«Prenez exemple sur Stephen Harper», a lancé le conférencier Jean-François Lisée aux quelque 80 participants au Forum coopératif des Laurentides cet après-midi. «Ils [les Conservateurs] se sont dit : « si on ne s’unit pas, au-delà de toutes nos chicanes, on ne sera jamais au pouvoir ». Si Stephen Harper l’a fait, alors qu’il est un peu psychorigide selon certains, je pense que les coopératives peuvent le faire.» M. Lisée a invité le mouvement coopératif à s’unir et à exercer un pouvoir politique auprès des élus. Le ton était donné pour ce rendez-vous régional organisé par la Coopérative de développement régional (CDR) Outaouais-Laurentides.
En soulignant que les économies qui ont le mieux fait face à la crise de 2008 sont celles qui, comme le Québec, comptent beaucoup de coopératives, Jean-François Lisée a exprimé la nécessité de mettre en place des conditions permettant de favoriser un développement rapide du secteur coopératif, pour protéger l’économie du Québec des prochaines crises. Il a invité le mouvement coopératif à identifier cinq enjeux sur lesquels les candidats à la prochaine élection devront se prononcer, et à inviter les huit millions de membres au Québec à voter en conséquence.
Une région aux mille contrastes
C’est un tableau plein de nuances qu’a brossé Roger Hotte, directeur général de la Conférence régionale des élus des Laurentides, au sujet des défis socio-économiques qui sont devant la région. Entre autres, il a souligné la grande disparité des visages de cette région, qui s’étend des banlieues très peuplées de la couronne Nord de Montréal jusqu’aux portes de la Réserve faunique de La Vérendrye.
Le transport collectif, l’accès aux services publics, l’accès à Internet, le développement des loisirs, le maintien des services éducatifs et les services de garde sont des défis qui attendent les Laurentides, une région où se trouvent aussi bien la municipalité avec la moyenne d’âge la plus élevée au Québec, Saint-Sauveur, que celle avec la moyenne d’âge la plus basse, Blainville.
Comme ce fut le cas le 2 mai dernier en Outaouais, la CDR avait invité trois intervenants à présenter des projets de coopératives qui ont marqué la région au cours des dernières années.
La grande séduction
Le projet qui a mené à la création de la Coop de santé Lac-Masson, à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson, remonte à 2005. «Pour que ce soit un succès, il faut absolument que la communauté y adhère, souligne la mairesse Linda Fortier, qui a œuvré pendant 4 ans au développement de la coopérative. En moins d’un an, plus de 600 citoyens sont devenus membres.»
Le plus grand défi était de se trouver des médecins. La grande séduction a porté ses fruits en 2009 lorsqu’un premier médecin a répondu à l’appel, ce qui a permis de démarrer les opérations en septembre de la même année. Aujourd’hui, il y a deux médecins en permanence qui offrent des services de médecine généraliste quatre jours par semaine, et des spécialistes se sont récemment joints à l’équipe. Les quatre emplois créés sont significatifs pour la municipalité, car la coopérative compte plus de 2000 membres et 5500 patients ont reçu des services pendant l’année 2011. Près de 400 personnes sont toujours sur la liste d’attente.
Le service est universel, ouvert aux membres et aux non membres et, selon la mairesse, contribue à désengorger les hôpitaux des environs tout en ayant un effet structurant sur le développement de la communauté.
«Ça appartient au monde»
Le second panéliste, André Genest, maire de Wentworth-Nord et depuis peu vice-président de Solidarité Rurale du Québec, a expliqué comment cette communauté a décidé de reprendre en charge le dépanneur de la municipalité sous la forme d’une coopérative de services de proximité, qui sera bientôt dotée d’une station d’essence. Le comité provisoire de la Coopérative de solidarité Laurel-Station a été formé en 2011 pour assurer la relève de ce commerce vital, et il semble que le projet ait déjà eu un effet important sur l’achalandage.
Malgré la proportion de 74% de villégiateurs, le dépanneur atteint maintenant des résultats financiers comparables l’hiver et l’été, ce qui démontre l’appartenance des citoyens au projet. «Ça appartient au monde. C’est pas la bibitte du maire, c’est pas la bibitte du conseil, ça leur appartient pour vrai. Les résultats ont dépassé toute attente», s’émerveille-t-il.
Du patriarcat à la participation
À travers une rétrospective historique détaillée, Linda Tennier, présidente de la Coopérative de travailleurs actionnaire de l’Artographe, a décrit la démarche qui a mené à la création d’une coopérative de travailleurs actionnaire. En 2004, une grande entreprise de la région de Montréal a voulu acheter l’imprimerie, qui compte une dizaine d’employés à Mont-Laurier, pour concentrer les services à Montréal en ne conservant qu’un comptoir dans la municipalité. La Société nationale des Québécoises et des Québécois des Hautes-Rivières, locateur du bâtiment, souhaitait conserver son locataire et a sollicité les services de la Coopérative de développement régional (CDR) pour créer une coopérative de travailleurs permettant de maintenir la propriété locale de l’entreprise.
Les professionnels de la CDR ont alors rencontré les employés pour leur proposer d’acquérir collectivement 13% des actions, avec une participation du CLD et de la SADC, qui se partagent les 87% restants avec la Société nationale des Québécoises et des Québécois des Hautes-Rivières, actionnaire majoritaire. Mme Tennier a insisté sur le changement de culture organisationnelle. «Avant, on avait une gestion patriarcale, et maintenant, nous avons une gestion participative», a-t-elle illustré en expliquant que tous les services de l’entreprise sont représentés au conseil d’administration.
Des propositions
À l’issue d’un atelier de travail, les participants ont été invités à suggérer des avenues, des initiatives permettant de répondre aux enjeux qui touchent leur localité. Au nombre des propositions très diverses, citons qu’une participante a suggéré de créer une coopérative scolaire pour favoriser la rétention des jeunes dans la région.
C’est en dressant le bilan de la journée que le directeur général de la CDR, Patrick Duguay, a tenu à souligner la mobilisation des jeunes, en citant le mouvement étudiant. En faisant remarquer la présence de plusieurs jeunes et le foisonnement des carrés rouges à la boutonnière de participants de tout âge, il a affirmé que c’est cette même mobilisation qui est nécessaire à la création des coopératives.