Après sa carrière de hockey, ils ont acheté un verger et démarré une entreprise de shampoing écologique, puis ils vécurent heureux… Le conte de fées pourrait se conclure ainsi, mais Philippe Choinière et Stacey Lécuyer Choinière ont plutôt décidé d’accueillir chez eux les centaines de personnes de la Convergence de permaculture. À une semaine d’avis, l’an dernier, ils ont accepté de prêter leur terre et leur ferme à l’événement. Cette année, ils ont récidivé avec plus de préparation. Sur leur ancien champ de soya pousse maintenant du chanvre. Ensemble les a rencontrés pour dresser le bilan de cette Convergence 2014 (lire notre dossier).
On les a vus partout, discuter avec l’un et l’autre, présenter les gens entre eux, et assister tout de même à quelques conférences. «Ce qui a marqué la Convergence cette année, c’est les rencontres, résume Philippe Choinière, copropriétaire de la ferme Oneka, où s’est tenue la Convergence de permaculture. On se voyait comme des connecteurs. On savait qu’il y aurait des gens qui devaient se rencontrer, et on a fait beaucoup de social.» Stacey Lécuyer Choinière, son épouse et coéquipière, a vu cette édition comme «une expérience d’ouverture. Tu mets les gens en contact, et une heure, une heure et demie après, tu vois qu’ils sont encore là à se parler et à partager!»
Coups de cœur
Les trois étoiles du match, pour cette édition de la Convergence, le couple les décerne à Elaine Ingham, Dave Jacke et Toby Hemenway. Mme Ingham, fondatrice de Soil Foodweb, a su captiver une salle comble à propos de la microbiologie des sols, un enjeu fondamental mais d’allure peu attrayante pour le public. M. Jacke, qui est à la tête de Dynamics Ecological Design, a intéressé la foule aux concepts abstraits derrière la polyculture et le compagnonage. M. Hemenway, du Center for Pattern Literacy, a offert son expertise en permaculture urbaine, notamment aux nombreuses personnes venues du grand Montréal.
«Je suis fière que ces gens-là aient participé, confie Stacey Lécuyer Choinière. Ça fait des années, parfois vingt ou trente ans, qu’ils sont engagés dans le mouvement de permaculture et qu’ils l’ont modelé.»
En tout, une cinquantaine de spécialistes ont partagé leur savoir avec les quelque 600 personnes qui ont assisté à l’événement, qui ont pu également s’instruire de sujets variés, allant de l’agriculture amérindienne à l’habitation écologique, en passant par les forêts nourricières, la fabrication collective, l’économie sacrée, les serres solaires passives (earthships), le yoga, le travail d’équipe, l’art du Chi, la construction d’un four à pain, les produits du chanvre et les plantes médicinales.
Généraliser le mouvement de la permaculture
Les effets de la Convergence 2013 sont déjà tangibles, selon les Lécuyer-Choinière, tant pour eux que pour l’ensemble du mouvement au Québec. «Nous, ça nous a propulsés dans une recherche, une découverte.» Ils sont allés voir des fermes jusqu’en Australie et au Wisconsin, ils ont accueilli des formations, dont un PDC (permaculture design course), en plus de bénéficier du regard de tous les spécialistes présents à la Convergence, directement sur leur ferme. Dans la foulée du PDC, «cinq personnes ont déménagé au village, rapportent-ils. Ça crée une masse critique, un groupe de personnes qui voit la vie à travers les principes de permaculture».
«L’événement popularise les principes, mais aussi expose les solutions», résume Philippe Choinière, qui croit que cette deuxième édition rapproche encore plus la permaculture du grand public. Certains facteurs ont aidé à faire mousser l’événement. «Cette année, Pierre Foglia qui fait un article, là on atteint la masse. Ce n’est plus des niches. J’ai rencontré des gens en fin de semaine qui étaient ici parce qu’ils avaient vu l’article de Foglia.»
Du hockey à la permaculture
Les deux entrepreneurs se sont rencontrés en 2003. «Mes parents sont entrepreneurs, rappelle Stacey Lécuyer Choinière, alors j’ai grandi dans le monde des affaires. Je savais que je voulais ma propre entreprise. Quand on s’est rencontrés, Philippe et moi avons tout de suite parlé de projets d’entreprise. Dans mon cœur, je savais que je voulais faire quelque chose pour le mieux, faire une différence, aider le monde.»
Philippe Choinière commençait alors sa carrière de hockey professionnel, qu’il a menée pendant cinq ans, de l’équipe canadienne à la ligue élite en France, en passant par les États-Unis. «Après ma carrière de hockey, ma passion s’est portée, avec Stacey, sur l’entrepreneuriat. On est partis en voyage pour trouver une alternative pour le verger et on a rencontré le chimiste qui fait maintenant nos produits. C’est comme ça que la compagnie de shampoing Oneka a commencé.»
