Fév 062024
 

Certains se souviendront du journal Ensemble !, publié dès les années 1940 sous la direction de Georges-Henri Lévesque, et qui était le journal des coopératives et du coopératisme au Québec. Ceux qui ont été présents l’an dernier à la Conférence internationale Quel projet de société pour demain ? à Lévis ont tenu dans leurs mains les premières éditions d’un nouveau journal Ensemble, publiées quotidiennement par une équipe de bénévoles.

Ces jeunes coopérateurs motivés ont fondé la Coopérative de journalisme indépendant, avec l’appui de leurs deux co-présidents d’honneur, Claude Béland et Raymond Corriveau. C’est dans le cadre de la journée On change de modèle, du Forum international de l’économie social et solidaire (FIESS) que Gérald Larose, président de la Caisse d’économie solidaire Desjardins, a procédé au lancement officiel du nouveau journal Ensemble, presse coopérative et indépendante, lundi dernier.

Gérald Larose, président de la Caisse d’économie solidaire Desjardins, présente le journal Ensemble aux 250 participants à la journée On change de modèle, du Forum international de l’économie sociale et solidaire (FIESS):

Ce journal a pour mission de redonner aux citoyens accès à une information de qualité, notamment sur la coopération, les coopératives, les mutuelles, l’économie sociale et solidaire. Pour Raymond Corriveau, co-président d’honneur, « ce que ça nous permet de faire, c’est de retrouver l’essentiel de l’espace public. Pas l’espace concentré, mais l’espace public, avec ses différentes idées, discussions, débats, ensemble, on arrive à créer une intelligence collective. »

Raymond corriveau, co-président d’honneur, présente le journal Ensemble:

Formés en coopérative, ils invitent tous les citoyens et organismes à participer, à devenir membres, à s’abonner, à annoncer dans les pages d’Ensemble. Ce qui est important, « c’est l’économie solidaire qu’on crée grâce aux coopératives, souligne Claude Béland, co-président d’honneur. Cette économie-là est une alternative au désastre actuel du système dominant. Donc c’est très important que le réseau, lui, vive ensemble. » Soutenir le développement de ce médium, c’est permettre au projet de société coopératif de rejoindre le plus large public possible, vers l’Année des coopératives en 2012, et plus loin encore !

Parce qu’ensemble, on va plus loin.

Claude Béland, co-président d’honneur, présente le journal Ensemble:

 

Déc 192016
 

Les patates en poudre, on n’en parlera plus après Noël. Les être humains qui peuplent les CHSLD continueront de manger de l’austérité, bien sûr. Mais pour nous, le grand public, cette poudre aux yeux n’aura pas fait long feu.

Il faut donc, avant qu’il soit trop tard, que je vous raconte mon anecdote de patates en poudre, qui s’est passée à l’aéroport de Mirabel – qui a pris sa retraite et qui probablement se nourrit très mal depuis ce temps-là.

J’avais seize ans. Loin, très loin de l’âge de ceux et celles que l’État nourrit mal aujourd’hui. Et pourtant, j’avais fui cette contrée. J’étais retourné aux sources puiser mon éducation à la France natale de mes parents. Entre autres parce que le système d’éducation d’ici est très, très, malade. Comme celui de la «santé».

Ma maman, qui était née vraie Parisienne mais qui ne l’était plus, avait elle aussi fui sa contrée bourgeoise pour vivre au Québec cette vie plus libre et plus simple que sa famille n’a jamais bien comprise.

Elle a donc suivi mon papa, ce bohème issu des quartiers populaires en quête d’une vie trépidante, et ce duo improbable a mis le pied en Amérique.

Ma maman aimait autant le Québec qu’elle détestait le Tout-Paris. De temps à autre, elle était tout de même en proie à d’indicibles relents de nostalgie, qui lui faisaient dire qu’ici, il n’y a pas de vrai fromage, ou qu’ici, il n’y a pas de vraie bière. Je caricature à peine: c’était les années 80. Le désert alimentaire.

La décennie d’après, j’étais donc en train de préparer mes bagages pour rentrer à la maison après une année de lycée très français et très classique, quand soudain, le téléphone sonne de cette sonnerie exotique européenne. Fébrile au bout du fil, ma maman me demande de lui rapporter quelque chose de précieux. Quoi? Du champagne? Du foie gras? De la mimolette? Non.

