Juin 242010
 

Moment historique pour le Cégep de Rivière-du-Loup. Les premiers finissants du programme de courts métrages documentaires présentent le fruit de leurs efforts au public. La présentatrice Pricile De Lacroix, étudiante du programme, avertit d’emblée l’auditoire : réaliser un documentaire, c’est un travail extrêmement complexe. Les onze pionniers et pionnières ont relevé le défi de créer ce qui est pour la plupart leur premier film, dans un temps record.

Cette soirée riche en émotions et en diversité a ravi l’auditoire, qui s’est illustré par une patience hors-norme. En effet, il est objectivement ardu de s’imprégner de onze films différents, et de conserver une bonne attention pendant leur longue succession, même si la qualité était au rendez-vous. La salle comble de la Maison de la culture est restée comble jusqu’à la fin, même après l’entracte bien mérité.

Une brochette de talents prometteurs

Les étudiants et étudiantes se sont révélés impressionnants par leur capacité à explorer des univers méconnus et surprenants. Joële Yoja Grimbert, dont le court métrage Roger, l’homme aux poules a été présenté en clôture de la soirée, nous fait entrer dans le quotidien de Roger Dumont le  « ramasseux ». À travers une approche résolument picturale, elle nous rend attachant cet homme solitaire, marginal et collectionneur à l’extrême. C’est un film de photographe qui donne le même effet que la contemplation d’un cliché évocateur avec une grande profondeur de champ. Coup de cœur assuré.

Se démarque également le pamphlet régionaliste de Rock Belzile, intitulé Témis, territoire imaginaire. L’artiste en arts visuels y campe, au-delà du récit de sa carrière artistique, l’esprit de mobilisation incarné par Témis, son logo militant devenu sentinelle de la route 185. Pour bien marquer l’identité territoriale de son film, le réalisateur a utilisé comme narration une entrevue qu’il a accordée à la radio locale, CFVD, pour faire la promotion du film. Cette mise en abîme fait écho aux méthodes de création en direct qu’il superpose en fondu à des photographies de paysages, lesquels soulignent l’approche géohistorique de sa pratique artistique.

Le film le plus intense de la soirée est sans doute celui de France Larreau. Les petits pas nous amène sur les traces de son frère Patrick, victime du suicide en 2002. Le poignant témoignage qui explore ce thème délicat n’est toutefois pas uniquement celui d’une proche affligée. En interrogeant Dimitri, survivant qui livre un vibrant message de vie et d’espoir, accentué par un effet de post-synchronisation décalée, la réalisatrice donne un sens à son œuvre. Interrogée en marge de la présentation, elle confie avoir « vécu ça comme un grand voyage ».

Le texte a été publié dans le journal culturel Q-Dpoule

Le texte a été publié dans le journal culturel Q-Dpoule

Pricile De Lacroix n’a pas déçu son auditoire. La vedette de la télévision locale a présenté un hommage historique à un monde disparu, celui du chemin de fer, qui a donné son essor à Rivière-du-Loup. Dans Les derniers cheminots, elle a capté ce qui est probablement l’ultime témoignage de ceux qui ont participé à l’épopée ferroviaire, avant que ce mode de transport soit étonnamment marginalisé.

Dans Pour que l’art ne meure jamais, Olivier Dépin nous entraîne dans l’atelier du sculpteur Denys Heppell qui était présent lors de la projection. Il explique que « le p’tit gars, Olivier, qui a fait le film, a déjà travaillé pour moi dans la sculpture. Il continue dans une autre forme d’art et je trouve ça l’fun de le voir aller. C’est un artiste et je suis sûr qu’il va réussir. » C’est dans le monde connexe des métiers d’arts que nous plonge Gee-Haw, de Nadine Boulay, qui décrit avec des images saisissantes la fabrication et l’utilisation des traineaux à chiens.

Isabelle Crépeau, conteuse et femme sauvage, est un étonnant portrait de l’artiste du même nom, réalisé par Carole Tardif. Un autre portrait, celui de Julienne Lepage, 83 ans, met en vedette celle qui était probablement la doyenne des protagonistes présents. À propos de Fragments, réalisé par son fils, Édouard Asselin, elle confie qu’elle n’avait pas encore vu le résultat, mais que la réaction du public est selon elle « très chaleureuse. J’ai senti qu’il y avait beaucoup d’émotion ».

Dorothy Rioux explore dans C’est écrit dans le ciel la météorologie des Anciens. Les prédictions de Jean-Noël Labonté, M. Météo, y sont traitées avec la même approche intuitive. René Lavoie nous fait découvrir l’art japonais des arrangements floraux dans un court métrage conséquemment intitulé Ikebana, tandis que Paul Ruest y va d’une œuvre introspective, intitulée Deviens qui tu es, qui nous plonge dans la nostalgie d’un professeur de philo qui, une fois à la retraite, livre son testament sur la quête identitaire. Ici le Cégep devient personnage.

