Avr 082010
 

Arrasate, journal Le Mouton NoirArrasate. C’est le nom basque de la ville où siège la coopérative Mondragon, dans la province de Gipuzkoa. Joueur important de l’économie basque et espagnole, le géant est une ville dans la ville, où les sièges de plusieurs coopératives membres poussent comme des champignons. Ici un distributeur alimentaire, là un centre de recherche et une université, les coopératives foisonnent dans cette vallée du versant sud des Pyrénées. José Luis Lafuente, responsable du modèle de gestion coopératif, nous accueille au siège social. Il confie que des milliers de visiteurs passent par le centre de gestion chaque année pour en savoir plus sur ce mouvement de développement collectif auquel aucun secteur ne semble pouvoir échapper.

Mondragon forme un complexe imposant à Arrasate. Photo: N.Falcimaigne

Mondragon, c’est 106 coopératives basques qui possèdent 129 filiales privées et qui emploient plus de 85 000 personnes, partout dans le monde. Les membres travailleurs des coopératives affiliées représentent 8 % des travailleurs industriels et 4 % du produit intérieur brut (PIB) des provinces de Bizkaia, Gipuzkoa et Alava, réunies sous la juridiction d’Euskadi, le gouvernement autonome basque. Le rapport annuel 2008 affiche un chiffre d’affaires de 16,7 milliards €, un chiffre qui devrait être revu à la baisse avec les effets de la crise. En effet, la réduction de 7 000 emplois n’apparaîtra qu’au rapport 2009, toujours en préparation.

C’est suite à la guerre civile espagnole qu’un jeune prêtre basque, José María Arizmendiarrieta, décide de relancer l’économie de sa paroisse en fondant une école professionnelle à gestion collective. « Pour démocratiser le pouvoir, il faut socialiser le savoir », disait celui que l’on appelait le curé rouge, issu du mouvement social catholique. Cinq étudiants de cette école fondent en 1956 la première coopérative du groupe, ULGOR, qui fabriquait à l’époque du matériel de chauffage. Pour répondre aux besoins de ses membres travailleurs, le groupe connaît un développement fulgurant pendant les années 1960, avec notamment la naissance de la Caja Laboral Popular (équivalent des Caisses Desjardins) et de Lagun Aro, une mutuelle d’assurances.

José Luis Lafuente, responsable du modèle de gestion coopératif, présente Mondragon. Photo: S.Vigneault

José Luis Lafuente, responsable du modèle de gestion coopératif, présente Mondragon. Crédit photo: S. Vigneault

Aujourd’hui, les coopératives de Mondragon couvrent de multiples secteurs allant de la finance à la fabrication industrielle, en passant par la construction, la distribution, le commerce de détail, l’éducation et la recherche. Le siège social compte quelque 65 employés qui offrent un soutien aux coopératives membres, lesquelles doivent se conformer à un modèle de gestion strict. Ces règles limitent entre autres la proportion d’employés non membres à 20 %. Elles imposent aussi une évaluation des employés, ainsi qu’une standardisation salariale qui tolère des écarts de 10 % et qui établit la proportion du plus faible salaire au plus élevé selon un rapport maximal de 1 pour 6. Pour avoir le privilège d’être ainsi encadrées, les coopératives membres doivent verser 10 % de leurs bénéfices à Mondragon.

Une réponse à la crise ?

Puisqu’il a été conçu pour répondre à une situation difficile après la guerre, on pourrait s’attendre à ce que le groupe tire son épingle du jeu et traverse la crise actuelle. Tout en affirmant que Mondragon « propose le modèle coopératif dans le débat de systèmes suscité par la crise », José Luis Lafuente admet que le groupe joue dans le même marché que les autres et que, pour faire face à la situation, il a fallu imposer des baisses de salaires et d’effectifs, réduire les profits et procéder à une concentration tout en limitant les investissements. Le modèle réduit tout de même les fuites de capitaux en limitant les salaires des dirigeants et en excluant la ponction des actionnaires propre à l’entreprise privée. La pratique de l’intercoopération occasionne également un volume d’affaires entre les coopératives membres qui leur bénéficient à toutes.

Questionné sur le rôle de Mondragon dans l’affirmation de l’autonomie basque, Lafuente précise qu’il s’agit d’un « groupe entrepreneurial et non politique, qui exerce une influence sur les orientations économiques du gouvernement autonome, comme tout autre groupe entrepreneurial ». Il reste que Euskadi affiche un bilan reluisant, avec moins de 12 % de chômage contre près de 20 % pour l’ensemble de l’Espagne selon l’Instituto Nacional de Estadistica.

Le texte a d'abord été publié dans la série SÉjour au Pays Basque du journal Le Mouton NOIR

Le texte a d'abord été publié dans la série Séjour au Pays Basque du journal Le Mouton NOIR

Géant aux pieds d’argile ?

Des ouvriers rencontrés dans une sociedad d’Elorrio, non loin d’Arrasate, font état d’une situation socioéconomique très difficile dans laquelle Mondragon est plutôt perçu comme du « capitalisme déguisé ». L’ampleur prise par le mouvement aurait éloigné de la base les instances décisionnelles, ce qui occasionnerait dans la réalité quotidienne du terrain des pratiques de gestion semblables à celles des industries traditionnelles. Rançon de la réussite d’un modèle prometteur, crise de croissance, image surfaite ou inquiétante dérive qui met en péril les valeurs coopératives ? Chose certaine, la lutte du géant contre cette image transparait dans l’enthousiasme de ses communications.

Rafa Indo a été directeur général d’Irizar France, filiale française de la coopérative Irizar, fabricant d’autocars et membre de Mondragon. En vingt ans de carrière, il a vu passer la production annuelle de 80 à 1600 autocars. Il dit avoir surtout observé une grande solidarité. « Il y avait très peu de conflits de travail, mais plutôt une adhésion pleine et entière de l’ensemble des salariés. La formule coopérative permet aux membres travailleurs de participer aux bénéfices et à la direction, et elle leur procure une certaine sécurité d’emploi. En contrepartie, ils sont disposés à soutenir l’entreprise par des heures supplémentaires et certains sacrifices salariaux, si besoin. » En revanche, l’ancien directeur souligne que certains cadres peuvent être tentés de quitter l’entreprise après avoir acquis une expérience qui leur vaudrait un salaire beaucoup plus élevé dans des entreprises qui ne sont pas soumises aux limites imposées par le modèle de développement de Mondragon.

Lire la série sur le site du Mouton Noir
Lire la série sur le site du Mouton Noir: www.moutonnoir.com.

Après cinq exclusivités web, le sixième article est paru dans l’édition papier, ce qui complète ce dossier assorti de sept capsules vidéo: