Après son élection en septembre dernier, le gouvernement Marois a annoncé le dépôt d’une loi-cadre sur l’économie sociale. Si très peu d’information officielle a circulé sur les intentions du gouvernement, les représentants de l’économie sociale et des coopératives ont publiquement spécifié leurs attentes. Fin mars, le projet de loi a enfin été déposé par le ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire, Sylvain Gaudreault. Répond-il aux attentes du milieu ?
Le Projet de loi sur l’économie sociale est une réponse directe du gouvernement à l’une des onze demandes faites par le Chantier de l’économie sociale du Québec pendant la campagne électorale : « Adopter une loi cadre sur l’économie sociale qui reconnaît la contribution des entreprises collectives, assure une pleine reconnaissance dans l’ensemble des institutions et politiques gouvernementales et établit un lieu de dialogue permanent avec le gouvernement du Québec dans le but de poursuivre la mise en place de nouvelles politiques publiques. »
Le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM) avait aussi formulé sept propositions au cours de la campagne (lire notre article, Le vote coopératif). Ces sept propositions recoupées avec les onze demandes du Chantier, excluant celle de la loi-cadre, donnent douze pistes qui devraient inspirer la loi et les politiques qui en découleront (voir tableau, page suivante). Avant le dépôt du projet de loi, les deux organisations ont précisé leurs orientations pour le contenu d’une loi-cadre, et insisté sur l’importance que cette loi soit « inclusive ». Si le projet de loi n’a pas encore répondu à toutes leurs attentes, elles auront l’occasion de les faire valoir en proposant des amendements en commission parlementaire.
Ce que contient le projet de loi
Le projet de loi-cadre fait du Chantier et du CQCM les « interlocuteurs privilégiés du gouvernement en matière d’économie sociale ». Il donne aussi au ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire la « mission de coordonner l’intervention du gouvernement en matière d’économie sociale », et crée la Table des partenaires en économie sociale « afin de le conseiller dans ce domaine ».
En réponse à une autre orientation commune du Chantier et du CQCM, concernant l’adaptation des programmes de tous les ministères, le projet de loi-cadre « prévoit que les ministres du gouvernement doivent prendre en considération l’économie sociale dans les mesures et les programmes existants ». Il inclut aussi des « moyens de planification, de suivi et de reddition de comptes dont, notamment, l’adoption d’un plan d’action et le dépôt de rapports sur l’application de la loi », sous la responsabilité du gouvernement, qui en devient imputable.
La définition de l’économie sociale retenue par le ministre inclut les principes suivants:
Primauté de la personne sur le capital: «l’entreprise a pour but de répondre aux besoins de ses membres ou de la collectivité»
Autonomie de gestion: «l’entreprise n’est pas sous le contrôle décisionnel d’un ou de plusieurs organismes publics au sens de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels»
Gestion démocratique: «Les règles applicables à l’entreprise prévoient un processus de prise de décision démocratique»
Réserve impartageable et participation aux résultats: «les règles applicables à l’entreprise interdisent la distribution des surplus générés par ses activités ou prévoient une distribution de ceux-ci aux membres au prorata des opérations effectuées entre chacun d’eux et l’entreprise»
Ce que le projet de loi ne contient pas
La composition de la Table des partenaires en économie sociale est laissée à la discrétion du ministre, alors que le CQCM souhaitait y être formellement nommé « à titre de représentant de l’économie coopérative et mutualiste ».
Le ministre n’a pas non plus jugé bon changer le titre de la loi, que le CQCM voulait « plus inclusif » en proposant « Loi sur l’économie sociale, coopérative et mutualiste ». Le Conseil souhaitait par-là « confirmer l’existence de deux composantes de l’économie sociale, en conformité avec le modèle québécois ; l’une correspondant à l’économie coopérative et mutualiste et l’autre, correspondant à l’économie sociale ». En refusant ce changement, le ministre confirme que le concept d’économie sociale, comme c’est généralement reconnu ailleurs dans le monde, contient implicitement les coopératives et mutuelles. « Le titre de la loi devrait être représentatif du rôle joué par les coopératives et les mutuelles », a réaffirmé le CQCM par voie de communiqué après le dépôt du projet de loi.
