Jan 012014
 
Occupation de la place d'Armes, 2011. - Photo: Nicolas Falcimaigne

La structure coopérative mise au service de la démocratie et du développement local et régional

La Coopérative de représentation populaire (Corep) est une structure de démocratie directe qui peut être mise en place unilatéralement par les citoyens. Elle vise à redonner aux citoyens l’influence sur leurs élus, tous secteurs et causes confondus, en réunissant une large base de membres et en tirant sa légitimité directement du citoyen et du territoire. C’est aussi une façon de financer et d’émanciper les régions: une structure de développement local ne peut prélever d’impôts sur son territoire, mais les membres d’une coopérative peuvent voter des frais annuels.

Contexte : Les élus répondant désormais davantage aux intérêts financiers corporatifs et individuels qu’à l’intérêt collectif de leurs commettants, il semble nécessaire de reprendre le contrôle en exerçant une influence directe sur eux. La récente Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme (2002) consacre cet état de fait et donne un cadre légal à l’exercice de l’influence corporative. Face aux grandes corporation qui exercent un lobby puissant fondé sur leur capital au service de leurs intérêts individuels, la défense du bien commun est morcelée en groupes de pression sectoriels qui ont peine à s’organiser entre eux pour faire front commun, car ils représentent eux-même des intérêts parfois divergents.

Besoin : Les coopératives sont des démocraties spécifiques, édifiées par des citoyens pour répondre à un besoin spécifique sur un territoire donné. Habituellement, elles ne sont pas politiques. Mais ici, le besoin est de nature politique. La Corep propose d’être une institution démocratique générale au service des citoyens, un contre-pouvoir rendu nécessaire par la faiblesse des institutions actuelles et la corruption qui les ronge.

Plus largement, cette structure prétend donc à une meilleure représentation démocratique que les institutions municipales, locales, régionales et nationales actuelles. La Corep vise à proposer un système démocratique alternatif, pouvant un jour remplacer les institutions actuelles si les citoyens le décident, ou éventuellement convoquer une Assemblée constituante qui élaborera de nouvelles institutions démocratiques, meilleures encore.

Services : Représentation des positions décidées par les membres (techniquement, c’est une coop «de consommateurs») en démocratie directe, auprès des élus locaux, et régionaux et nationaux par regroupement fédéré et confédéré. Accès à l’information publique et divulgation aux membres, organisation d’actions directes, tenue d’Assemblées générales fréquentes pour prendre position, etc.

Membres : Citoyens et citoyennes d’une juridiction municipale ou d’un regroupement de municipalités si la faible population le justifie. Plus simplement : population d’un territoire donné.

Parts sociales : Faible coût pour favoriser l’accès à ce pouvoir démocratique selon le principe d’égalité. Le tarif plancher, une part sociale de qualification (10$) peut permettre à la Corep de réunir rapidement un grand nombre de membres et un pouvoir de représentation important. La force du nombre permettra aussi un financement suffisant.

Frais annuels : Votés par les membres chaque année, les frais annuels sont l’unique opération financière des membres avec la coopérative pour répondre à leur besoin de représentation. Fixés pour permettre l’inscription de la Corep au Registre des lobbyistes, dans le cadre de la loi de 2002, et l’embauche de ressources humaines, les frais annuels devraient être proportionnels au revenu de chaque membre, conformément au principe d’équité et aux traditions de fiscalité progressive. Le pouvoir démocratique exercé par la coopérative sur son territoire auprès de ses élus dépend de sa représentativité, donc du nombre de membres, mais également de sa capacité financière à recruter, à encadrer et à rémunérer des ressources humaines permettant l’exercice d’une influence efficace.

Démocratie participative de proximité : la Corep est locale, pour permettre la tenue d’assemblées générales et l’exercice d’une démocratie participative de proximité, aussi souvent que nécessaire.

Suffrage universel direct : les représentants des membres sont élus au suffrage universel direct, à tous les niveaux. Si elles sont un jour fédérées, les Corep auront à élire des représentants à la fédération régionale ou à la confédération nationale. Ces représentants doivent être élus par tous les membres de toutes les Corep regroupées. L’élection de la présidence, porte-parole de la Corep, de la fédération ou de la confédération, et «lobbyiste» en titre, doit aussi être spécifiquement faite au suffrage universel afin de conférer à ce poste une légitimité au moins aussi grande que celle des élus.

Intercoopération : La Corep fera prioritairement appel à des coopératives pour répondre à ses besoins.

