Oct 012014
 

Il est difficile de savoir ce qu’offre TransCanada aux conseils de bande de plusieurs nations autochtones pour passer l’oléoduc Énergie-Est sur leurs territoires ancestraux. La Première nation malécite de Viger a publiquement admis discuter avec la compagnie albertaine à propos du port de Cacouna. Selon l’organisation Stop Oléoduc de la Capitale-Nationale, il y aurait actuellement des discussions avec le conseil de bande Huron-Wendat de Wendake pour plusieurs centaines de milliers de dollars. Combien vaut le territoire ancestral?

«TransCanada Pipeline, explique Konrad H. Sioui, le Grand Chef du conseil de bande Huron-Wendat, a des négociations avec chacune des communautés ou des nations où passe le projet d’oléoduc. Ils ont engagé une firme autochtone, qui s’appelle Ishkonigan et qui est présidée par l’ancien chef national, Phil Fontaine. Phil, il a comme mandat de rencontrer les nations ou les groupes de communauté où l’oléoduc va passer. On l’a rencontré, bien sûr.»

Prendre sa part du gâteau

À Cacouna aussi, les discussions seraient en cours entre la compagnie albertaine et le conseil de bande. Pour Anne Archambault, Grand Chef de la Première Nation Malécite de Viger, c’est «l’extrême pauvreté» des communautés qui force les conseils de bande à tenter d’obtenir le plus possible de compensations pour des projets qui, selon elle, vont se réaliser de toute façon. Elle juge que dans le passé, les Premières Nations n’ont jamais touché leur juste part des profits tirés de l’exploitation des ressources.

«Oui, on est pour la protection, mais on est aussi pour le développement économique. Si on attend après les ententes de financement [du gouvernement] pour exercer notre droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, on n’y parviendra pas.» Ce qu’elle réclame des compagnies comme TransCanada, c’est «qu’ils viennent nous rencontrer, qu’ils nous consultent et qu’ils nous accommodent».

Cette situation a retenu l’attention des groupes citoyens qui s’opposent au projet de TransCanada. C’est pourquoi Stop Oléoduc de la Capitale-Nationale a sonné l’alarme. «Tout en reconnaissant de tout cœur l’autodétermination des peuples autochtones sur leurs terres et territoires, précise la porte-parole Micheline Langlois, nous espérons, pour le bien commun, qu’ils suivront le même chemin entrepris par les Premières Nations de l’Ouest canadien, c’est-à-dire la sauvegarde du territoire ancestral pour les générations futures plutôt que le saccage industriel de leur magnifique territoire en cette ère néolibérale.»

L’Ouest a dit non

Ce sont les Premières Nations de l’Ouest qui ont bloqué le projet d’oléoduc Northern Gateway d’Enbridge. «On sait exactement comment jouer notre jeu», lance Konrad Sioui, conscient de détenir les moyens légaux de bloquer ces projets. Il affirme que les Premières Nations de la Colombie-Britannique ont refusé «des offres extrêmement alléchantes».

Selon le site de la compagnie, Enbridge leur a offert 10% des parts dans ce projet de 6,5 milliards $, ainsi qu’environ 300 millions $ en contrats et emplois, pour un bénéfice «à long terme» estimé à 1 milliard $. Au Québec, les coûts du projet de TransCanada sont estimés à 12 milliards $, soit le double. Est-ce à dire que, même pour plus de 2 milliards $, les Premières Nations du Québec refuseraient de vendre leurs territoires ancestraux?

Négocier, pour l’instant

Konrad Sioui affirme avoir fait un choix stratégique en acceptant de négocier. Plutôt que de bloquer d’emblée le projet, le conseil de bande de Wendake a choisi de «faire valoir au gouvernement fédéral et au gouvernement provincial le fait qu’il y a des dangers réels que l’environnement soit affecté pour toujours», explique-t-il, en soulignant que les compagnies pétrolières «se sont foutues des droits des Premières Nations jusqu’à ce que la Cour suprême les y oblige».

Le chef affirme que les discussions en cours ne portent que sur le financement d’études environnementales qui seraient menées par une firme de la communauté. Il salue l’alliance entre les Premières Nations, les citoyens des régions et les groupes environnementaux pour la protection du golfe du Saint-Laurent, à laquelle il a pris part à Gescapegiag en 2011. «Les Premières Nations ne sont plus seules. Il y a des coalitions arc-en-ciel, qui ont toutes les couleurs, qui viennent de tous les milieux. C’est pas vrai que c’est un paquet de marginaux.»

