans les normes d’un programme d’aide financière, Stephen Harper était en train d’ouvrir une brèche menaçant cette nation qui a pourtant été reconnue par son gouvernement, et cette brèche peut mener à un conflit comme ceux qu’on a vécus pendant les années 1960 et 1970, avant qu’on se dote de la Charte de la langue française (loi 101) qui protège notre langue officielle, le français. Cette nouvelle directive du gouvernement conservateur exige en effet des artisans de la culture québécoise qu’ils contreviennent à la loi 101. C’est inadmissible.

Tu as le pouvoir d’annuler très facilement cette directive et de redonner un semblant de paix linguistique à ton grand pays canadien. J’espère que cela fera partie de tes priorités.

Pour ma part, je vis déjà les impacts très concrets de cette directive ministérielle qui nous coupe d’un financement public essentiel au milieu de l’édition: deux mois d’arrêt sans chômage cet été, des heures réduites depuis, la conséquente surcharge de travail, moins de temps avec mes enfants, petits boulots pour boucler les fins de mois. «Pour le reste, il y a Visa.»

Qu’à cela ne tienne, nous continuerons à publier. Je suis prêt à faire des sacrifices pour protéger notre langue et notre culture, comme l’ont fait des générations de Québécois depuis des siècles. Nous tiendrons le siège, et la langue maternelle de nos petits enfants ne sera pas l’anglais.

Bonne chance et bon courage!

Nicolas Falcimaigne

L’auteur est président de la Coopérative de journalisme indépendant, éditeur du journal Ensemble, ainsi que compagnon à la relève des Éditions Trois-Pistoles. Il signe cette chronique en tant qu’être humain.

Le Keolis d’autobus

Trois-Pistoles — Le transport des personnes en région est-il un commerce ou un service essentiel? La compagnie Orléans Express (devenue une filiale de Keolis) a réduit la fréquence de ses trajets d’autobus en région depuis quelques mois. Il est devenu impossible pour une personne de se rendre à un rendez-vous dans la ville voisine autrement qu’en auto ou en taxi. C’est la logique d’affaires qui a dicté ces changements, dit-on. En tout cas, ce n’est pas un changement guidé par le besoin des populations rurales.

Ce matin, j’ai franchi une nouvelle étape dans cette aventure Avec pas d’char. J’ai pris un billet pour la ville voisine, Rivière-du-Loup. Le seul service disponible, Orléans Express, devenue filiale de Keolis, me propose quarante minutes de route aller et autant au retour, pour trente piastres. Entre l’arrivée à 9h et le retour à 15h45, six grosses heures. Espérons que ce soit suffisant pour ce rendez-vous médical et son attente inévitable, s’y ajoutant le transport entre l’hôpital et l’autobus.

Je suis chanceux: en Gaspésie, il n’y a même plus d’aller-retour la même journée. Les gens doivent prendre un hôtel. Quand je cherche Gaspé – Sainte-Anne-des-Monts, on me propose de partir à 7h15, d’arriver à 10h25, puis de repartir à 8h30 et d’arriver à 11h35 du matin… la même date. Un petit voyage dans le temps avec ça?

Pardonnez ce moment d’humeur et les écarts de langage qui vont avec, mais il y a de quoi se fâcher quand je constate qu’on a non seulement démantelé notre réseau ferroviaire régional pour en faire de jolies pistes cyclables et autres sentiers de randonnée, mais qu’en plus on réduit à une peau de chagrin le service d’autobus, à des tarifs élevés qui vont tout droit dans les poches d’investisseurs privés et étrangers.

Keolis est une entreprise privée détenue à 70% par la Société nationale des chemins de fer (SNCF) française et à 30% par la Caisse de dépôt et de placement du Québec. En 2002, le propriétaire d’Orléans Express, Sylvain Langis, a vendu 75% de ses parts à Keolis, puis le reste en 2011.

Le transporteur exerce au Québec un quasi-monopole. Ce qui reste dans plusieurs régions l’unique service de transport collectif est livré pieds et poings liés aux lois du marché, et les profits s’envolent ensuite pour l’Europe.

Face à l’épuisement des ressources pétrolières, à l’effondrement des écosystèmes, à la crise socio-économique, il faudra bien développer des alternatives au transport individuel. Dans presque tous les autres pays du monde, le transport des personnes est principalement collectif. Vers quoi se tournera-t-on alors?

Irons-nous encore vers le privé, ou choisirons-nous de nous donner collectivement des moyens de transport modernes, dont l’objet est de répondre aux besoins des populations plutôt que d’exporter des profits? L’un de ces projets est le monorail à grande vitesse, qui pourrait devenir un grand projet de société public et même coopératif. Aurons-nous enfin de l’audace?

 

Ensemble fait peau neuve !

Chers lecteurs, chères lectrices, il nous fait plaisir de vous présenter le nouveau site d’Ensemble, qui est maintenant accessible sur ensemble.coop. Le nouveau site, développé par notre coopérateur de longue date Marc Ouimet, remplace le présent site conçu par notre cofondateur Dru Oja Jay, à qui nous devons les cinq premières années de publication en ligne. La plus grande reconnaissance de la coopérative s’adresse à ces deux piliers qui n’ont pas compté leurs heures pour rendre l’information indépendante accessible au plus grand nombre de personnes.

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