Déc 122013
 
MONTRÉAL — Le Plan d’électrification des transports et son enveloppe de 516 millions de $ ont été dévoilés en novembre par le gouvernement Marois. C’est moins d’un an après la nomination de Daniel Breton, député de Sainte-Marie-Saint-Jacques, comme adjoint parlementaire à l’électrification des transports. M. Breton, qui a d’abord été ministre de l’Environnement pendant quelques semaines après l’élection du 4 septembre 2012, a répondu aux questions du journal Ensemble sur les orientations gouvernementales.

Nicolas Falcimaigne, journal Ensemble : M. Breton, quel est le rôle de ce plan dans le déploiement de la vision gouvernementale sur l’indépendance énergétique?

Daniel Breton, député de Sainte-Marie-Saint-Jacques et adjoint parlementaire à l’électrification des transports : L’indépendance énergétique du Québec, la façon dont je la perçois, ça passe par quatre plans. Stratégie énergétique, de Martine [Ouellet, ministre des Ressources naturelles], Plan d’action sur les changements climatiques, d’Yves-François [Blanchet, ministre du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs], Plan québécois de mobilité durable, de Sylvain [Gaudreault, ministre des Transports], et le plan d’électrification des transports.

Ça c’est les quatre piliers de l’indépendance énergétique du Québec. Ça veut dire qu’il faut qu’on électrifie les transports, il faut qu’on consomme moins, il faut qu’on soit plus efficaces, qu’il y ait plus de transport collectif, et qu’après ça on ait une stratégie énergétique arrimée autour de ces enjeux-là.

Qu’est-ce que c’est le plan d’électrification des transports? C’est un plan qui a pour but de créer un créneau de développement industriel et d’expertise dans un nouveau champ, qui est l’électrification des transports.

NF : D’ailleurs, c’est le mot emploi qui est le maître mot de ce plan.

DB : Exactement, c’est des emplois d’avenir. Les sociétés les plus avancées du monde, qu’il s’agisse de la Norvège, de la Suède, de l’Allemagne, de la France, du Japon, de la Californie, etc., dans le dossier des nouveaux types de transport, ont tous des incitatifs à l’achat de véhicules électriques, hybrides ou hybrides rechargeables. Tous. Il n’y a aucun pays, dans le monde industrialisé, qui ne donne pas d’appui. En fait, il y en a un. Lequel? Le Canada. Par contre, lui, il subventionne les pétrolières à coups de milliards.

NF : Ce plan prévoit notamment un investissement de 200 millions $ pour l’étude d’un projet de monorail à grande vitesse. Plusieurs personnes s’interrogent sur la forme que prendra ce projet. Une société d’État, parfois, ça peut échapper aux intérêts du bien commun. Vous avez été aux barricades dans le passé pour dénoncer des abus dans le cadre d’Hydro-Québec, etc.

DB : Absolument.

NF : On sait aussi que le modèle privé peut facilement échapper aux mains des Québécois, comme Bombardier qui est maintenant une société par actions. Quelle option privilégiez-vous pour que le monorail reste aux Québécois?

DB : Il y a des gens qui parlent de faire une coopérative, justement, pour le développement du monorail. Moi, je trouve la voie intéressante. Il y a des gens comme Claude Béland, qui s’intéressent à ce projet-là. Il est trop tôt pour dire si ça va aller de l’avant, mais si jamais ça allait de l’avant, je pense que ça pourrait être une solution intéressante.

NF : Comment voyez-vous ça? Une coopérative d’usagers, qui détiendrait le brevet?

DB : Je ne sais pas. Honnêtement, il est trop tôt pour le dire.

NF : Est-ce que c’est un souci que vous avez, que ce projet reste sous contrôle démocratique des Québécois?

DB : À ton avis, pourquoi tu penses que j’ai appelé mon groupe «Maîtres chez-nous 21e siècle»? C’est clair.

NF : Comment expliquez-vous que le gouvernement envisage d’exploiter le pétrole au Québec, en même temps qu’il souhaite réduire la dépendance du Québec au pétrole?

DB : On veut se sortir du pétrole, mais on en a encore besoin. Donc, de façon transitoire, est-ce qu’on va prendre le pétrole d’ailleurs, où est-ce qu’on va prendre le pétrole d’ici? C’est ça le débat. Parce qu’on va continuer à prendre du pétrole.

NF : Il y a des gens qui vont interpréter ce débat-là en disant : est-ce qu’on va laisser les impacts négatifs de l’exploitation ailleurs, ou est-ce qu’on va les importer ici?

DB : Exactement. Mais l’affaire, c’est que même quand tu l’exploites ailleurs, dans le transport tu peux avoir des impacts négatifs ici. Que ce soient les trains, comme on l’a vu avec Lac-Mégantic, que ce soient les pipelines, que ce soient les bateaux, no matter what, le pétrole, c’est de la merde.

