Charlesbourg, revue Vie Pédagogique – Dix-neuf avril 2011. Ce matin-là, entrer dans l’imposante Polyvalente de Charlesbourg donnait l’étrange impression de franchir le périmètre d’une grande conférence internationale sur les changements climatiques. Le gouvernement scolaire de cet établissement de la Commission scolaire des Premières-Seigneuries organisait son premier colloque sur l’environnement, dans le cadre de la Semaine de l’environnement et de la Journée de la Terre, le 22 avril.
L’enseignant responsable, Mario Harvey, nous accueille d’un air grave qui rappelle l’importance de l’enjeu. Ce colloque est plus qu’une répétition générale avant la «vraie vie»: les élèves, citoyens de l’école, ont pris en charge l’organisation. Ils ont eu l’audace d’inviter des intervenants de premier plan, diversifiés, pour confronter des idées sur des choix de société aussi réels qu’immédiats. Du directeur général du Regroupement des conseils régionaux de l’environnement du Québec aux représentants d’une des principales compagnies d’exploration du gaz de schiste, l’éventail de conférenciers a de quoi faire voler en éclat la bulle scolaire et précipiter les jeunes au cœur de leur société.
Treize conférenciers et conférencières ont répondu à l’appel, et ils représentent un éventail de visions parfois opposées du développement durable. De Philippe Bourke, directeur général du Regroupement des conseils régionaux de l’environnement, à Vincent Perron, conseiller stratégique chez Talisman Énergie, une compagnie gazière, force est de constater que la diversité d’opinions est au rendez-vous.
«Pour moi, c’est très important de venir parler aux jeunes, de les inspirer. C’est la nouvelle génération, celle qui va devoir trouver des solutions. Ce sont eux, les prochains ingénieurs, les prochains scientifiques», explique Martine Dion, architecte spécialiste du système d’évaluation de la performance environnementale LEED (Leadership in Energy and Environmental Design), qui est venue de Boston pour donner gratuitement sa conférence.
L’expertise réunie pour le colloque est telle que les conférenciers ont déploré ne pas avoir un cadre pour échanger entre eux. C’est une piste à explorer pour l’année prochaine, affirme la directrice de la polyvalente, Lise Breton. «Les élèves pourraient assister à un débat, constater les divergences entre les idées des uns et des autres et poser des questions.»
Une approche pédagogique globale
Mario Harvey, enseignant du cours de monde contemporain en 5e secondaire, souligne que les élèves entendent beaucoup parler d’environnement tous les jours. Il a fallu trouver une autre façon de leur passer les connaissances, les concepts et les apprentissages liés à ce domaine, qui est l’un des cinq thèmes à l’étude de ce cours. «Plutôt que de le faire de façon traditionnelle, on a choisi de varier les approches pédagogiques et de leur faire vivre un mini-colloque, pour qu’ils puissent être partie prenante de leurs apprentissages et travailler le monde de l’environnement de façon particulière.» Il ajoute que le défi de responsabiliser les jeunes face à leur consommation, alors même qu’ils acquièrent leur autonomie – intimement liée à la capacité de consommer – est tel qu’il nécessite une approche spécifique.
Les quelque 300 élèves de 5e secondaire pouvaient choisir entre plusieurs thèmes (l’eau, l’utilisation de la voiture, les gaz de schiste, etc.), auxquels étaient liées des compagnies qui pouvaient venir présenter une conférence. Les jeunes devaient se documenter non seulement sur leur thème, mais également sur la compagnie, pour répondre à une question. «Ils ont à se positionner et à apporter des arguments», insiste l’enseignant. Lors de l’événement s’ajoute une prise de note à l’écoute, à celle qui a été faite en lecture préalable. Une période de questions est aussi prévue pour qu’ils puissent compléter la collecte d’informations en vue de la composition d’un texte, le lendemain.
Cette approche permet de travailler à la fois la compétence 1 du programme, Interpréter un problème du monde contemporain, et la compétence 2, Prendre position sur un enjeu du monde contemporain. La question retenue mettrait bien des adultes dans l’embarras: «Est-ce que l’utilisation et la consommation des ressources peut être au service du bien commun?»
Le loup dans la bergerie?
Invitée à s’adresser aux élèves pendant une heure, Talisman Energy, une compagnie d’exploration gazière, a présenté son dossier avec les mêmes outils de communication qu’elle utilise pour s’attirer l’acceptation sociale des communautés dont elle vise le territoire. La présentation était bien rodée, agrémentée d’une vidéo attrayante et même de la distribution d’un «journal» promotionnel si bien monté qu’il donnait l’illusion parfaite d’un contenu d’information journalistique. Face au public peu informé que représente une cohorte d’élèves de 5e secondaire, cette approche a eu des résultats impressionnants. Les quelques questions posées par les élèves à la fin se sont réduites à la précision de détails techniques, bien loin de la problématique du bien commun.