Réactions des artisans et des spectateurs

La soirée est loin d’avoir été trop longue pour Marco Lavoie, spectateur. « Je suis très impressionné par la recherche qui a été faite. Les films sont très contextuels, ils se rapportent à leur vie ou à leur entourage, à des choses qui viennent les chercher principalement, et qu’ils arrivent par leur film à nous transmettre. C’est vraiment impressionnant de voir que le message passe et que nous, comme spectateurs, on arrive à entrer dans leur univers quotidien. » Celui qui a œuvré jusqu’à tout récemment comme agent culturel à la ville de Rivière-du-Loup se permet même une proposition. Il lance l’idée de la création à Rivière-du-Loup d’un festival cinématographique sur le film documentaire où les anciens étudiants du programme pourraient présenter leurs plus récentes réalisations.

Pricile De Lacroix, étudiante, dresse pour sa part un bilan positif de son expérience « Tout le long on vit des hauts et des bas. Il y a des moments où on veut lâcher et d’autres où on est super heureux. Ce soir c’est un couronnement extraordinaire de tout le travail qu’on a mis en huit mois. Ça a valu tous les efforts et les sacrifices. Il y a eu des moments de doutes mais au bout du compte il n’y a plus de raisons de douter. Pour une première année, je pense qu’on peut lever le chapeau à tout le monde, c’est vraiment réussi. »

Joële Yoja Grimbert conseille aux étudiants qui voudraient s’inscrire à ce cours « d’avoir déjà de l’expérience dans le domaine, dans le métier. C’est sûr qu’on apprend les rudiments, mais c’est tellement un cours intensif que ça pédale, ça y va. Il faut avoir beaucoup de patience parce que tout le monde a son rythme, selon son expérience. » Elle souligne aussi l’importance de bien se connaître car c’est selon elle une vocation qui nécessite un certain talent, un goût pour les arts visuels. L’expérience en vaut la peine, conclut elle avec enthousiasme : « Plongez-y à deux mains et on se rejoint au mois de mai ! »

Le spectateur Stéphane Dumont souligne que « la qualité des films est surprenante pour un cours qui ne dure qu’un an. C’est étonnant qu’on puisse élever la qualité des courts métrages de dix à vingt minutes à ce niveau-là. Parmi ces gens là il y a vraiment de bons talents. »

L’avenir du programme et d’autres projets

Pour Geneviève Bouchard, professeure du cours Écoles, mouvements et tendances lors de la session d’automne, il y a des pistes d’améliorations à étudier dans l’avenir. « Je suis impressionnée, et contente que presque tout le monde ait fait son film et réussi. Certains étudiants auraient aimé avoir une session de plus, pour pouvoir tourner à l’été et se sentir plus d’attaque pour faire leur film. » La réalisatrice trouve également que les étudiants auraient gagné à s’entraider davantage, parce qu’il est très difficile de tout faire soi-même en même temps.

Pierre Lesage, coordonnateur du programme au service de la formation continue du Cégep de Rivière-du-Loup, célèbre cet événement en regardant vers l’avenir. « On a développé le programme il y a à peu près un an, avec Nicolas Paquet et Karina Soucy. Lorsqu’on regarde les films ce soir, on se dit que ce sont des gens qui ont quelque chose à dire et qui ont été mis dans de bonnes conditions pour le faire. Pour moi c’est important de permettre à des jeunes de vivre leur art, de travailler avec leur art et de se découvrir à travers leur art. Ça permet à des gens de se développer, s’affirmer et être eux-mêmes. Quand on se réalise, on s’accomplit et notre environnement en profite. Ça contribue au développement de la région et des individus. On est chanceux d’avoir ça à Rivière-du-Loup et on est chanceux d’avoir ces gens-là à Rivière-du-Loup. » Il rappelle qu’il existait, ailleurs au Québec, des formations ponctuelles, très coûteuses et moins complètes, et souligne que le nouveau programme de Rivière-du-Loup permet une approche globale des métiers du cinéma.

Questionné sur ses projets d’avenir, il confie qu’un nouveau programme est en préparation pour l’automne. Le Cégep a déjà lancé la promotion de Cinéma Web, une formation complète en conception et réalisation de films pour Internet. Ce nouveau programme se distingue par son orientation vers les communications et le marketing. Encore une fois, il s’agit d’une approche globale qui permettra aux étudiants de devenir des réalisateurs professionnels multidisciplinaires.