Et on est pris avec ça. Pourquoi? Parce que l’économie mondiale est basée sur le pétrole. C’est ça la réalité.

NF : Est-ce qu’il y a une option de tout simplement en importer de moins en moins au fur et à mesure qu’on réussit à en consommer de moins en moins, et que cela permette au Québec de prospérer, peut-être pas autant que si on en exploitait, peut-être pas de devenir riches, mais au moins on ne sera pas pire qu’avant?

DB : Ça, pour moi, ça fait partie du débat. Présentement, le déficit commercial du Québec est dû à l’importation d’hydrocarbures. Quatorze milliards. La balance, elle est là. Ce qu’on fait avec l’électrification des transports, c’est pour diminuer ça autant que faire se peut. Mais si on dit que d’ici trente ans il y a entre dix et quinze milliards qui viennent de l’exploitation pétrolière, issus du pétrole du Québec, ça peut faire partie de l’équation.

Et ça, c’est pas moi qui vais le décider, c’est pas quelques personnes qui vont le décider, c’est au peuple du Québec de décider si on va dans l’exploitation pétrolière. Mais moi j’insiste pour dire: de façon transitoire.

NF : Vous dites que c’est le peuple qui va décider. Est-ce que ça va être soumis au peuple par référendum?

DB : Il y a eu une consultation publique, justement, sur la stratégie énergétique, qui a été présentée par Martine Ouellet. Là, le plan va être présenté. Mais moi, je suis prêt à ce que, à la prochaine élection, ça fasse partie du débat.

NF : Ça serait un enjeu principal de la prochaine élection?

DB : Je veux que ce soit un enjeu important, et l’électrification des transports. Ça, si on perd les élections et qu’on a fait tout ce travail-là… là-dedans, il y a des années et des années de réflexion. Si on a fait tout ce travail-là pour rien, pour recommencer après, on ne sera pas plus avancés.

NF : Une élection référendaire, ce n’est pas un choix entre deux options. Est-ce que, si vous le soumettez au peuple par référendum, par exemple, il pourrait y avoir un choix où on exploite le pétrole, et un choix où on règle la balance commerciale d’une autre façon?

DB : J’espère que les gens vont vouloir qu’on fasse une consultation publique pour dire: est-ce qu’on y va ou on n’y va pas? Mais ce que je peux dire, c’est que moi, comme écologiste, ce que j’ai vu, c’est que la population est favorable à l’exploitation du pétrole au Québec. Tu le sais, ça.

La réalité, c’est que ça ne sera pas facile, d’une manière ou d’une autre.

NF : Quelles sont vos attentes envers le plan de mobilité durable de M. Gaudreault?

DB : Ce à quoi je m’attends de Sylvain, c’est qu’il favorise évidemment le transport collectif, qu’il favorise le financement du transport collectif, qu’il favorise plus de voies réservées. Il a déjà annoncé un doublement du nombre de kilomètres de voies réservées à Montréal. Je ne sais pas si tu as vu ce que le maire de Québec a dit sur les voies réservées… il disait que c’était une mauvaise idée, et qu’on devrait éliminer ça. C’est pas tout le temps évident d’imposer des nouvelles idées, des nouvelles façons de faire. Il y a du monde qui n’est pas encore arrivé au 21e siècle, malheureusement.

NF : Vos attentes envers le plan de M. Blanchet?

DB : Le plan d’action sur les changements climatiques, je pense qu’il y a une partie de la réflexion, du travail, de l’équation, qui va avoir été faite via le Plan québécois de mobilité durable de Sylvain, et via le Plan d’électrification des transports. Donc lui, je pense qu’au niveau industrie, il va avoir un rôle important à jouer, et au niveau de la sensibilisation des citoyens.

NF : Vos attentes envers le plan de Martine Ouellet?

DB : Je m’attends à ce que Martine présente un plan où, justement, elle va offrir différentes options aux Québécois. De là, je pense que, parce que c’est Martine qui m’a dit ça, justement, on va offrir des options aux Québécois. Je m’attends à ce qu’elle leur dise: «On le prend ailleurs? On le prend ici? Qu’est-ce qu’on fait? On le décide ensemble.»

Mais une chose est sûre, là je te parle de pétrole, mais il y a évidemment toute la question de l’efficacité énergétique qui fait partie de sa Stratégie énergétique. Parce qu’on est très inefficace au Québec, que ce soit en matière d’électricité, en matière d’eau, en matière d’énergie, en matière d’hydrocarbures, on est parmi les plus grand consommateurs d’énergie au monde.

Ça, je sais que ça fait partie des piliers de la stratégie énergétique de Martine Ouellet.