Elle me demande de lui rapporter de la purée Mousline, saveur de sa jeunesse. Aucune idée de ce que c’est. Ma tante m’instruit. C’est une purée de pommes de terre lyophilisée, vendue en épicerie.

Et nous voilà dans les rayons du magasin E. Leclerc. La purée Mousline se vend en boîte de carton. Chaque boîte contient des sacs aluminés contenant la précieuse et mystérieuse substance.

Alors je débarrasse le produit de sa boîte en carton, et je place soigneusement les sacs aluminés dans ma valise. Puis, je prends l’avion, dégustant l’ivresse du retour dans ces terres de liberté sauvage et capitaliste.

En débarquant du transbordeur (pour les ceusses qui n’ont pas connu Mirabel, cet aéroport d’avant-garde, il s’agit des autobus-ascenseurs qui nous embarquent pour une virée sur le tarmac et nous hissent vers la porte de l’avion ou inversement), je me hâte vers ces guichets de plastique jaune moulé que hantent les constables des douanes en quête de votre passeport pour l’étamper soigneusement.

«Rien à déclarer?» Je suis toujours fébrile à ce moment-là. Jamais rien eu à ne pas déclarer, mais n’empêche que c’est intimidant. Je tends mon passeport en affectant un air assuré et le récupère aussitôt, intact et tamponné.

Je me dirige vers l’attente interminable de la valise. Chose rare, le bagage arrive rapidement. Ne me reste plus qu’à rejoindre la maman qui m’attend de l’autre côté du corridor. Je sais qu’elle est là: elle m’a envoyé la main du haut de l’étage où la baie vitrée donne à voir les arrivées aux badauds.

«Please follow me.» Mon anglais approximatif de l’époque ne me fournit pas grand souvenir du propos du douanier, sauf qu’il m’a parlé en anglais dans les deux langues officielles et que j’étais pétrifié.

Il me fait ouvrir ma valise. Stupéfaction. Un des sacs d’aluminium s’est ouvert pendant le voyage; voilà toute sa cargaison de poudre de patates qui jonche mes vêtements. Plein de belle poudre blanche répandue dans ma valise.

C’est toute une surprise pour moi, car je n’avais aucune idée de la matière qui se cachait dans les sacs en miroir qui n’avaient daigné refléter que mon visage quand je les avais examinés avant de partir. Je m’inquiète d’abord pour mes vêtements et pour la perte de patates que cela représente pour ma maman. Voilà un beau gâchis.

Mais en tournant mon regard vers le sévère douanier, je comprends que son souci est tout autre. Ha ha! Bien sûr, des sacs en aluminium qui contiennent de la poudre blanche. C’est suspect!

«It’s potatoes», que je lui dis. «Taste it! Taste it!»

Le ridicule de la situation m’arrache un rire nerveux. Va-t-il me croire? Vais-je finir la journée – ou ma vie- en prison?

Il affecte un mouvement de recul. Toujours il me toise de son œil impassible. Alors je prends un peu de poudre blanche dans ma main et je la goûte devant lui. «Trust me, it’s potatoes. Want some?»

Il n’a pas goûté. Il a fermé ma valise et me l’a rendue, puis il m’a raccompagné vers la sortie.

Je pense qu’il s’est moqué de moi. Il savait bien que c’étaient des patates en poudre. Sinon, ses chiens auraient réagi.

Je pense qu’il s’est moqué de moi comme se moque de nous ce gouvernement. Ce gouvernement se moque de nous tous, et de ma mère qui, un jour, devra bien recevoir des soins, et donc, des patates en poudre?

Ils se moquent tellement qu’ils font des spectacles où le ministre Barrette déguste à nos frais des repas de CHSLD sous les projecteurs. Bientôt, va-t-on nous offrir à voir la baignade du ministre des Ressources naturelles dans un lac minier contaminé, ou le mois du ministre de la Solidarité sociale avec 399 $ dans ses poches?

Une infime fraction de l’argent qui s’envole dans les paradis fiscaux, dans les valises des plus riches, pourrait payer de vraies patates bio et des grands cuisiniers à tous les CHSLD.

Avec une taxe de 1 % sur les profits des banques, on pourrait offrir l’éducation gratuite.

De raisonnables redevances minières nous vaudraient un système de transport rapide entre les régions du Québec.

Mais ce gouvernement se moque de nous.

Parce que ce gouvernement ne travaille pas pour nous.

