Jan 012014
 

Depuis quelques années, Mountain Equipment Coop (MEC) a effectué des changements dans sa structure de gouvernance. Ces changements limitent le pouvoir des membres au profit de celui des administrateurs, notamment pour la sélection des candidats éligibles au conseil d’administration ou pour le dépôt de propositions par les membres. MEC se détourne-t-elle de ses racines coopératives? Ensemble a interrogé Sara Golling, co-fondatrice de la célèbre entreprise de matériel de plein air, pour prendre la mesure du fossé qui s’est creusé au pied de la forteresse.

Nicolas Falcimaigne, journal Ensemble : Quand MEC a été fondée, quelle était votre intention concernant la participation des membres?

Sara Golling, co-fondatrice de MEC : Puisque nous avons démarré MEC en coopérative, la participation des membres était très importante, surtout au tout début. Jusqu’à récemment, les membres étaient encore habilités à proposer autant des résolutions ordinaires que des résolutions extraordinaires à l’Assemblée générale annuelle (AGA) de la même façon que pour l’élection des administrateurs. Par exemple, c’est une résolution de membre qui a mis en place l’aide financière de MEC aux projets environnementaux. Les AGA étaient très intéressantes, car nous avions plus de participation à l’élection des administrateurs. Avec l’augmentation du nombre de membres, le nombre – oui, le nombre absolu – de membres votants a diminué.

NF : Pensiez-vous que MEC allait devenir une aussi grande entreprise? Quels changements auraient dû être faits à la représentation des membres pour s’adapter à cette croissance tout en préservant le droit de participation des membres?

SG : Au tout début, nous n’avions aucune idée que MEC allait même survivre, mais plusieurs membres ont donné de leur temps pour en faire un succès et le premier directeur, Jim Byers, a travaillé fort pendant trois ans pour que MEC devienne une réussite coopérative. Mais non, je pense qu’aucun d’entre nous ne réalisait que MEC allait devenir une aussi grande entreprise – et nous n’avions pas le temps d’y songer! Je pense que nous présumions que MEC allait croître, mais seulement jusqu’à un certain point, parce qu’au début, nos membres n’étaient pas le grand public, mais principalement des adeptes d’escalade et de haute montagne, des skieurs de montagne et des routards. En répondant simplement aux besoins de nos membres, nous pensions devenir un exemple de «prospérité sans croissance». C’est le titre d’un livre, qui démontre mathématiquement qu’une économie basée sur la croissance exponentielle est destinée à échouer; voir aussi le livre Limits to growth (1972) et sa mise à jour en 2002 – des lectures qui en valent la peine.

Le conseil d’administration a cherché des solutions concernant la représentation des membres pendant que MEC se développait. Je fais partie d’un certain nombre de membres qui n’étaient pas favorables à un système de délégation basé sur la situation géographique, parce que nous pensons que chaque administrateur doit représenter tous les membres, peu importe où ils sont situés – pour s’assurer que tous les membres soient correctement servis, que MEC ait un bon directeur, qui entretient des politiques saines et à jour et qui les respecte, et que la coop se porte bien. Et en même temps, nous avions mené des études sur ce que coûterait un système de délégation, et c’était assez cher. Cela aurait aussi eu pour conséquence de réduire l’influence des membres, dans leur ensemble, sur le choix des administrateurs pour représenter leurs intérêts. Tout cela considéré, je suis encore en faveur d’un conseil de neuf administrateurs sélectionnés par l’ensemble des membres. Je ne sais pas quelle attention le conseil et les gestionnaires accordent aux commentaires des membres sur la page Facebook de MEC.

La nouvelle restriction sur la capacité des membres à proposer TOUTE résolution, même une résolution ordinaire – exigeant l’appui de 500 membres – me semble à l’opposé des principes coopératifs, et c’est très triste que le conseil d’administration de MEC ait décidé d’imposer ce «gel» de la participation des membres. Il semble que cela soit aussi totalement inutile, parce que le conseil avait déjà le droit de refuser toute résolution qui lui semblait potentiellement nuisible à MEC. Et quelle autre bonne raison y aurait-il de refuser d’entendre quelque résolution que ce soit de la part des membres – même s’ils n’ont pas recueilli l’appui de 500 autres membres?

Autre changement pénible : maintenant, le conseil dit pratiquement aux membres comment voter, aussi bien en ce qui concerne les administrateurs que les résolutions. Je crois qu’il est inacceptable que le conseil fasse de telles recommandations aux membres. À l’élection des administrateurs, le conseil devrait trouver une façon de clarifier les différences entre les candidats pour que les membres fassent des choix informés.

De la même manière, pour les résolutions qui ne sont pas simplement des questions de gestion courante, les arguments pour et contre devraient bénéficier du même poids dans les communications, avec le nom des personnes qui les défendent. Idéalement, il devrait y avoir un lien vers une zone de discussion des membres sur le site.

Je suis également déçue du récent changement de logo – pas qu’il ait été changé, mais que le nouveau logo soit si générique qu’il pourrait représenter n’importe quoi : il ne contient rien de distinct! C’est ennuyant, carré… et ils ont même réussi à éviter d’y insérer le mot «coop».

Je suis par ailleurs très heureuse de l’orientation récente de MEC à l’effet d’encourager plus de gens, surtout les jeunes personnes, à faire plus d’activités physiques extérieures. Certains membres sont déçus que MEC soit devenue plus inclusive et ne se cantonne plus seulement aux aventuriers extrêmes, mais maintenant que tant de personnes – surtout les enfants – passent beaucoup trop de temps à regarder un écran et à entraîner uniquement leurs pouces, notre société a vraiment besoin d’encouragement à aller jouer dehors et à être actif. Si trop d’entre nous deviennent des gamers sédentaires qui se tournent les pouces, nous ne serons pas en mesure de faire face aux défis croissants du monde que nous avons créé. MEC célèbre la nature et l’activité dans la nature et je souhaite que cela continue.