Voici la version intégrale de notre entrevue avec Daniel Breton:

Déc 102013
 

Vendredi dernier, le rapport de commission parlementaire le plus rapidement déposé de l’histoire récente a donné son aval au projet d’inversion de l’oléoduc Ligne 9B d’Enbridge. En plus des délais très courts, ce qui a retenu l’attention, c’est l’absence des groupes citoyens opposés au projet. L’un des groupes finalement invités, Coalition Vigilance Oléoducs, a vertement dénoncé le traitement infligé à son représentant. La partie gouvernementale a consacré son temps de parole à attaquer la crédibilité du porte-parole, Olivier Huard.

Par trois fois, le gouvernement a démontré sa détermination à refuser d’entendre les citoyens, dans le débat sur le projet d’Enbridge, tout en s’affichant ouvertement en faveur de ce projet.

La porte fermée d’emblée

Les groupes citoyens (autres que les organisations environnementales) qui ont tenté de s’inscrire ont d’abord été informés que l’horaire des auditions était «complet» à la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles, qui étudie l’acceptabilité du projet pour le Québec.

Ce n’est qu’après la publication d’un article dans Le Devoir, qui soulignait le manque de représentants citoyens, que le gouvernement a invité deux groupes: la Coalition Vigilance Oléoducs (CoVO) et le Conseil traditionnel mohawk. «Nous sommes le seul groupe issu de la base citoyenne invité à cette commission, avec le Conseil traditionnel mohawk. Si votre but était d’écouter les citoyens, je pense que c’est un échec», a déclaré M. Huard.

Le messager attaqué

Lors de son audition à la commission, le porte-parole de CoVO a été attaqué par les députés péquistes Luc Trudel (Saint-Maurice) et Scott McKay (Repentigny) pour son appartenance au parti Québec Solidaire. Il a été candidat de ce parti aux dernières élections provinciales, et adversaire de M. McKay.

Invité avec insistance par la partie gouvernementale à déclarer ses allégeances, M. Huard a précisé qu’il est également animateur scout. «Je n’ai pas beaucoup aimé la référence à mon appartenance politique, parce que je trouve que ça dilue mon propos, a ensuite déclaré le porte-parole. Moi, je représente des gens ici et je n’aime pas qu’on diminue le débat à ma seule personne.»

La vidéo publiée par GAPPA pour dénoncer le traitement infligé au porte-parole de la CoVO, Olivier Huard.
Vidéo: GAPPA, avec autorisation

McKay en rajoute sur Twitter

MM. McKay et Trudel n’ont pas posé de questions à M. Huard sur le projet d’Enbridge, ni sur les inquiétudes de la population représentée par la CoVO. Lorsqu’une vidéo préparée par le collectif GAPPA a circulé sur les réseaux sociaux, dénonçant le mépris ainsi affiché par le gouvernement envers les citoyens, M. McKay a tenu à préciser sa pensée sur le réseau Twitter: «Montage aussi biaisé que le candidat de QS qui se fait dicter ses lignes directement par Amir [Khadir, député de Québec Solidaire], maître de la manipulation.»

Scott McKay a exprimé le fond de sa pensée sur Twitter.
Source: Twitter

Lors de l’audition, l’ancien chef du Parti vert avait pourtant exprimé son attachement à une approche non partisane. «Si on en fait un débat partisan, bien, on va avoir beaucoup de… je pense que notre position serait affaiblie devant le gouvernement fédéral», avait conclu Scott McKay.

Le collectif GAPPA a déploré que la cyberdéclaration du député péquiste de Repentigny lui fasse un double procès d’intention: «Vous accusez GAPPA d’avoir produit un montage biaisé, biais que vous assimilez à de la manipulation, s’indigne le groupe sur son site web, dans une page qui présente un rappel détaillé des faits. Vous accusez la CoVO d’être une organisation partisane en vous limitant à souligner le lien de son porte-parole avec Québec solidaire, tout en occultant totalement les préoccupations de ses membres.»

GAPPA prépare actuellement sa réplique, une vidéo qui sera probablement disponible sur son site au cours des prochains jours. La compagnie Enbridge a pour sa part annoncé dès le début de la consultation que seule la décision de l’Office national de l’Énergie, qui dépend du fédéral, serait déterminante pour le projet. Il devrait donc se réaliser dès le début de l’année 2014.