Avr 012016
 

 

Veuillez noter que cet article, publié à l'occasion du premier avril 2015, est une fiction, tout comme plusieurs autres articles publiés dans les journaux ainsi que le veut la tradition. Au journal Ensemble, nous saisissons l'occasion pour utiliser exceptionnellement cette forme d'éditorial efficace et appréciée qu'est le canular. Les faits relatés n'ont donc pas eu lieu. Nous remercions les personnalités publiques réelles auxquelles le texte fait référence pour leur aimable compréhension.

Après Philippe Couillard, qui s’est fermement opposé à l’exploitation pétrolière sur Anticosti, c’est au tour du premier ministre fédéral de prendre le virage vert. Entouré de Catherine McKenna, ministre de l’Environnement et Changement climatique Canada, et de MaryAnn Mihychuk, ministre de l’Emploi, du Développement de la main d’œuvre et du Travail, Justin Trudeau a annoncé la reconversion des sables bitumineux en un «vaste chantier de réparation de la planète».

Hier en fin de journée, le premier ministre a tenu une conférence de presse extérieure dans un endroit reculé, d’où journalistes et dignitaires ont pu admirer un splendide coucher de soleil à travers les cheminées et les rejets polluants de Fort McMurray. «Le crépuscule se couche sur l’industrie pétrolière» [sic], a-t-il déclaré, le visage baigné de lumière dorée.

Le plan de transition remis aux journalistes prévoit la transformation de la région en vastes champs de culture de chanvre permettant de «redonner son originale vocation à Les Prairies, [sic] a précisé M. Trudeau, comme un vert paysage de la paix et de prospérité». Le Premier ministre a expliqué que le coût de restauration des sites contaminés est hors de portée des compagnies pétrolières, surtout depuis l’effondrement du prix du pétrole. «Nous avons donc forcé les grandes pétrolières à former une grande coopérative de la solidarité : la Coop de solidarité du chanvre canadien. Ce type de coop est basé même sur un modèle québécois, [sic] a-t-il clamé, ne cachant pas sa fierté. Elles lui en cèdent sans frais tous leurs actifs albertains et elles lui deviennent simples membres-producteurs.» [sic]

Les installations pétrolières seront reconverties et le personnel sera invité à devenir membre-travailleur. Tous les Canadiennes et les Canadiens pourront également devenir membres-consommateurs et bénéficieront ainsi de prix sur les produits. Les entreprises de culture ou de transformation pourront aussi devenir membres-producteurs.

Le chanvre sera de la variété Cannabis Sativa, destiné aux industries de la fabrication et de l’alimentation. Ce dernier a une faible teneur en Tétrahydrocannabinol (THC), agent psychotrope. «D’autres régions du pays seront consacrées à la culture du Cannabis Indica, la marijuana qu’on la connaît bien et qui le contient du THC» [sic], a rassuré le Premier ministre.

La ministre McKenna a déclaré pour sa part que la culture du chanvre capte cinq fois plus de dioxyde de carbone dans l’air qu’une surface de forêt équivalente. «Convertir toute la superficie des sables bitumineux à la culture du chanvre permettra non seulement de décontaminer le sol, mais surtout de retirer rapidement un grand volume de carbone de l’atmosphère, ce qui constitue notre priorité face aux changements climatiques.»

Le chanvre récolté et le carbone qu’il contient seront ensuite transformés en matériaux durables, fabriqués à même les installations de l’industrie pétrolière reconverties. «Les différents plastiques de chanvre peuvent remplacer toute la production de l’industrie pétrochimique, tandis que les matériaux de construction comme le béton de chanvre et les autres isolants révolutionneront le secteur du bâtiment», a ajouté sa collègue Mme Mihychuk. Cela représente, selon elle, des milliers d’emplois qui viendront remplacer ceux de l’industrie pétrolière.

C’est un géant de l’industrie qui aurait pris l’initiative du plan, a-t-on appris. La pétrolière française, dont le principal actionnaire privé est québécois, évoque une stratégie d’affaires. «Le pétrole, c’est du passé, affirme son représentant sur place. On en a tiré tout l’argent qu’on a pu pendant que le public pouvait encore le tolérer. Il s’agit maintenant de réparer la planète. Il faut prendre le marché d’assaut alors que la plupart des états américains n’ont toujours pas autorisé la culture du chanvre et que le Canada dispose déjà d’infrastructures de transformation.» En effet, le Québec et le Manitoba produisent déjà des aliments à base de graines de chanvre.

