Ce n’est pas l’habituel Victor-Lévy Beaulieu bagarreur qui a accueilli la presse régionale chez lui, ce mercredi d’été où il lançait Désobéissez!. À tel point qu’il fut difficile de lui arracher un portrait un tant soit peu combatif, entre anecdotes, citations et souvenirs de jeunesse, tout sourire. Non, c’est plutôt la force tranquille de la nature qui l’animait. Celle qui attend son heure pour sonner le glas d’une époque et d’une humanité schizophrène. C’est cette force qui transcende les 180 pages du livre rouge de l’écrivain pistolois. Page après page, il pose les pierres de la saine indignation, celle qui se traduit par la désobéissance.
Dans ce qui pourrait paraître un livre de citations, Victor-Lévy Beaulieu appuie sur Kropotkine, Thoreau et Gandhi un propos éloquent. Malgré l’interface supplémentaire qu’imposent aux lecteurs ces généreux emprunts aux auteurs qui ont éveillé sa vie militante, il trace un tenace fil d’Ariane qui mène à l’envie d’agir. Car «l’indignation ne suffit pas».
Autobiographique
Dans son œuvre en général, VLB manie avec art le dialogue entre d’une part, son propre univers, son vécu, sa région, et d’autre part, sa fiction et son message. Ici, il amène les lecteurs aux origines de sa colère, dans les balbutiements de sa désobéissance. Largement autobiographique, l’ouvrage prend pied sur ce refus originel de l’ordre établi. L’intuition de l’enfant qu’il était, boqué par-devers sa mère, l’école et la religion, devient un exemple éloquent au service de cet appel à la dissidence.
Dans un langage moins baroque qu’à son habitude, plus accessible, VLB aborde au passage les faits les plus révoltants de notre époque. Chiffres à l’appui, il démontre la faillite du modèle actuel. La désintégration du tissu social, il la mesure bien sûr dans l’effritement de la culture. Il dénonce également l’économie spéculative et acrobatique qui se tient actuellement au bord du gouffre, sinon suspendue au-dessus dans son élan. Mais surtout, il insiste sur l’impasse écologique et sur l’impuissance démocratique.
Au passage, il décochera quelques flèches à la Charte des valeurs, dont l’ébauche avait déjà filtré dans les médias au moment de mettre son livre sous presse. Il aborde aussi la corruption endémique, dont l’étalage quotidien à la commission Charbonneau en fait une criante illustration de la faiblesse des institutions démocratiques.
Réforme démocratique
Dans une charge sans équivoque contre le système démocratique actuel, celui qui s’est déjà présenté plusieurs fois par protestation aux élections affirme que le «droit de voter à tous les quatre ans pour un parti ou pour un autre n’a rien à voir avec la démocratie, puisqu’une fois les élections passées, l’un ou l’autre des partis se trouve au pouvoir et agit comme bon lui semble, contre sa propre majorité s’il le faut, et contre la minorité qui n’a pas voté pour lui». La réalité est même pire, car il y a belle lurette qu’un gouvernement a été élu avec plus de 50% des suffrages.
«Nos institutions dites démocratiques ne sont plus que des caricatures et ne se réformeront pas d’elles-mêmes», affirme-t-il à cinq pages de la fin. Que faire? Après 17 dizaines de pages angoissantes, à l’orée de la dépression, on attend la solution. Tous les essais de ce genre se butent à l’obstacle de la solution. Il est si facile de décrire les problèmes du monde. S’il y avait une solution, n’existerait-elle pas déjà?
Désobéissance civile
Justement, elle existe. Partout dans le monde, les peuples se soulèvent pacifiquement. Avec une simplicité désarmante, «volontairement naïve», écrit-il, VLB invite les gens à pratiquer la désobéissance civile. Engorgement des tribunaux, grève, retard massif de paiement d’impôts, boycottage, envahissement de la fonction publique par des citoyens pointilleux qui veulent se faire tout expliquer, visites inutiles chez le médecin, demandes d’emprunts bidon, occupation de bureaux de circonscription, etc. Victor-Lévy Beaulieu semble doté d’une imagination sans bornes pour des actes de désobéissance civile, mais il n’en nomme que quelques-uns.
La clé, c’est que cette désobéissance soit collective, et qu’elle soit le fruit d’une conscience collective. «L’espoir que j’ai en l’humanité, c’est que partout dans le monde, les gens comprennent ça, confie-t-il en entrevue. Une fois que la conscience est devenue collective, là, tu deviens, non pas un individu parmi d’autres individus, mais tu deviens une société. Et toute société qui se tient par la main, par l’esprit, vient à bout de n’importe quoi, sans même prendre les armes.»
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Désobéissez !, Éditions Trois-Pistoles, automne 2013, 180 pages.