Déc 062013
 

Mille douze kilomètres de vélo vers l’identité et le renouveau. Mélanie Carrier et Olivier Higgins ont tourné la caméra dans la plaie originelle pour découvrir qu’un autre Québec est possible. Parcourant les communautés des Premières Nations, de Kanehsatà:ke à Natashquan, en passant par Pessamit et Maliotenam, le duo réalisateur a dessiné les contours indéfinis de la Québékoisie, un espace entrevu, souhaité, rêvé, où les peuples fondateurs et les nouveaux arrivants des derniers siècles se retrouveront ensemble pour construire l’avenir. L’espoir et l’étonnement côtoient la réalité dans ce documentaire routard captivant.

«La vie ne réside pas dans les molécules, mais dans les liens qui les unissent entre elles.» La citation du chimiste et physicien Linus Pauling annonce dès le lever de rideau que l’intention du film est de tisser des liens entre des réalités qu’on a coutume de considérer comme distinctes. Et pour cause: les Québécois ont l’habitude de parler des Premières Nations comme s’ils n’en faisaient pas partie. «Nous autres, eux autres.»

«C’est comme mal vu de fêter la Saint-Jean ici. Mais avec Harper, on préfère être Innus.» – Isabelle Kanapé, Innue de Pessamit, ici avec la coréalisatrice Mélanie Carrier.
Photo: MÖ films

Racines oubliées

Pourtant, au moins la moitié des racines des Québécois sont autochtones. C’est ce qu’explique la démographe Hélène Vézina, qui complétait au moment du tournage une étude sur le génome des Québécois. Elle a voulu connaître la contribution amérindienne au pool génétique canadien-français. «Pour les quatre régions [étudiées], c’est au moins 50%, et c’est dans la région de Montréal que c’est le plus élevé: on atteint presque 85%, explique-t-elle. Plus de la moitié des gens ont au moins un ancêtre amérindien dans leur généalogie.»

Intéressante est la définition du Canadien-français pour les fins de l’étude: «c’est quelqu’un qui a au moins une partie de ses ancêtres qui sont des immigrants venus sous le régime français», précise Mme Vézina. Voilà qui replace les choses en perspective.

Le film met en scène des situations inattendues, comme la quête de Marco Bacon, de l’Université du Québec à Chicoutimi, qui se rend jusqu’à Caen en France pour retrouver ses ancêtres français. L’Innu affirme que sa recherche jette un froid dans son entourage, car certains ne sont pas prêts à accepter leur métissage avec des Blancs.

«La vérité choque» – Malcom Riverin, Innu de Pessamit
Photo: MÖ films

On a tué la mémoire

Le déni est aussi du côté des descendants d’immigrants du régime français. L’anthropologue Serge Bouchard, qui ponctue le film de ses analyses, dénonce la «chape de silence qui va s’établir autour de nos origines métisses, de nos exploits métisses, de notre grandeur métisse», notamment par le contrôle du clergé. «C’est une vaste nouvelle nation métisse, l’Amérique. Mais on va l’assassiner, cette nation-là. On va l’assassiner dans notre culture, dans notre mémoire, on va nous anesthésier, on va euthanasier le Métis. Ça n’a pas existé. Partout en Amérique, il y a eu ce métissage.»

«La vraie question à poser, poursuit-il, c’est: pourquoi nous ne l’avons jamais su? Et pourquoi les Indiens ne savent pas jusqu’à quel point eux-mêmes sont métissés? Et comment les Canadiens-français, qui sont devenus des Québécois, ne savent pas à quel point ils sont métissés. Ça c’est la vraie question. Où est-ce qu’on s’est séparés? Où est-ce qu’on a tué la mémoire? Et où est-ce qu’on a rompu avec nos souches territoriales et historiques amérindiennes?»

«Je me reconnais plus dans les cultures amérindiennes de l’Ouest ou des États-Unis qu’en la religion catholique.» – Eruoma Awashish, peintre atikamekw
Photo: MÖ films

Le drame qui rassemble

Les images d’archives de la Crise d’Oka qui ouvrent le film ne sont pas qu’une introduction: on y rencontrera la sœur du caporal Lemay, abattu pendant l’escarmouche de la pinède. À travers son témoignage, on découvre une fascinante conversion. Peu au fait des Premières Nations, comme la vaste majorité des Québécois, elle a été plongée au cœur de la question par le drame qui a coûté la vie à son frère.

Francine Lemay est devenue un symbole de réconciliation. Poursuivant sa quête de connaissances jusqu’au bout, elle est allée à la rencontre des peuples autochtones, jusqu’à traduire un livre d’histoire mohawk, bénévolement. Ses recherches l’ont menée à identifier des ancêtres mi’kmaq, hurons et algonquins, et à la conclusion qu’elle pourrait avoir sa carte d’Indien! Le caporal Lemay a été tué par l’un des siens. L’un des nôtres, se dira le public.