Nov 182015
 

Voilà qu’un bref aperçu de la violence quotidienne du reste du monde frappe au cœur de l’Occident. Aussitôt, se referment les frontières. Sur ces frontières qui nous séparent de l’autre, qui protègent notre bien commun, mais surtout individuel, sur ces frontières se déploient les douaniers, la police ou l’armée à qui l’on a délégué la violence. Nous leur avons confié la violence avec laquelle nos ancêtres protégeaient autrefois la propriété, celle dont l’autre est privé, et dont il pourrait s’emparer en utilisant la violence. Violence et propriété forment un couple parfait, tout comme leurs enfants terribles: le capitalisme et la guerre.

Ce lien entre la violence et la propriété a été souligné par Léon Tolstoï à la fin du dix-neuvième siècle. Au milieu des guerres sanglantes de cette époque s’est imposé le capitalisme, ou autrement dit l’exploitation des humains et de la nature pour maximiser le rendement sur le capital investi. Depuis, le capitalisme et la guerre n’ont cessé de se «perfectionner», l’un investissant dans l’autre, et l’autre se nourrissant de l’un.

Profit sur le pétrole pour lequel on fait la guerre, profit sur les bombes jetées sur les rebelles, profit sur les armes vendues aux rebelles, profit sur les drapeaux et sur les cercueils des militaires, profit sur l’équipement de sécurité accrue dans les aéroports, profit sur le transport des soldats, des rebelles et des réfugiés, profit sur la prime d’assurance du gratte-ciel, profit sur les vivres distribués par les organisations humanitaires, profit sur les terres qui les ont produits et dont les populations ont été chassées, profits sur les médias aux cotes d’écoute gonflées par l’horreur… Profit sur les causes, profit sur les conséquences: toujours, le capital profite, et l’humain crève.

Le capitalisme est la violence. Le «bénéfice» que l’investisseur tire de son investissement n’est rien d’autre qu’un vol qualifié: c’est le fruit confisqué du labeur de chaque humain qu’il exploite, c’est l’eau potable de chaque rivière qu’il pollue et dont il prive les générations futures, c’est l’océan vide, acide et radioactif dont plus personne ne pourra pêcher le poisson, c’est la forêt sans arbres volée à sa biodiversité disparue à jamais.

La révolution industrielle a donné des moyens infinis à la cupidité humaine et a solidement installé au sommet des valeurs capitalistes la propriété. Depuis le dix-neuvième siècle, le pouvoir ne vient plus de la noblesse héréditaire, il vient de la propriété. Pourtant, c’est aussi en plein cœur de la révolution industrielle que naissait déjà l’alternative discrète qui forme aujourd’hui les bases du monde destiné à remplacer le capitalisme, et peut-être la violence qui vient avec.

Cette autre voie n’est pas le communisme: le vingtième siècle nous a bien appris, millions de victimes à l’appui, que l’État ne peut gérer la totalité sans devenir… totalitaire. Non, l’alternative qui se développe depuis 150 ans au sein même de nos économies de marché, c’est la coopération. Les coopératives testent depuis plus d’un siècle leur capacité à remplacer le capitalisme dans tous les secteurs: agriculture, finance, commerce de détail, fabrication, restauration, culture, énergie, infrastructures, habitation, santé, information, éducation, etc.

En 150 ans, nous avons eu le temps de connaître les pièges à éviter. Dans certains secteurs bien connus, les coopératives et les mutuelles ont grandi à un point tel qu’elles se sont éloignées de leurs valeurs premières. Leur taille les a amenées à agir comme des entreprises capitalistes. Certaines le sont même devenues, confisquées par leurs membres présents, trahissant leurs membres passés et futurs, elles sont passées sous propriété privée. La création de la propriété est un vol.

La paix passe-t-elle par l’abandon de la propriété? Quand un bien n’a plus de propriétaire, à qui les voleurs peuvent-ils bien s’attaquer? Quand un bien ne peut être vendu, pourquoi les spéculateurs s’y intéresseraient-ils? Paradoxalement, la meilleure façon de protéger un patrimoine, c’est donc de cesser de le posséder et d’en confier l’administration à cette «démocratie de proximité» qu’est la coop.

Les coopératives d’habitation en sont un bon exemple: les membres ne peuvent vendre l’immeuble et se séparer le produit de la vente, car des générations de membres passés ont entretenu ce bien collectif pour qu’il soit utilisable par les générations de futurs membres. Le droit des membres est un droit d’utilisation, et on ne peut en priver les membres futurs. L’utilisation d’un bien, n’est-ce pas tout ce dont on a besoin? C’est le principe de toute coop: répondre à un besoin.