NF : Avez vous eu quelque correspondance avec l’administration actuelle de MEC au sujet des changements de gouvernance?

SG : Oui, assez pour que le conseil actuel soit au courant de ma vision. Ils savent que moi et plusieurs autres des six membres fondateurs n’aiment pas les restrictions sur la participation des membres, la «corporatisation» du conseil, le nouveau logo et le fait de ne pas placer l’identité coopérative de MEC à l’avant-plan, de ne pas éduquer les membres sur le modèle coopératif. C’est une grande déception pour moi et pour plusieurs autres.

NF : Croyez-vous qu’il y a eu un changement dans les attentes des membres qui ont mené à ces changements de gouvernance?

SG : Je ne sais pas s’il est juste de dire que la perte d’attention des membres au sujet de la coopération a «mené» aux changements de gouvernance, plutôt que simplement «permis» ces changements. Je commence à douter de la proportion de membres de MEC qui savent que MEC est une coop tout court. Donc, oui, je pense que leurs attentes sont seulement que MEC soit un détaillant d’équipement. Les membres les plus engagés sont au courant, bien sûr, mais moins MEC investit d’énergie dans l’éducation des membres, moins il y aura des membres informés de ce qu’est une coop et du fait que MEC en est une. Peut-être qu’au Québec, où la culture coopérative est plus forte, plus de membres de MEC connaissent la coopération et savent que MEC est une coop. Mais si vous allez dans un des magasins MEC dans l’ouest du Canada et demandez à des membres au hasard ce qu’ils savent de la coopération et du statut coop de MEC, vous risquez de ne récolter que des regards confus.

NF : Croyez-vous que MEC continuera d’être une coop dans l’avenir?

SG : Il est probable que le monde sera rattrapé par les effets des activités humaines avant qu’il soit vraiment question de démutualisation : changements climatiques, phénomènes météorologiques extrêmes, surpopulation, raréfaction des ressources et des moyens, conséquentes pénuries alimentaires et faillite économique. Quand je pense à tous ces facteurs qui convergent, cela me rappelle une image de Calvin et Hobbes il y a quelques années, dans laquelle Calvin joue et organise simultanément des accidents imaginaires impliquant un naufrage de bateau, un déraillement de train et un écrasement d’avion, tous au même endroit, et qui dit : «Voilà, CELA devrait être intéressant!» Donc, quand je regarde ce qui arrive dans le monde et ce qui semble devoir inévitablement survenir pendant ma durée de vie – j’ai 68 ans – je pense : «Oui, CELA va être intéressant, mais stupide».

Pourquoi stupide? Parce que nous sommes des animaux pensants, nous avons la capacité de voir ce qui se passe, nos meilleurs scientifiques nous ont dit ce qui se passait, et pourtant nous nous permettons de faire comme si cela n’était pas en train de se passer, ou comme si cela n’arrivait qu’à d’autres gens, ou comme si rien que nous puissions faire ne pouvait l’empêcher, alors pourquoi essayer? Et nous évitons de faire quoi que ce soit pour éviter le désastre ou même pour nous y préparer autant que possible. Les humains dans l’ensemble sont encore essentiellement et fondamentalement beaucoup trop primitifs. Nous sommes principalement motivés par les instincts primitifs d’amasser des biens, de contrôler les autres, de tuer les étrangers et de procréer. Ceux d’entre nous qui veulent rendre le monde meilleur par la coopération ne semblent pas être en majorité, globalement. Peut-être que la nécessité améliorera bientôt notre comportement.

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Sara Golling est la première signataire de la lettre ouverte de Democraticcoop.ca pour dénoncer les changements dans la gouvernance de MEC.

MISE À JOUR

À la suite de la publication de cette entrevue, le premier directeur de MEC, Jim Byers, a réagi en transmettant sa vision, différente de celle de Mme Golling, concernant la centralisation de MEC:

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«Je crois que MEC aurait dû évoluer vers une fédération de coops régionales et un contrôle décentralisé, soutient M. Byers. Il y a eu des discussions concernant l’éventualité d’une croissance de l’organisation au-delà de la Colombie britannique, où elle a pris racine. En février 1974, je me suis rendu à Calgary pour discuter de coopération avec un groupe de randonneurs de montagne. Ils avaient enregistré une coop sous charte fédérale, la Canadian Mountaineering Co-operative (CMC). À ce moment-là, je m’attendais à ce que l’organisation s’étende au Canada avec de telles coopératives indépendantes, contrôlées par leurs membres dans chaque région. C’était, et c’est encore, le modèle fédéré qu’utilisent la plupart des caisses (credit unions et Desjardins) et du mouvement coopératif en général. En mai 1974, j’avais terminé mon mandat de trois ans chez MEC et j’ai quitté Vancouver. Conséquemment, les deux organisations ont fusionné sous la bannière de MEC et CMC est disparue. Je crois que c’est la première erreur fondamentale qu’a commis l’organisation. L’ouverture de nouvelles succursales et le développement dans les autres régions se sont faits sous le contrôle centralisé de l’organisation basée à Vancouver. J’ai très peu d’espoir, même aucun, que MEC reste une coopérative dans l’avenir. Actuellement, elle n’a de coopératif que le nom.»