La Québékoisie

Ce ne sont que quelques tableaux d’un saisissant parcours identitaire, qui mène les spectateurs à traverser la Québékoisie. La quoi? «C’est un espace pour nous, sans politique, qui a des frontières très floues, très vagues, explique la coréalisatrice Mélanie Carrier. C’est un immense territoire où il y a des animaux qui courent, des rivières qui coulent, où il y a plusieurs peuples qui cohabitent. C’est un peu l’utopie, le rêve que ces peuples-là aient envie de danser ensemble à nouveau.»

Pour le coréalisateur Olivier Higgins, cette utopie existe bel et bien. «On l’a sentie en parcourant la route, en rencontrant des gens qui vivent au quotidien et en prenant le temps de discuter avec eux. Cette utopie-là existe d’une certaine façon.»

Anne-Marie et Evelyne Saint-Onge, Innues de Maliotenam, organisent des ateliers dans les écoles partout au Québec avec leur sœur Fernande, pour présenter la culture ancestrale.
Photo: MÖ films

Immigration et Charte des valeurs

«Notre avenir, épilogue Serge Bouchard, c’est non seulement de récupérer nos liens avec les Premières Nations, mais que les Autochtones eux-mêmes redeviennent fiers, que nous on devienne fiers de danser avec eux. C’est exactement le même raisonnement avec l’immigration.»

Pour Mélanie Carrier, il est tout simplement indécent d’exclure les Premières Nations du débat identitaire qui fait actuellement rage autour de la Charte. «Si on parle de « valeurs québécoises », je trouve ça vraiment dommage qu’on n’entende jamais parler de l’apport des Premières Nations à la culture québécoise, en reconnaissant aussi leur culture à eux, et en la valorisant. On cohabite ensemble. Et on fait comme ignorer cette présence-là. Pour moi, c’est inacceptable.»

«Les ancêtres nous permettent de comprendre l’histoire, mais la communauté nous aide à la bâtir» – Marco Bacon.

Québékoisie a pris l’affiche au Cinéma Cartier de Québec jusqu’au 9 janvier.

Déc 042013
 

Les Mi’kmaq d’Elsipogtog s’opposent à la fracturation hydraulique. Les Mohawks de Kanehsatà:ke veulent bloquer l’oléoduc d’Enbridge. Les Malécites de Cacouna font face au projet de terminal pétrolier de TransCanada. Les Innus ont marché contre le Plan Nord et assistent maintenant à la reprise de l’exploitation minière à Schefferville. Même le gouvernement du Québec peine à faire adopter une nouvelle loi pour tenter d’encadrer ce secteur. Pendant que s’enrichissent les multinationales, la tragédie des Premières Nations prend un nouveau visage, qui les place à l’avant-garde de la lutte pour le sauvetage des écosystèmes et du bien commun. Le journal Ensemble s’est rendu à Schefferville, à la rencontre de la blessure identitaire, à la recherche d’une réponse collective.

Il faut prendre le train pendant plus de treize heures pour traverser le Nitassinan, territoire ancestral des Innus, sur les quelque 600 km qui séparent Sept-Îles de Schefferville. Tout droit vers le Nord, la ligne ferroviaire se poursuivra bientôt jusqu’à Kuujjuaq. La reprise des mines et le développement du Plan Nord dopent les infrastructures, mais les trains de minerai ont toujours la priorité sur ceux des humains.

Essimeu «Tite» McKenzie, Innu de Matimekush, est retourné sur les lieux du tournage du film Une tente sur Mars pour livrer le fond de sa pensée.
Vidéo: Nicolas Falcimaigne

La boom town fourmille de gros pick-ups qui zigzaguent dans les rues entre les cratères hérités des trente ans d’abandon. Depuis la fermeture des mines en 1982, la communauté innue de Matimekush/Lac-John a été isolée. Schefferville a même été fermée quelques années et sa population expropriée, sous le gouvernement de Robert Bourassa. C’est dans un milieu déstructuré que les mines ont été relancées en 2011.

«Il y a trois ou quatre ans, tu voyais un pick-up passer à toutes les heures. Maintenant, t’as des chars qui valent 40000$, des quatre portes», illustre Essimeu «Tite» McKenzie. Innu de Matimekush, il a été le protagoniste principal du film Une tente sur Mars, qui brossait en 2009 le grinçant portrait de la désolation interminière.

