Fév 062015
 

Parions que déjà, on a tenté de vous décourager de votre projet de coop, à grands coups d’exemples de coops qui ont raté leur coup: structure trop lourde, bisbille dans l’équipe, détournements, fraude. Les histoires d’horreur existent malheureusement dans le monde coop comme dans celui des entreprises capitalistes. La différence, c’est qu’il est possible de donner à une coop une solide structure démocratique qui permette d’éviter ces dérives. Voici, dans ce second article de la série Comment démarrer une coopérative?, quelques erreurs à éviter pour mettre votre coop à l’abri!

Dans l’enthousiasme de mettre au monde leur bébé entreprise, les fondatrices et fondateurs négligent parfois de porter l’attention nécessaire à l’élaboration de leur structure démocratique. C’est fastidieux, c’est technique, mais c’est pourtant essentiel. À qui donne-t-on le pouvoir de décider? Aux clients, aux travailleurs, aux producteurs, aux habitants du village? Peut-on faire cohabiter des intérêts différents les uns des autres?

On ne peut pas ouvrir la porte à tout le monde sous prétexte que c’est un projet collectif et fondé sur de bonnes intentions. Les structures, les lois et les règlements, ce n’est pas fait pour servir quand tout va bien. Les règles sont faites pour les pires moments: quand les conflits émergent, quand les intérêts contraires à celui de la coop se pointent le nez. Quand on se marie, on signe souvent sans regarder. Mais lors du divorce, on est content qu’il y ait des lois qui régissent une telle situation dans le Code civil.

Le pouvoir au lien d’usage le plus fort

Dans une entreprise capitaliste, le pouvoir va automatiquement aux personnes qui ont investi le plus d’argent, peu importe l’importance que l’entreprise représente pour eux. Dans un organisme à but non lucratif (OBNL), le pouvoir va à un conseil d’administration (CA) issu de la communauté, en espérant que ces personnes se sentent assez concernées. Dans une coop, vous avez la chance de donner le pouvoir décisionnel, celui de participer au CA, à la ou aux catégories de membres de votre choix. C’est là un choix décisif!

Il faut identifier le groupe d’intérêt qui formera la catégorie de membres pour qui la coop est très importante. Ce sont les personnes dont la coop répond à un besoin primaire, autant que possible. C’est ce qu’on appelle le «lien d’usage». Se loger, c’est un besoin primaire, travailler aussi. Ce sont des liens d’usage forts. Le membre travailleur, pour qui la coop représente son gagne-pain, risque beaucoup moins de prendre des décisions nuisibles à la coop que le client pour qui la coop signifie prendre un café de temps en temps (un lien d’usage très faible).

Selon votre projet, il s’agit d’identifier le lien d’usage le plus fort. Est-ce celui des producteurs qui dépendront de la coop pour la mise en marché efficace et équitable de leurs produits? Est-ce celui des consommateurs qui pourront se nourrir de produits sains et équitables à prix avantageux? Est-ce celui des travailleurs qui y gagneront leur vie? Selon votre réponse, vous choisirez une coop de producteurs, une coop de consommateurs ou une coop de travailleurs.

Par exemple, la Coopérative de journalisme indépendant, éditeur du journal Ensemble, est une coop de producteurs formée par les journalistes pigistes. Pour adhérer, ceux-ci doivent respecter de sévères critères d’indépendance. Ce choix permet de s’assurer que l’enjeu sensible de l’information reste protégé des pressions qui pourraient être exercées par les clients publicitaires, ou même par les lecteurs. Objectivement, le journal Ensemble est moins essentiel pour ces deux groupes d’intérêt que pour les journalistes qui y travaillent à la pige.

Coop de solidarité

La coopérative de solidarité est un autre modèle très en vogue depuis son apparition au tournant du millénaire. Cette structure permet de faire cohabiter plusieurs catégories de membres dans une même coop. Ce faisant, elle ouvre la porte à des conflits d’intérêts qu’il est essentiel d’éviter.

Deux catégories de membres peuvent avoir des intérêts divergents, et c’est très légitime. Par exemple, les producteurs veulent avoir le meilleur prix pour leur produit, et les consommateurs exigent au contraire de payer le moins possible.

Dans ce cas, il est très important de choisir une catégorie de membres principale, et même d’exclure certaines catégories. Dans une coop de solidarité à «dominante consommateurs», par exemple, on pourra très bien choisir d’exclure les producteurs et de limiter le nombre de sièges des membres travailleurs au CA. Dans une coop de solidarité à «prédominance travailleurs», on limitera les producteurs à un siège au CA et on exclura les consommateurs. Si l’on garde toutes ces catégories, il faut s’assurer qu’une d’entre elles détienne le plus grand nombre de sièges au CA.

Une coop de solidarité doit aussi accorder au moins un siège du CA, et au maximum un tiers de ces sièges, à une nouvelle catégorie de membres, appelée «membres de soutien». Si le lien d’usage d’un groupe d’intérêt est trop faible mais qu’on souhaite tout de même la voir représentée au CA, on peut lui donner ce statut de membre de soutien. Par exemple, les lecteurs du journal local coopératif, dont on souhaite la participation à la coop même s’ils n’ont pas de lien d’usage financier, peuvent se voir confier le rôle de membres de soutien.

Comme le veut l’adage, «le diable est dans les détails», et si vous voulez que votre coop prospère contre les vents et les marées qui ne manqueront pas de battre sa coque, il faut que celle-ci soit solide. Ce texte avait pour mission de vous confier certains principes de base pour guider la construction de votre structure coop. Il vous faudra maintenant la traduire sur papier dans le règlement de régie interne, avec l’aide de votre Coopérative de développement régional (CDR), dont voici la liste. La semaine prochaine, nous aborderons le plan d’affaires, qui est l’ADN de votre projet.

À bientôt!

Depuis la fondation du journal Ensemble, avec la publication de centaines d’articles spécialisés sur les coopératives et d’un livre sur l’Année internationale des coopératives en 2012, de nombreux groupes ont sollicité notre équipe pour avoir des conseils et de l’information en vue du démarrage de leur propre coop. Nous publions dans cette série d’articles un résumé des étapes que nous recommandons. Ces articles seront mis à jour à l’occasion.