«Se mobiliser ensemble pour la relève.» C’était le thème du récent forum coopératif organisé par le Conseil québécois de la coopération et de la Mutualité, les 14 et 15 mars derniers à Québec. Alors que la campagne électorale bat son plein, les coopérateurs et coopératrices en ont profité pour confier à Ensemble leurs attentes envers le prochain gouvernement du Québec. Bien sûr, on exige plus de moyens pour les coops, mais surtout pour une priorité importante, la relève et le transfert d’entreprise sous forme coopérative.
Beaucoup de travailleurs prendront leur retraite prochainement et les propriétaires d’entreprises ne font pas exception. Qu’adviendra-t-il de leurs entreprises? «Il va manquer des dizaines de milliers de repreneurs individuels, mais les travailleurs sont là. Pour préserver les belles entreprises saines qui n’ont pas de repreneur, la coopérative est la formule idéale», explique Alain Bridault, qui est président de la Fédération canadienne des coopératives de travail (FCCT), mais aussi membre de l’exécutif du Réseau de la coopération du travail du Québec et de l’Association mondiale des coopératives de travail (CICOPA).
Une décennie de la relève coopérative
Pour faire face au besoin de relève dans plus de 55 000 petites et moyennes entreprises (PME) au Québec pendant les dix prochaines années, M. Bridault demande des moyens efficaces. Par exemple, qu’un droit de premier rachat soit donné aux employés qui se réuniraient en coopérative, un principe qui était notamment défendu par Jean-François Lisée avant qu’il devienne ministre des relations internationales du gouvernement péquiste. «Le risque est énorme qu’il y ait des repreneurs, mais américains ou provenant d’autres provinces, et qu’ils rachètent juste l’entreprise pour l’achalandage ou les équipements et qu’ils vident l’entreprise et qu’il n’y ait plus d’emploi, s’inquiète M. Bridault. Il faut qu’il y ait un droit de préemption des travailleurs.»
Pour réussir les transferts, il faut un investissement massif dans les ressources qui accompagnent les nouvelles coopératives, notamment les Coopératives de développement régional (CDR). «C’est pas facile, d’abord de percer le milieu « inc. » pour positionner notre alternative coopérative, indique Marie-Ève Myrand, directrice générale de la Fédération des CDR du Québec. Ensuite, il y a beaucoup d’intervenants à tous les niveaux et le transfert lui-même est déjà un défi en soit, qu’il soit coop ou non.»
Lors des consultations budgétaires, le CQCM a demandé des fonds spécifiques pour relever ce défi, rappelle Gaston Bédard, son directeur général. «On souhaite que le gouvernement apporte sa contribution pour nous soutenir dans le développement de cette nouvelle approche de transfert d’entreprise vers des entreprises plus collectives. Ça, c’est majeur pour nous. On a avancé quelques montants, 1,5 million $ par année pendant quelques années.» Ce petit montant attribué au Groupe coop relève est un levier pour un travail qui va être aidé par d’autres spécialistes, précise-t-il.
Après l’élection, le nouveau gouvernement devra présenter son plan d’action sur l’économie sociale, comme le prévoit la loi-cadre adoptée en 2013. Dans le monde coopératif, on s’attend à ce que ce plan d’action contienne plusieurs mesures très concrètes.
Soutien au développement coopératif, biomasse et services à la personne
En plus du transfert d’entreprise, le CQCM a identifié plusieurs priorités. En entrevue, Gaston Bédard en a nommé trois principales: le renouvellement de l’entente de partenariat qui soutient les Coopératives de développement régional et les fédérations sectorielles «pour le développement de l’entreprise coopérative, donc des entreprises, des emplois et du maintien d’emploi dans nos villes et dans les régions du Québec», la création d’un Fonds d’investissement pour la biomasse forestière et le développement des services à la personne (services à domicile, coopératives de santé, coopératives pour l’aide à la famille, paramédics, garderies, etc.). «Il faut avoir des structures qui soutiennent bien toutes ces nouvelles réalités du Québec», souligne M. Bédard.
Le Chantier de l’économie sociale a aussi présenté ses dix propositions, où la relève et le transfert des PME est également prioritaire. On y demande l’adoption d’une nouvelle loi sur les associations (qui sont encore régies par une exception à la loi des compagnies), ainsi qu’une amélioration de l’accès aux programmes gouvernementaux et aux contrats public. «Acceptera-t-on de recourir davantage à ces entreprises transparentes, démocratiques et efficaces pour les achats de biens et de services sur les marchés publics?», s’interroge Nancy Neamtan, présidente-directrice générale du Chantier.
Plus de soutien et plus de cohérence
Du côté des coopératives sur le terrain, on soulève le besoin de plus de cohérence et de reconnaissance dans les programmes des ministères. «On s’attend du plan d’action gouvernemental en économie sociale qu’il prévoie la possibilité réelle et concrète de moduler les programmes de financement pour les coopératives et les OBNL qui sont d’économie sociale, et qu’il s’assure qu’elles aient un levier financier», indique Jonathan Maheu, directeur général du Réseau Accorderie.
Pour Gregory Brasseur, jeune coopérateur engagé, il faut activement favoriser les coopératives. Il demande que «dans les contrats publics, par exemple, on ait une reconnaissance des coopératives, qu’on en fasse un choix à privilégier.» Il soulève aussi le besoin d’éduquer à la coopération, du primaire à l’université. «Je voulais, à 16-17 ans, poursuivre mon cheminement citoyen et professionnel dans le mouvement coopératif et je me retrouvais buté à une offre inexistante dans les cégeps et universités au niveau du premier cycle en matière de développement de coopératives.» La chaire récemment annoncée par l’Université Laval s’ajoute au programme de maîtrise de l’IRECUS offert depuis des années à l’Université de Sherbrooke, concède-t-il, mais ces exceptions soulignent que la coopération est encore loin d’avoir le même statut que le capitalisme dans le système éducatif.
Pour Marie-Ève Myrand, l’impact des coopératives ne se mesure pas seulement en nombre d’emplois créés. «Parfois, la nature profonde de la création de la coopérative, c’est pas en termes de développement économique qu’on va la calculer, mais en termes d’occupation et de dynamisation du territoire. La coopérative ne sera pas nécessairement le moteur économique du coin, mais elle va permettre de conserver les conditions nécessaires au développement.»
Parmi les lauréats du concours vidéo pour la relève Coopérer, c’est faire ensemble!, une coopérative gaspésienne en démarrage promet de jouer un rôle structurant dans son milieu. «Le Germoir s’engage dans la construction de la résilience collective. Nous prenons part aux transformations que les réalités écologiques, économiques et sociales rendent nécessaires, et dans lesquelles la coopération est un élément clef, illustre Pascal Bergeron, membre fondateur de la Coopérative de solidarité Le Germoir, de Carleton-sur-mer, en Gaspésie. Nous espérons que l’élan de changement auquel nous participons reçoive le financement suffisant pour assurer son déploiement dans un avenir rapproché.»