«Oneka nous a permis de créer assez de revenu pour qu’on puisse en vivre bien, sans être des esclaves de notre système. C’est une synergie entre l’entreprise agricole et l’entreprise de transformation, parce que la vision originale avec les shampoings était de revenir ici à la ferme et d’y produire nos plantes, les transformer et les mettre dans nos produits. Ça nous a pris six ans à faire ça mais là, on est rendus là.»
Oneka, un mot qui signifie «eau» en langue mohawk, produit des shampoings «sains pour la santé et biodégradables, avec des extraits d’ortie, de sauge, de calendula, de bardane, de prêle, de pissenlit, et bientôt de chanvre, qui proviennent de la ferme».
Le bio, dans l’ADN de la permaculture
La question est revenue fréquemment pendant la fin de semaine: la permaculture, est-ce de l’agriculture biologique? Est-ce mieux? Pour Philippe Choinière, la permaculture et le bio vont de pair. «Une ferme gérée avec des principes de permaculture ne devrait pas utiliser des pesticides, entre autres parce qu’elle n’en aurait pas besoin.» L’éthique de la permaculture exclut l’utilisation de produits toxiques ou génétiquement modifiés: prendre soin de la Terre, prendre soin de l’humain, partager équitablement.
Pour l’instant, les producteurs en permaculture ont un marché de proximité qui permet un lien direct avec les consommateurs, ce lien de confiance qui permet de se passer de la certification. «La certification bio, explique-t-il, c’est nécessaire quand le produit est acheté au marché, et qu’il y a eu trois intermédiaires», pour transférer le lien de confiance au consommateur même s’il ne connaît pas le producteur. «Le bio, c’est fantastique, c’est un énorme pas franchi par rapport à l’agriculture conventionnelle, et je pense que la permaculture peut pousser le bio encore plus loin en améliorant les pratiques.»
La ferme de M. Choinière a vécu une longue transition. «Ça faisait quand même presque quinze ans que je recherchais des outils, des principes, des pratiques qui offriraient des possibilités différentes, c’est-à-dire une charge de travail moins élevée pour le fermier, et une meilleure relation avec la terre, raconte l’ancien athlète. La permaculture a été la réponse. Nous avions déjà fait une conversion vers le bio, et nous sommes toujours certifiés bio. Les principes de permaculture offrent les solutions pour que le fermier vive très bien de sa production et que le design des productions s’occupe très bien de la terre, et que l’eau soit bien gérée, ne soit pas polluée, que la terre ne soit pas compactée, que le sol soit rempli de bonnes bactéries et de champignons.»
«Mon père, qui est un pommiculteur conventionnel, utilise des principes de permaculture, parce que c’est le gros bon sens, nuance Philippe Choinière. Par contre, il y a des producteurs biologiques qui font de la monoculture, ce qui n’est pas recommandé. Le bio, c’est une certification. Il n’y a pas de certification en permaculture. C’est le fermier qui y gagne parce que c’est plus efficace, c’est moins de travail à long terme, tu t’occupes mieux de ta terre et en principe, tu gagnes mieux ta vie.»
«La permaculture, ce sont des solutions concrètes qui fonctionnent, que nous on applique, là, maintenant, et qu’on a vu appliquer par d’autres personnes dans leurs fermes, leurs entreprises, leurs constructions. C’est beau à voir parce que c’est efficace, ça fonctionne, c’est vrai, c’est réel, c’est du concret, c’est pas une théorie qu’on va voir si ça va marcher, ça marche déjà. C’est fait de lois naturelles incontournables.»
Coopératives et permaculture, histoire de synergie
Ce qui se dégage de la couverture de la Convergence par Ensemble, c’est qu’il y a beaucoup d’atomes crochus entre la permaculture et le coopératisme. Philippe Choinière pense que c’est avant tout une question de synergie. «Coop ou non, je pense que quand tu travailles avec des gens, il doit y avoir une synergie. Les coops qui sont basées sur des buts communs, une clarté de compréhension des attentes et des visions, avec des personnes qui s’entendent bien et qui collaborent bien, c’est hyper puissant.»
La permaculture est fondée sur l’interdépendance des éléments d’un écosystème, explique-t-il. «Les principes de la permaculture, c’est de faire des associations, des synergies, qu’elles soient botaniques ou humaines, c’est la même chose. La coop, c’est l’intention de créer une synergie humaine, de mettre des énergies ensemble pour un but commun, pour aller plus loin, plus rapidement, plus facilement, parce qu’il y a une énergie partagée.»
Une vingtaine de photos exclusives de l’événement