Mille douze kilomètres de vélo vers l’identité et le renouveau. Mélanie Carrier et Olivier Higgins ont tourné la caméra dans la plaie originelle pour découvrir qu’un autre Québec est possible. Parcourant les communautés des Premières Nations, de Kanehsatà:ke à Natashquan, en passant par Pessamit et Maliotenam, le duo réalisateur a dessiné les contours indéfinis de la Québékoisie, un espace entrevu, souhaité, rêvé, où les peuples fondateurs et les nouveaux arrivants des derniers siècles se retrouveront ensemble pour construire l’avenir. L’espoir et l’étonnement côtoient la réalité dans ce documentaire routard captivant.
«La vie ne réside pas dans les molécules, mais dans les liens qui les unissent entre elles.» La citation du chimiste et physicien Linus Pauling annonce dès le lever de rideau que l’intention du film est de tisser des liens entre des réalités qu’on a coutume de considérer comme distinctes. Et pour cause: les Québécois ont l’habitude de parler des Premières Nations comme s’ils n’en faisaient pas partie. «Nous autres, eux autres.»
Racines oubliées
Pourtant, au moins la moitié des racines des Québécois sont autochtones. C’est ce qu’explique la démographe Hélène Vézina, qui complétait au moment du tournage une étude sur le génome des Québécois. Elle a voulu connaître la contribution amérindienne au pool génétique canadien-français. «Pour les quatre régions [étudiées], c’est au moins 50%, et c’est dans la région de Montréal que c’est le plus élevé: on atteint presque 85%, explique-t-elle. Plus de la moitié des gens ont au moins un ancêtre amérindien dans leur généalogie.»
Intéressante est la définition du Canadien-français pour les fins de l’étude: «c’est quelqu’un qui a au moins une partie de ses ancêtres qui sont des immigrants venus sous le régime français», précise Mme Vézina. Voilà qui replace les choses en perspective.
Le film met en scène des situations inattendues, comme la quête de Marco Bacon, de l’Université du Québec à Chicoutimi, qui se rend jusqu’à Caen en France pour retrouver ses ancêtres français. L’Innu affirme que sa recherche jette un froid dans son entourage, car certains ne sont pas prêts à accepter leur métissage avec des Blancs.
On a tué la mémoire
Le déni est aussi du côté des descendants d’immigrants du régime français. L’anthropologue Serge Bouchard, qui ponctue le film de ses analyses, dénonce la «chape de silence qui va s’établir autour de nos origines métisses, de nos exploits métisses, de notre grandeur métisse», notamment par le contrôle du clergé. «C’est une vaste nouvelle nation métisse, l’Amérique. Mais on va l’assassiner, cette nation-là. On va l’assassiner dans notre culture, dans notre mémoire, on va nous anesthésier, on va euthanasier le Métis. Ça n’a pas existé. Partout en Amérique, il y a eu ce métissage.»
«La vraie question à poser, poursuit-il, c’est: pourquoi nous ne l’avons jamais su? Et pourquoi les Indiens ne savent pas jusqu’à quel point eux-mêmes sont métissés? Et comment les Canadiens-français, qui sont devenus des Québécois, ne savent pas à quel point ils sont métissés. Ça c’est la vraie question. Où est-ce qu’on s’est séparés? Où est-ce qu’on a tué la mémoire? Et où est-ce qu’on a rompu avec nos souches territoriales et historiques amérindiennes?»
Le drame qui rassemble
Les images d’archives de la Crise d’Oka qui ouvrent le film ne sont pas qu’une introduction: on y rencontrera la sœur du caporal Lemay, abattu pendant l’escarmouche de la pinède. À travers son témoignage, on découvre une fascinante conversion. Peu au fait des Premières Nations, comme la vaste majorité des Québécois, elle a été plongée au cœur de la question par le drame qui a coûté la vie à son frère.
Francine Lemay est devenue un symbole de réconciliation. Poursuivant sa quête de connaissances jusqu’au bout, elle est allée à la rencontre des peuples autochtones, jusqu’à traduire un livre d’histoire mohawk, bénévolement. Ses recherches l’ont menée à identifier des ancêtres mi’kmaq, hurons et algonquins, et à la conclusion qu’elle pourrait avoir sa carte d’Indien! Le caporal Lemay a été tué par l’un des siens. L’un des nôtres, se dira le public.
La Québékoisie
Ce ne sont que quelques tableaux d’un saisissant parcours identitaire, qui mène les spectateurs à traverser la Québékoisie. La quoi? «C’est un espace pour nous, sans politique, qui a des frontières très floues, très vagues, explique la coréalisatrice Mélanie Carrier. C’est un immense territoire où il y a des animaux qui courent, des rivières qui coulent, où il y a plusieurs peuples qui cohabitent. C’est un peu l’utopie, le rêve que ces peuples-là aient envie de danser ensemble à nouveau.»
Pour le coréalisateur Olivier Higgins, cette utopie existe bel et bien. «On l’a sentie en parcourant la route, en rencontrant des gens qui vivent au quotidien et en prenant le temps de discuter avec eux. Cette utopie-là existe d’une certaine façon.»
Immigration et Charte des valeurs
«Notre avenir, épilogue Serge Bouchard, c’est non seulement de récupérer nos liens avec les Premières Nations, mais que les Autochtones eux-mêmes redeviennent fiers, que nous on devienne fiers de danser avec eux. C’est exactement le même raisonnement avec l’immigration.»
Pour Mélanie Carrier, il est tout simplement indécent d’exclure les Premières Nations du débat identitaire qui fait actuellement rage autour de la Charte. «Si on parle de « valeurs québécoises », je trouve ça vraiment dommage qu’on n’entende jamais parler de l’apport des Premières Nations à la culture québécoise, en reconnaissant aussi leur culture à eux, et en la valorisant. On cohabite ensemble. Et on fait comme ignorer cette présence-là. Pour moi, c’est inacceptable.»
«Les ancêtres nous permettent de comprendre l’histoire, mais la communauté nous aide à la bâtir» – Marco Bacon.
Québékoisie a pris l’affiche au Cinéma Cartier de Québec jusqu’au 9 janvier.