«On en parle beaucoup à la télévision. On voit des gens se crier des insultes d’un bord pis de l’autre. On n’a pas nécessairement les vrais faits. Quand on écoute la conférence, ils nous expliquent vraiment ce que c’est et on comprend mieux les raisons pour lesquelles ils veulent exploiter cette ressource-là», déclare Vincent Emond, élève de 4e secondaire et ministre de l’environnement dans le gouvernement scolaire depuis deux ans.
On a beau promouvoir la diversité d’opinion et faire confiance au libre arbitre des jeunes, les exposer directement à la machine promotionnelle des gaz de schiste, n’était-ce pas faire entrer le loup dans la bergerie? Mario Harvey est catégorique: «Comme enseignant, je ne voulais pas leur dicter une façon de penser. Je veux leur faire voir les deux côtés de la médaille. Ils évalueront, prendront position et décideront. Ce n’est pas à nous de les orienter dans un corridor précis.»
Le même souci a rigoureusement été appliqué aux textes. «On s’est assuré d’avoir vraiment les deux côtés, pour être le plus objectif possible, parce que dans le cours de monde contemporain, il faut que l’enseignement soit objectif pour que les jeunes puissent prendre position», ajoute Josée-Anne Gouin, conseillère pédagogique à la Commission scolaire des Premières-Seigneuries.
Tous deux se disent ravis de constater la qualité de la réponse des conférenciers sollicités, qui dépassait les besoins et les attentes. Si une nécessaire vulgarisation leur avait été demandée, M. Harvey avait par ailleurs insisté sur l’importance de «ne pas niveler par le bas. Ce sont des élèves de 5e secondaire et il ne faut pas se gêner pour monter ça à un niveau supérieur, ajouter des compléments différents à l’intérieur des cours, pour qu’ils grandissent dans tout ça et qu’ils aillent chercher un plus. Oui pour vulgariser, mais pas trop non plus, pour qu’ils deviennent des citoyens responsables».
Chloé Labrecque s’implique dans les projets scolaires et Caroline Côté-Maheux est sous-ministre des Festivités. Ces deux élèves de 5e secondaire font preuve d’une saisissante lucidité quant aux enjeux actuels. «Je veux assister à la conférence, poser des questions, m’interroger, obtenir des réponses, mais surtout être capable de former mon opinion en même temps, être capable d’interagir; et en sortant de la salle, pouvoir en parler et dire autant le positif que le négatif et ce que j’en ai retiré, pour l’appliquer dans ma vie de tous les jours», soutient Chloé.
Caroline est bien consciente du défi de conscientiser les élèves: «Ça nous a ouvert sur le monde. Les trois quarts des élèves ne comprennent pas ça. Pendant qu’on faisait un débat sur l’impact social et environnemental des cellulaires, il y en avait qui textaient!»
Interdisciplinarité, signifiance et accessibilité
L’approche interdisciplinaire de ce projet permet de maximiser l’intégration des apprentissages, notamment pour la compétence d’argumentation, partagée entre les cours de monde contemporain et de français, en 5e secondaire. Selon M. Harvey, «prendre position, c’est une chose, mais faire valoir sa position, c’en est une autre. Le lien entre le français et l’univers social est très facile à faire. En 5e secondaire, on a l’opinion, le texte argumentatif et le débat. Cela correspond exactement à la compétence 2, dans le cours de monde contemporain, où on leur a fait travailler leur contenu. Ils ont ensuite vécu le débat dans le cours de français. On a eu toutes sortes d’activités tout au long de l’année, pour faire en sorte que le morceau soit plus facile à digérer».
Le cours de monde contemporain n’est pas un cours à sanction. Les élèves n’ont pas à le réussir pour obtenir leur diplôme d’études secondaires. Les enseignants ont donc tout avantage à le rendre dynamique, pour capter l’intérêt des élèves. «C’est sûr qu’en faisant des choses comme ça, forcément, les élèves se trouvent à travailler beaucoup plus fort qu’ils le feraient autrement. Il ne faut pas perdre de vue que les jeunes sont habitués à zapper vite. S’ils ont toujours les mêmes façons de faire et que c’est toujours la même personne qui est en avant, l’intérêt est difficile à soutenir. Il faut quasiment rivaliser avec le Cirque du Soleil!», ajoute M. Harvey.