Tout droit vers le Nord, la ligne ferroviaire se poursuivra bientôt jusqu’à Kuujjuaq. La reprise des mines et le développement du Plan Nord dopent les infrastructures, mais les trains de minerai ont toujours la priorité sur ceux des humains.
Photo: Nicolas Falcimaigne

M. McKenzie a connu 1982. Il redoute déjà la fin de l’actuelle relance. «Ça c’est des gens qui comprennent quoi? Je sais pas, moi. Il y en a qui disent qu’en 2018, ça va être fermé. Il y en a qui disent en 2022. Ils construisent parce qu’ils savent qu’en deux ans ils vont avoir ce qu’ils ont investi. Une fois la mine arrêtée, on va faire un documentaire: Une tente sur Pluton, en 2022.»

Rares sont les Innus comme lui, prêts à s’exprimer ouvertement. Une loi du silence règne, alors que quotidiennement se côtoient travailleurs et non-travailleurs miniers, élus, Innus sédentarisés, Blancs natifs, Métis. Tous sont attachés au destin de Schefferville et de ses mines.

Jamais ne s’arrête l’extraction dans ce chantier pharaonique.
Photo: Émilien Falcimaigne

«Les camions qui circulent, c’est des 25 tonnes, des 34 tonnes. Ils sont payés combien?», s’interroge M. McKenzie. «Ils s’en fichent de ce qui va arriver à nos petits enfants. Tout ce qui compte, pour eux autres, c’est leurs petits enfants. Ils viennent de Montréal, Toronto, États-Unis. Mais nous, ils vont nous lâcher. Puis avant de partir, ils vont pleurer, tandis qu’on va être ici, nous autres, sans pleurer. Ils vont pleurer devant la caméra.»

Pour ou contre?

François Durette, prospecteur indépendant, est né à Schefferville d’un père soudeur et d’une mère enseignante. Selon lui, la communauté est divisée. «Il y en a qui sont pro-mines, mais il y en a qui sont complètement contre.» Ceux qui sont pro-mines, c’est parce qu’ils y trouvent du travail, admet-il. «Il y a aussi l’histoire que ça empiète sur certains territoires de pêche et de chasse. Ça a certains impacts négatifs, c’est sûr.»

L’accès aux sites abandonnés est restreint, mais la circulation des Innus est tolérée.
Photo: Nicolas Falcimaigne

Un Innu, qui a requis l’anonymat et que nous appellerons Sam, rappelle que «pour l’acceptation sociale, au niveau de Matimekush/Lac-John, 52% des gens ont voté. Les gens qui ne voulaient rien savoir [de la mine], ils n’ont pas voté. 52% ont dit oui et 48% ont dit non. Si le monde qui était silencieux avait voté, ça n’aurait pas passé.»

Impact social

«Les employés des mines qui ne viennent pas d’ici, ils n’ont pas le droit de sortir en ville, a confié un travailleur minier innu qui ne souhaite pas être identifié et que nous nommerons ici Mat. Il y a eu des problèmes un peu avec le harcèlement, harcèlement sexuel surtout. Les gars viennent ici, deux trois semaines en ligne. Ils sortent, puis ils veulent se ramasser une p’tite fille.»

La mine a apporté son lot de problèmes sociaux à la communauté innue. «Il n’y avait pas d’argent ici avant, rappelle M. McKenzie. Quand l’argent est arrivé, la drogue est arrivée, la consommation de substances est arrivée.» Mat est passé par là: «C’était chaque fin de semaine, c’était des mille piastres, man, que je dépensais. Parce que je gagnais beaucoup et j’étais capable, moi, de fournir dix personnes pour une fin de semaine à pas dormir et juste boire. J’achetais aussi de la drogue.»

La mine a apporté son lot de problèmes sociaux, également à la communauté des Naskapis de Kawawachikamach, à quelques minutes de route de Schefferville.
Photo: Nicolas Falcimaigne

Colonialisme nouveau genre

«Le colonialisme, c’est exactement ce qu’on vit avec l’exploitation des mines, ajoute Sam. De l’autre bord de la terre, les Indiens et les Chinois ont besoin des ressources. Présentement, ça nous affecte ici dans le nord, mine de rien. Le colonialisme, ce n’est plus le pouvoir politique qui le fait, c’est le pouvoir économique.»

Des millions de dollars sont investis dans la structure de production en construction. Le train passera sous ce dôme et repartira chargé de boulettes de fer.
Photo: Émilien Falcimaigne

«Pour l’instant, toutes les mines sont au Labrador, mais pour les Innus, la frontière Québec-Labrador, ça n’existe pas, explique-t-il. Il y a des projets d’exploration, mais pas de mine à court terme. On a des ententes entre les compagnies minières et les quatre nations innues.» C’est loin du Klondike: «Les profits vont aux compagnies, dénonce Mat. J’ai vu des chiffres. Avec un seul mois de profit, on rénoverait toute la ville.»