«Quand c’est le temps de protéger un territoire, de protéger l’environnement, de protéger la vie aquatique, la vie, la faune, etc., de protéger l’héritage de nos enfants, il n’y a pas d’argent, s’enflamme M. Sioui. Les Premières Nations en Colombie-Britannique ont rejeté les 10% en se basant sur ce principe-là. L’argent, ça part en fumée, mais ton territoire, c’est lui qui va te soutenir tout le temps.»

L’ancien Grand Chef de la Nation Huronne-Wendat, Max Gros-Louis, n’est pas de cet avis. «C’est un must, l’oléoduc qui devrait passer, s’il y a de bonnes études de faites pour protéger l’environnement, et s’il y a des travaux à faire, s’ils veulent faire participer les Premières Nations, croit-il. Tout le monde veut en avoir, du gas. Si le monde veut arrêter d’aller tanker à la station de gasoline, on n’en a pas besoin, mais je pense que les gens n’arrêteront pas d’acheter de l’essence pour voyager. Je pense qu’il va falloir le faire mais en faisant bien attention.» Il se dit favorable à des compensations en services, pour améliorer les conditions de vie de la communauté.

A-t-il été consulté comme citoyen? «Absolument pas, dénonce-t-il. La population ici n’est pas au courant. On dirait que c’est secret, cette affaire-là.» L’ancien Grand Chef appelle à une consultation populaire: «il faut négocier d’une manière ou d’une autre, et il faut faire participer la population, bien entendu.»

Aucun risque n’est acceptable

«C’est sûr qu’on a besoin d’argent pour mettre du gas dans l’char et faire nos affaires, admet Konrad Sioui. On est conscients de ça, mais c’est pas un enjeu, l’argent. Jamais, s’engage-t-il. Si quelqu’un est capable de venir prouver à la nation ici que les impacts sont mineurs, que les bélugas, que toute la faune aquatique, que les outardes qu’on mange, qu’on chasse, que les œufs de canards, etc., que tout ça est protégé et qu’il n’y aura jamais une chance sur un million qu’il y ait un déversement ou qu’on se ramasse dans la même situation que dans le golfe du Mexique, si quelqu’un vient confirmer hors de tout doute qu’il n’y aura jamais, jamais, jamais, jamais un risque. S’il y a 1% de chances, on ne le prend pas. C’est 0%. 0% de chances, et on est loin de là!»

Toute entente est invalide

Du côté de Kanehsa:tàke, une communauté mohawk touchée par le projet d’inversion de la ligne 9 d’Enbridge (qui touche également les territoires hurons-wendat en Ontario), c’est la légitimité des conseils de bande qu’on met en doute. «Le Conseil de bande est un régime fantoche*, s’indigne Stuart Myiow Jr, représentant du Clan du Loup au Conseil Traditionnel Kaienkéha:ka (Conseil Traditionnel Mohawk). La Couronne britannique a imposé ce faux gouvernement à l’intérieur de notre peuple, avec la Loi des Indiens

Selon lui, «pour avoir une vraie communication où les vraies choses seront représentées, cela doit se faire sous le Two Row Wampum Treaty, avec les gouvernements traditionnels des Premières Nations. Les chefs traditionnels sont les seuls qui portent les vraies positions des Premières Nations.»

Selon le jeune représentant, c’est la division que la Couronne britannique a apportée dans les communautés, sous le couvert de la démocratie. «Cette « démocratie » crée des minorités qui veulent opprimer d’autres minorités, alors que notre culture est fondée sur le principe du consensus, explique-t-il. Sous le principe du consensus, nos mères sont l’autorité. Les femmes chefs sont l’autorité de notre peuple. Toute représentation de notre peuple sur quelque enjeu que ce soit doit passer par les femmes. Quand vous recherchez une véritable relation diplomatique, c’est à elles qu’il faut s’adresser. Dans la communauté Kaienkéha:ka, il s’agit de la Maison Longue, sous la grande loi de la paix.»

C’est pourquoi M. Myiow affirme que «toute entente conclue entre un conseil de bande et les représentants de TransCanada est illégale. Et même dans les communautés non-autochtones, il y a des processus légaux qu’ils n’ont pas respectés».

* Traduction de l’auteur