Alors que nous fêtons le quatrième centenaire du premier établissement en Acadie, la fondation de Port-Royal par le Sieur de Mons, il convient de tisser les liens qui s’imposent entre ce jalon d’histoire nationale & les fondements de notre histoire locale.
S’il faut d’emblée reconnaître que les Basques sont aussi absents de notre histoire nationale que Pierre du Gua de Mons, notons aussi qu’au niveau local, leur venue est souvent considérée comme un élément étranger à l’établissement des premiers colons pistolois. Pourtant, c’est à l’intersection de la fréquentation de l’Île-aux-Basques par les Basques & du rôle joué par Pierre du Gua de Mons en Nouvelle-France qu’apparaît clairement l’hypothèse la plus crédible à ce jour quant au nom même des Trois-Pistoles.
Sans prétendre apporter quelque nouveauté historique par des recherches approfondies, nous nous contenterons ici de mettre en lien les résultats des fouilles de la fin du siècle dernier à l’Île-aux-Basques, tels que mis en valeur au Parc de l’aventure basque en Amérique & les hypothèses se dégageant des travaux de J.-François Beaulieu déjà parus dans L’Écho des Basques (vol.2, n°1, pp. 34 à 42 & vol.4, n°1, pp. 57 & 58).
Comme chacun le sait, les Basques fréquentèrent l’Île-aux-Basques de 1584 à 1637, dates établies par les fouilles archéologiques. Ils y chassaient la baleine, comme en témoignent les vestiges de fours imposants encore visibles, mais c’est un tout autre commerce qui les attirait spécifiquement sur notre petite île. Celle-ci était précisément située au carrefour de deux routes commerciales naturelles, qu’empruntaient les nations amérindiennes. Les iroquoïens parcouraient le fleuve Saint-Laurent entre Hochelaga & Gaspé, tandis que les algonquiens utilisaient le fleuve Saint-Jean, la rivière Madawaska, le lac Témiscouata, la rivière des Trois-Pistoles & le Saguenay entre la Cadie & le Grand Nord. L’Île-aux-Basques était donc l’endroit tout désigné pour traiter avec le plus grand nombre de groupes amérindiens, qui amenaient chacun leur lot de fourrures.
À la fin du XVIe siècle, les Basques avaient donc trouvé ici une façon de diversifier leurs activités, réduisant d’autant leurs risques de rentrer bredouilles au pays. En plus de chasser la baleine, ils échangeaient divers objets de métal & de verroterie contre des fourrures de castor dont le fin duvet servait à la confection de chapeaux de feutre très prisés en Europe. Bien vite, ce commerce prit une place importante dans la rentabilité de leurs expéditions, tout en établissant une relation d’affaires, d’amitié et de partenariat entre un peuple européen et des nations amérindiennes, phénomène inusité dans l’histoire de l’Amérique. Les liens entre Basques et Amérindiens furent si étroits que plusieurs mots apparurent d’un métissage entre l’euskara, langue des Basques et les dialectes amérindiens de l’estuaire. Si bien qu’un capitaine basque, Micheau de Hoyarsabal, n’hésita pas à renvoyer son navire au pays et à rester seul avec les Amérindiens pour poursuivre la traite pendant tout l’hiver 1587.
Or, en 1599, le roi de France accorda le monopole de la traite des fourrures en Nouvelle-France à une seule compagnie. Les Basques qui ne cessèrent pas leurs activités pelletières devinrent donc des contrebandiers, hors-la-loi contre qui s’exerçait le monopole très convoité par les commerçants & explorateurs français. Ce privilège fut accordé à Pierre du Gua de Mons en 1608. Il nomma alors Samuel de Champlain son lieutenant particulier & leur compagnie fit, entre autres, la guerre aux Basques installés sur l’Île-aux-Basques, pour l’accès aux pelleteries qui se transigeaient à l’embouchure de la rivière des Trois-Pistoles.
C’est lors d’une telle expédition que, selon une légende, un matelot aurait échappé son gobelet dans la rivière, s’écriant «Trois pistoles de perdues!». C’est à cet événement fâcheux que l’on attribue généralement l’origine du nom de Trois-Pistoles. Toutefois, comme nous le verrons, un autre élément est à considérer dans l’explication de ce toponyme.
Au grand dam de Champlain & de Mons, les Basques n’étaient pas les seuls à leur disputer l’accès à notre petite rivière. Sur l’Île-aux-Pommes & sur l’Île-Verte étaient retranchés des Rochelais, entre autres, aussi illégaux que les Basques quant au monopole accordé par le roi. Les vaisseaux de la compagnie titulaire du monopole devaient donc livrer bataille trois fois avant d’atteindre la rivière, qu’une carte de 1631 nomme pour la première fois «R. de 3 Pistolets».
De là à conclure que le nom de Trois-Pistoles vient de l’obligation de croiser trois fois le pistolet pour atteindre l’embouchure de la rivière, il n’y a qu’un pas. Pour le franchir, il faudra d’autres recherches mettant au jour des documents additionnels. Même si les écrits de J.-François Beaulieu contestent la vraisemblance historique de la légende du gobelet échappé telle que rapportée par Charles-A. Gauvreau & Mathias D’Amours, les deux explications restent plausibles jusqu’à nouvel ordre. Peut-être est-ce même la conjugaison des deux faits qui a solidement ancré le toponyme à notre rivière &, plus tard, à notre ville.
Que l’une ou l’autre des hypothèses soit retenue, ou même les deux, il reste à se demander quelles ont pu être les conséquences de l’appropriation de ce nom, tiré des vocabulaires martial et/ou monétaire, sur le développement de dynamiques sociales, économiques, politiques & culturelles bien spécifiques aux Trois-Pistoles.