Le spectre de la ville-fantôme

François Durette s’est mobilisé contre l’expropriation dans les années 1980. «On a formé un comité de citoyens dont j’étais le président. Les premiers négociateurs du ministère qui débarquaient ici, ils donnaient des montants dérisoires. Avec les avocats, on a eu un peu plus, mais on a perdu nos maisons pareil. Quand ils ont décidé de ne pas fermer, c’était quelques années après. Et nous autres, on était partis et éparpillés à la grandeur de la province.»

François Durette pose dans sa serre, probablement la plus nordique du Nitassinan.
Photo: Nicolas Falcimaigne

Comment faire pour éviter de revivre la même chose dans quelques années, quand les nouvelles mines fermeront? «Il faut apprendre aux jeunes à ne jamais oublier qu’ils sont autochtones, faire des projets éducatifs sur les savoirs traditionnels, la survie», croit Mat.

Il envisage aussi que les Innus pourraient prendre le contrôle du développement minier. «Dans 30 ans, qu’est-ce que ça va être? Ça se peut que les Innus gèrent une mine. On n’aura plus besoin des Blancs. C’est notre roche, ça, c’est nous qui occupons le territoire. Là un Blanc vient et prend ce qui nous appartient. Déjà, je connais du monde qui met son argent dans les mines.»

À Lac-John, une statue de la Vierge contemple l’exploitation du territoire.
Photo: Nicolas Falcimaigne

Du même auteur, lisez le compte-rendu du film Une tente sur mars, paru en 2010 dans le journal culturel devenu depuis la Rumeur du Loup: Cinéma politique et poétique.

Découvrez le film Une tente sur Mars, de Martin Bureau et Luc Renaud, avec Essimeu «Tite» McKenzie.

Déc 012013
 

Ce n’est pas l’habituel Victor-Lévy Beaulieu bagarreur qui a accueilli la presse régionale chez lui, ce mercredi d’été où il lançait Désobéissez!. À tel point qu’il fut difficile de lui arracher un portrait un tant soit peu combatif, entre anecdotes, citations et souvenirs de jeunesse, tout sourire. Non, c’est plutôt la force tranquille de la nature qui l’animait. Celle qui attend son heure pour sonner le glas d’une époque et d’une humanité schizophrène. C’est cette force qui transcende les 180 pages du livre rouge de l’écrivain pistolois. Page après page, il pose les pierres de la saine indignation, celle qui se traduit par la désobéissance.

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Déc 012013
 

À l’approche de Noël, tu appréhendes la conversation pénible avec ce mononcle qui prend souvent un verre de trop. L’an dernier, il t’avait engueulée parce que tu veux sauver la planète. D’abord amical, il t’avait gentiment traitée d’idéaliste. Puis il était devenu condescendant: «Vous autres, les jeunes, vous croyez pouvoir tout changer, mais garder votre iPhone!» Enfin, il s’était emballé, t’accusant de vouloir bloquer tous les projets: l’emploi, la croissance, la technologie qui peut nous sauver… La tante s’en était aussi mêlée et le conflit de canard était passé de travers. Bref, l’hystérie.

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Nov 012013
 

«Papa, pourquoi le premier ministre attaque le Québec?» Du haut de ses onze ans, elle avait entendu le bulletin télévisé, annonçant que tous les partis de l’Assemblée nationale du Québec dénonçaient d’une même voix la contestation de la loi 99 par Stephen Harper, premier ministre du Canada. «Euh, eh bien, ma grande, c’est parce qu’il ne veut pas qu’on se sépare du Canada, répond le papa hésitant, pas certain d’y croire lui-même. En fait, c’est bizarre, parce que le résultat pourrait bien être l’inverse, et c’était prévisible.» De grands yeux perplexes le fixaient.

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Nov 012013
 

Des décennies sans indexation, des droits qui s’évaporent, la stabilité qui se compte en nombre de mots, un horaire qui frise le chaos. Hier artisans principaux de la liberté d’expression, les journalistes ont vu l’expression de la liberté changer de sens. Le journaliste est devenu journalier. Ne serait-il pas temps de rétablir au moins le minimum?

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Nov 012013
 

«Maintenant qu’on emploie moins d’employés permanents, je pense qu’il va falloir une loi pour protéger les pigistes.» Le journaliste Jean-François Lépine, analyste international indépendant, a ainsi résumé l’enjeu qui touche les quelques 600 journalistes indépendants du Québec. Lors du congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), du 22 au 24 novembre dernier, le journalisme indépendant a été sous les projecteurs. Ensemble a interrogé les journalistes présents, non seulement les pigistes, mais surtout les salariés, les professeurs, et même les plus connus du public. La grande majorité est en faveur d’une loi sur la négociation collective des conditions des journalistes indépendants.

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