L’interdisciplinarité, ce n’est pas si simple. La grille matière est inadaptée, les temps de rencontre et de planification sont limités, et les contraintes logistiques réduisent souvent les efforts à une collaboration entre deux enseignants, deux matières, alors qu’il y aurait tant de potentiel à intégrer plusieurs matières. «Il faut décloisonner notre façon d’enseigner», croit M. Harvey.
Éduquer le citoyen hors des sentiers battus
«Oublie les résultats, oublie ta note. Peu importe ce que ça donnera, ce que tu viens chercher va te servir l’année prochaine. Tu vas peut-être avoir 18 ans, tu vas voter, tu vas être pris avec des enjeux, tu vas avoir des choix de société à faire.» C’est ainsi que Mario Harvey parle aux élèves de son cours de monde contemporain, et plus particulièrement du colloque sur l’environnement. Ce projet qui permet de revenir à l’essentiel, soit le développement du jeune adulte que devient l’élève, nécessite de sortir des sentiers battus, et donc de favoriser une plus grande liberté de l’enseignement.
«C’est grâce à notre équipe de direction et à notre école si on est capable de vivre ça. C’est un milieu ouvert à l’essai de toutes sortes de choses. Je ne me souviens pas d’un jour où on se serait fait dire non», reconnaît M. Harvey.
Gouvernement scolaire
Selon la directrice Lise Breton, c’est la première fois qu’on assiste à un événement d’une telle envergure à l’école. Et il est rendu possible par l’existence d’une démocratie scolaire éprouvée, qui offre des structures de participation aux élèves pour l’organisation de tels projets. Comme beaucoup d’écoles, la Polyvalente de Charlesbourg avait, depuis plus de vingt ans, un conseil étudiant responsable d’organiser des activités par et pour les jeunes. C’est sous l’impulsion de la Fondation Jean-Charles Bonenfant que l’école a pris un virage démocratique, il y a quatre ans. L’enseignant du cours de monde contemporain, Mario Harvey, a organisé la participation au parlement étudiant de l’Assemblée nationale du Québec; il a mis en place un véritable gouvernement où les jeunes assument des responsabilités ministérielles et gèrent un budget d’environ 10 000 $ par année, assumé par une cotisation des parents. Ce budget, partagé entre les différents ministères, donne même lieu à des négociations interministérielles.
La structure démocratique permet aussi de soutenir la vision d’École verte Bruntdland (EVB) que s’est donnée l’établissement, basée sur quatre volets : la solidarité, l’écologie, la démocratie et le pacifisme. «On est porteurs de cette vision-là depuis plusieurs années et on ne maximisait pas notre engagement.» Mme Breton précise que maintenant, le programme EVB oblige l’école à tenir une activité par niveau. Après trois ans sous ce régime démocratique, la directrice remarque que les jeunes participent davantage, et qu’ils sont plus engagés. Les ministres actuels, qui ont vécu toute leur scolarité sous le régime du parlement étudiant, ont un discours beaucoup plus constant, attaché à leur mandat.
Le Conseil des ministres se tient une fois par trois semaines, avec la direction. On y échange sur différents sujets, et les jeunes expriment leurs idées. Lorsqu’un projet arrive sur la table, tous les ministères doivent collaborer. Mme Breton cite l’exemple de la Caf-mobile, une idée du ministère de la culture qui a donné lieu à des activités de tout ordre. «On dit souvent que nos jeunes sont menés par la loi du moindre effort, mais on a des jeunes qui ont de fortes croyances et de belles valeurs, qu’il est important de mettre en évidence pour leur permettre de se réaliser pleinement. Ils sont fiers d’être là, parce qu’ils ont participé à la réalisation de l’événement.»
Selon les élèves interrogées, Chloé et Caroline, le gouvernement étudiant est élu par acclamation car il n’y a pas assez de candidats, mais la présidence fait l’objet d’une campagne et d’un scrutin. C’est comme un mini-parlement, disent-elles. L’idée, c’est de «former les citoyens de demain».
Loin des grandes conférences diplomatiques, le colloque de la Polyvalente de Charlesbourg a donné une rare occasion aux élèves du secondaire de rencontrer les représentants de la «vraie vie», ce qui pourrait se révéler déterminant dans leur parcours. La génération montante devra faire face à des défis importants, et semble armée de la détermination nécessaire pour les relever. «Je ne perds pas espoir, confirme Chloé. La société d’aujourd’hui a beau être très superficielle, il y a tout le temps des exceptions dont on se dit: « Heille! cette personne-là est en train de se battre pour nous et pour nos enfants plus tard. » Il y a une phrase écrite sur un mur de l’école : « La terre, on l’emprunte à nos enfants. » C’est exactement ça», conclut celle qui veut devenir enseignante.
M. Nicolas Falcimaigne est journaliste indépendant et rédacteur en chef du journal Ensemble.