Selon la Confédération québécoise des coopératives d’habitation, il existe au Québec 1300 coops d’habitation, qui comptent plus de 30000 logements. Environ 60000 personnes vivent ainsi à l’abri de la spéculation et gèrent démocratiquement des actifs de 1,5 milliard $.

S’inspirant de ce principe, un nombre croissant de communautés poussent la logique encore plus loin en plaçant leurs terres, leurs maisons ou leurs infrastructures sous fiducie. Ces fiducies foncières, dont la gestion est souvent confiée à une coopérative, protègent la vocation du bien et prévoient les droits d’utilisation. D’autres formes d’autogestion apparaissent un peu partout dans le monde.

Petit à petit, la multiplication de ces initiatives crée, très concrètement, un monde sans propriétaires. Ce monde pourrait bien être aussi un monde sans violence, sans réfugiés et sans frontières.

Nov 122015
 

Chère Mélanie,

Malgré notre alors jeune âge, c’est comme «mentors» en entrepreneuriat social que nous nous sommes rencontrés, à l’école d’été de l’INM, celle qui a eu lieu à Québec. Puis, Génération d’idées et le journal Ensemble nous ont accaparés chacun de notre bord. «Entrepreneurs sociaux», nous nous sommes suivis de loin, au-delà de toute partisanerie. Aussi me permettrai-je de te tutoyer, comme dans le temps.

L’entrepreneuriat social qui était notre point commun m’a amené à démarrer trois coopératives dont ce journal, puis maintenant à prendre la relève d’une maison d’édition. Toi, tu as choisi la politique. Forte des acquis de ta firme de marketing, tu as sauté sur le tremplin de la mairie de Montréal, et te voilà ministre. Toutes mes félicitations!

Te voilà ministre de «Patrimoine canadien – Canadian Heritage», et donc responsable du fonds de soutien à l’édition. Puisque c’est mon secteur d’activité, l’édition, permets-moi de faciliter ton entrée en poste en te fournissant quelques informations sur le terrain miné que t’a laissé le précédent gouvernement.

Figure-toi donc que, à peine quelques mois avant de quitter le pouvoir, le gouvernement Harper a émis une nouvelle directive qui impose aux éditeurs de mentionner l’aide de Patrimoine canadien – Canadian Heritage dans les deux langues, chose qui était impensable jusqu’alors. Imagine des milliers de livres en français, destinés à un lectorat francophone, et criblés d’une mention en anglais. Ça fait dur.

Je reviens d’un salon du livre, et toutes les personnes que j’ai rencontrées, auteurs, éditrices, libraires, lectrices, trouvent que cette directive est inutile et même nuisible. Au mieux, c’est de la pure provocation. Toi qui as déjà publié un livre, tu sais à quel point chaque détail compte.

On se demande même si l’intention du précédent gouvernement n’était pas de se servir du secteur de l’édition, précaire s’il en est, comme d’un champ de bataille linguistique. Provoquer une levée de boucliers, puis humilier publiquement la défense du français au Québec pour se faire du capital politique dans le reste du Canada, en faisant oublier le désastreux bilan de leurs dix années au pouvoir. Imagine… c’était peut-être ça, l’agenda des Conservateurs.

Ou encore, une fois ce terrain conquis au bilinguisme, il suffirait de demander la même chose aux producteurs de films, aux maisons de disques, aux entreprises du spectacle, aux médias d’information. «Bienvenue au Festival de la Chanson de Tadoussac, nous tenons à remercier l’aide financière de Patrimoine Canadien – We’d like to thank Canadian Heritage for their financial support.» Imagine… Tes oreilles québécoises ne grichent-elles pas?

En tout petits caractères, dans les normes d’un programme d’aide financière, Stephen Harper était en train d’ouvrir une brèche menaçant cette nation qui a pourtant été reconnue par son gouvernement, et cette brèche peut mener à un conflit comme ceux qu’on a vécus pendant les années 1960 et 1970, avant qu’on se dote de la Charte de la langue française (loi 101) qui protège notre langue officielle, le français. Cette nouvelle directive du gouvernement conservateur exige en effet des artisans de la culture québécoise qu’ils contreviennent à la loi 101. C’est inadmissible.

Tu as le pouvoir d’annuler très facilement cette directive et de redonner un semblant de paix linguistique à ton grand pays canadien. J’espère que cela fera partie de tes priorités.

Pour ma part, je vis déjà les impacts très concrets de cette directive ministérielle qui nous coupe d’un financement public essentiel au milieu de l’édition: deux mois d’arrêt sans chômage cet été, des heures réduites depuis, la conséquente surcharge de travail, moins de temps avec mes enfants, petits boulots pour boucler les fins de mois. «Pour le reste, il y a Visa.»

Qu’à cela ne tienne, nous continuerons à publier. Je suis prêt à faire des sacrifices pour protéger notre langue et notre culture, comme l’ont fait des générations de Québécois depuis des siècles. Nous tiendrons le siège, et la langue maternelle de nos petits enfants ne sera pas l’anglais.

Bonne chance et bon courage!

Nicolas Falcimaigne

L’auteur est président de la Coopérative de journalisme indépendant, éditeur du journal Ensemble, ainsi que compagnon à la relève des Éditions Trois-Pistoles. Il signe cette chronique en tant qu’être humain.

Oct 272015
 

Trois-Pistoles — Le transport des personnes en région est-il un commerce ou un service essentiel? La compagnie Orléans Express (devenue une filiale de Keolis) a réduit la fréquence de ses trajets d’autobus en région depuis quelques mois. Il est devenu impossible pour une personne de se rendre à un rendez-vous dans la ville voisine autrement qu’en auto ou en taxi. C’est la logique d’affaires qui a dicté ces changements, dit-on. En tout cas, ce n’est pas un changement guidé par le besoin des populations rurales.

Ce matin, j’ai franchi une nouvelle étape dans cette aventure Avec pas d’char. J’ai pris un billet pour la ville voisine, Rivière-du-Loup. Le seul service disponible, Orléans Express, devenue filiale de Keolis, me propose quarante minutes de route aller et autant au retour, pour trente piastres. Entre l’arrivée à 9h et le retour à 15h45, six grosses heures. Espérons que ce soit suffisant pour ce rendez-vous médical et son attente inévitable, s’y ajoutant le transport entre l’hôpital et l’autobus.

Je suis chanceux: en Gaspésie, il n’y a même plus d’aller-retour la même journée. Les gens doivent prendre un hôtel. Quand je cherche Gaspé – Sainte-Anne-des-Monts, on me propose de partir à 7h15, d’arriver à 10h25, puis de repartir à 8h30 et d’arriver à 11h35 du matin… la même date. Un petit voyage dans le temps avec ça?

Pardonnez ce moment d’humeur et les écarts de langage qui vont avec, mais il y a de quoi se fâcher quand je constate qu’on a non seulement démantelé notre réseau ferroviaire régional pour en faire de jolies pistes cyclables et autres sentiers de randonnée, mais qu’en plus on réduit à une peau de chagrin le service d’autobus, à des tarifs élevés qui vont tout droit dans les poches d’investisseurs privés et étrangers.

Keolis est une entreprise privée détenue à 70% par la Société nationale des chemins de fer (SNCF) française et à 30% par la Caisse de dépôt et de placement du Québec. En 2002, le propriétaire d’Orléans Express, Sylvain Langis, a vendu 75% de ses parts à Keolis, puis le reste en 2011.

Le transporteur exerce au Québec un quasi-monopole. Ce qui reste dans plusieurs régions l’unique service de transport collectif est livré pieds et poings liés aux lois du marché, et les profits s’envolent ensuite pour l’Europe.

Face à l’épuisement des ressources pétrolières, à l’effondrement des écosystèmes, à la crise socio-économique, il faudra bien développer des alternatives au transport individuel. Dans presque tous les autres pays du monde, le transport des personnes est principalement collectif. Vers quoi se tournera-t-on alors?

Irons-nous encore vers le privé, ou choisirons-nous de nous donner collectivement des moyens de transport modernes, dont l’objet est de répondre aux besoins des populations plutôt que d’exporter des profits? L’un de ces projets est le monorail à grande vitesse, qui pourrait devenir un grand projet de société public et même coopératif. Aurons-nous enfin de l’audace?

 

Oct 012015
 

Chers lecteurs, chères lectrices, il nous fait plaisir de vous présenter le nouveau site d’Ensemble, qui est maintenant accessible sur ensemble.coop. Le nouveau site, développé par notre coopérateur de longue date Marc Ouimet, remplace le présent site conçu par notre cofondateur Dru Oja Jay, à qui nous devons les cinq premières années de publication en ligne. La plus grande reconnaissance de la coopérative s’adresse à ces deux piliers qui n’ont pas compté leurs heures pour rendre l’information indépendante accessible au plus grand nombre de personnes.

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Août 072015
 

Ce que nous donnent à lire les médias de masse cette semaine, sept décennies après le premier bombardement atomique d’Hiroshima, fait encore une large place à la propagande de l’époque: le président américain aurait épargné la vie de centaines de milliers de soldats américains, face au refus du Japon de capituler. Si toutes ces justifications ne sont pas nécessairement fausses, on sait depuis l’ouverture des archives en 1995 qu’elles n’ont pas pesé lourd dans la balance en regard de l’occasion unique pour les USA de démontrer leur force de frappe nucléaire, à l’aube de la Guerre Froide.

Nombreuses sont les sources qui permettent de démonter la version officielle encore véhiculée par de grands médias américains. Il suffit pourtant de consulter le tout aussi officiel rapport de la Central Intelligence Agency (CIA), signé par Douglas J. MacEachin en décembre 1998, pour connaître le fond de l’histoire.

C’est à la Conférence de Potsdam sur la fin de la guerre, le 16 juillet 1945, que le président Truman a été informé de la réussite du premier essai nucléaire au Nouveau Mexique. Dans l’entourage du président, cette information ne représentait toutefois qu’une formalité. «À toutes fins utiles, la décision d’utiliser l’arme nucléaire contre le Japon avait déjà été prise au moment où le président est arrivé à Potsdam», précise le rapport de la CIA.

Les discussions entre Truman et ses proches conseillers portaient alors sur la possibilité de disposer de l’arme avant que l’URSS entre formellement en guerre contre le Japon, le choix de la première cible, le contenu de ce qui deviendrait la Déclaration de Potsdam et celui du discours présidentiel qui devait suivre le premier bombardement. «Il n’existe toutefois dans ces discussions aucune référence explicite au développement de la défense japonaise comme étant un facteur, et aucune indication que cette menace ait influencé les actions entreprises.»

La décision était donc déjà prise lorsque, le 26 juillet 1945, les Alliés ont lancé un ultimatum aux dirigeants japonais: le Japon était sommé de capituler sans condition, avant que ne s’abatte sur lui «une puissance infiniment plus grande que celle qui a dévasté l’Allemagne». Plusieurs termes ont été ajoutés à la déclaration, imposant la condamnation des criminels de guerre, l’occupation militaire, le paiement de réparations, le démembrement de l’Empire nippon et le désarmement complet.

Dans la déclaration de Potsdam, rien n’a été spécifié sur le sort de l’Empereur, malgré le fait que les Alliés aient été depuis longtemps au courant de l’importance de l’Empereur pour le Japon. Selon certains, comme le Secrétaire de la guerre Henry L. Stimson, le fait d’introduire une clause garantissant au moins implicitement la conservation de l’Empereur aurait entraîné une capitulation plus rapide du Japon, qui aurait épargné non seulement la vie des soldats américains mais aussi celle des civils japonais. M. Stimson avait d’ailleurs fait cette proposition, qui n’a pas été retenue.

Dans son discours du 9 août 1945, le Président Harry S. Truman justifia l’utilisation de la bombe atomique par la nécessité de venger Pearl Harbor, le traitement des prisonniers de guerre et la violation des «lois internationales de la guerre», ainsi que par l’urgence de terminer la guerre pour la survie des soldats américains. Dans les faits, Truman venait plutôt d’avancer sa première pièce sur l’échiquier de la Guerre Froide, en fauchant des centaines de milliers de vies civiles.

Août 012015
 

Ce que nous donnent à lire les médias de masse cette semaine, sept décennies après le premier bombardement atomique d’Hiroshima, fait encore une large place à la propagande de l’époque: le président américain aurait épargné la vie de centaines de milliers de soldats américains, face au refus du Japon de capituler. Si toutes ces justifications ne sont pas nécessairement fausses, on sait depuis l’ouverture des archives en 1995 qu’elles n’ont pas pesé lourd dans la balance en regard de l’occasion unique pour les USA de démontrer leur force de frappe nucléaire, à l’aube de la Guerre Froide.

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Juil 262015
 

À l’approche d’une campagne électorale fédérale où les projets pétroliers seront un enjeu stratégique, les partis politiques et leurs têtes d’affiche jonglent avec leurs pointages. Combien de sièges risquent-ils de perdre dans les Maritimes, et surtout combien peuvent-ils en gagner dans l’Ouest producteur de pétrole? Zachary Richard, artiste et citoyen de la Nouvelle-Orléans, est venu leur adresser un sévère avertissement à l’occasion de deux conférences qu’il donne au Québec sur la catastrophe pétrolière qui a frappé le golfe du Mexique.

Voilà plus de cinq ans explosait la plateforme d'exploitation pétrolière Deepwater Horizon, de la compagnie BP, dans le golfe du Mexique. Dans la foulée de ce drame, Martin Poirier et Stéphane Poirier lancèrent le mouvement Non à une marée noire dans le Saint-Laurent. C'est ce groupe, à l'occasion de son cinquième anniversaire, qui a accueilli le musicien Zachary Richard à l'Université du Québec à Rimouski, jeudi dernier, pour une de ses deux conférences prévues au Québec.

«Je suis auteur-compositeur-interprète, c'est comme ça que je gagne ma vie, mais je suis aussi citoyen. J'ai une maison quelque part et je paye des taxes, je vis dans un village. Je suis très bouleversé par les changements climatiques, et pas dans un sens émotionnel mais dans un sens réel», explique Zachary Richard. «J'ai vu mes assurances tripler depuis 2005, illustre-t-il. On fait face à des tempêtes tropicales qui sont de plus en plus violentes avec de moins en moins de protection. Tout ça, c'est lié à l'exploration et à l'exploitation pétrolière. J'aime aussi, et beaucoup, l'estuaire du Saint-Laurent et toutes les communautés qui longent le fleuve, et je suis très conscient de la menace qui est posée par l'exploration pétrolière dans l'estuaire du Saint-Laurent. Je voudrais tout simplement partager mon expérience en tant que citoyen louisianais.» Cette expérience, c'est particulièrement celle de la marée noire de 2010 et de ses impacts.

Les chiffres sont astronomiques. Au total, rapporte Zachary Richard, le désastre aura coûté plus de cent milliards de dollars. Ce chiffre exclut la valeur inestimable des écosystèmes détruits. Au total, 800 millions de litres de pétrole ont fui dans la mer, et onze travailleurs ont perdu la vie.

M. Richard n'ose imaginer ce que pourraient être les conséquences d'un tel déversement dans le golfe du Saint-Laurent, avec les glaces et les courants (lire aussi à ce sujet). «Je trouve que cela serait vraiment un risque totalement inacceptable de mettre un puits de forage dans l'estuaire du Saint-Laurent en haute-mer, surtout avec les hivers.»

Selon lui, le Québec est très bien placé pour barrer la route au développement pétrolier, car la population québécoise est «sensible à l'écologie» et «bien éduquée». Toutefois, il insiste également sur la vulnérabilité des Québécois: «le Québec n'a aucune expérience avec l'exploration pétrolière, donc on peut vous raconter à peu près n'importe quoi». Il avertit donc que «des dégâts, il y en aura. peut-être pas aussi dramatiques que [ceux de Deepwater Horizon], mais il y aura toujours, dans l'exploration de pétrole, des problèmes écologiques. Et qui va nettoyer ça après, eh bien ce sont les contribuables.»

Ce qui a le plus choqué Zachary Richard, c'est la nature humaine de quelques uns qui ont profité du désastre pour s'enrichir. Dans la région de la Nouvelle-Orléans, ils les ont appelé les «spillionnaires». Ces gens-là, dénonce-t-il, «prient tous les jours pour qu'une autre catastrophe pétrolière se produise».

Depuis les années trente, l'exploration pétrolière incontrôlée a creusé des milliers de kilomètres de canaux dans les mangroves qui protégeaient le delta du Mississippi contre l'invasion de la mer. Maintenant, le niveau de la mer s'élève sans qu'aucune barrière ne l'empêche de s'engouffrer dans ce territoire. L'eau salée tue les végétaux qui le maintenaient en place, et s'enclenche ainsi un cercle vicieux qui fait disparaître la superficie d'un terrain de football toute les trente minutes.

Ce sont donc là les trois éléments du désastre pétrolier observé par Zachary Richard en Louisiane: la marée noire et l'exploration pétrolière qui fragilisent les défenses naturelles du territoire, l'élévation du niveau de la mer et l'augmentation de l'intensité et de la fréquence des ouragans. Tout cela est lié à l'ère du pétrole, conclut-il, à laquelle il faut mettre fin, maintenant: «Je crois que nous sommes, comme espèce, à un carrefour très important.»