Cette nuance, qui peut sembler un détail, a des impacts concrets sur le terrain. Jusqu’à maintenant, la confusion permettait notamment à des organismes de développement de « ne pas accepter de donner de subvention en économie sociale si une coop verse des ristournes », a illustré Pierre Charette, vice-président du Réseau de la coopération du travail du Québec, lors de la deuxième conférence tenue par le Chantier le 27 mars dernier en webdiffusion. Les ristournes, a-t-il fait valoir, ne sont pas une rémunération du capital. Il s’agit plutôt d’un versement équitables des excédents, qui comble l’écart entre le juste prix et celui qui a été réellement pratiqué pendant l’année avec les membres de la coop. Il est donc abusif de considérer des coopératives comme entreprises à but lucratif et de les exclure de l’économie sociale. «La loi-cadre et son plan d’action pourront, on l’espère, contribuer à évacuer cette confusion-là», a-t-il conclu. Les ristournes sont en effet reconnues dans la définition de l’économie sociale du projet de loi (voir page précédente).
Le projet de loi-cadre ne règle pas le vide juridique dans lequel sont encore les associations. Si les coopératives ont leur propre loi, les associations et organismes à but non-lucratif sont toujours régis par une exception de la loi des compagnies. Le CQCM avait demandé que soit proposée « une loi sur le droit des associations en tout respect, et sans empiétement, du droit coopératif et mutualiste ».
C’est une préoccupation partagée par Linda Maziade, directrice générale du Fonds d’emprunt Québec et présidente du Pôle régional d’économie sociale de la Capitale-Nationale. « On ferait vraiment un pas de plus en économie sociale au Québec, si on reconnaissait de façon plus ferme et plus claire que l’économie sociale et solidaire c’est un modèle de développement économique créateur de richesse, porteur de développement local et de prospérité durable et que ce modèle doit être valorisé, promu, enseigné et documenté au Québec avec l’ensemble des outils qui iraient avec ça », a-t-elle affirmé lors de la conférence du 27 mars. « On espère que, peut-être que, la loi va permettre qu’on aille un petit peu plus vite sur la refonte de la loi sur les associations personnifiées. Ça fait au moins 300 ans qu’on en parle », a-t-elle laissé tomber avec une pointe d’humour qui en dit long.
Le CQCM et le Chantier souhaitaient tous deux la reconnaissance du rôle de représentation régionale de leurs réseaux respectifs dans les régions : les Coopératives de développement régional (CDR) et les Pôles d’économie sociale. Le Chantier a réagi au dépôt du projet de loi en espérant « que la commission parlementaire qui suivra sous peu sera l’occasion de bonifier le texte de la loi en précisant nommément le rôle central joué par les Pôles régionaux d’économie sociale qui ancrent la contribution des entreprises collectives dans les territoires ».
Des leviers concrets ?
Une fois passée l’enthousiasme de la reconnaissance, le milieu de l’économie sociale attend toutefois des mesures concrètes, comme en témoignent les demandes pré-électorales (voir tableau).
« Ce que le Réseau demande, c’est que la loi reconnaisse un droit de rachat prioritaire d’une entreprise par les salariés et de mettre en place des mesures et des programmes pour actualiser ce droit », a notamment réclamé Pierre Charette le 27 mars. Cette mesure avait été recommandée par l’actuel ministre des Relations internationales, Jean-François Lisée, avant qu’il ne saute en politique. Elle fait aussi partie des intentions du ministre français de l’Économie sociale et solidaire, Benoît Hamon, dans le projet de loi-cadre qu’il déposera cette année dans son pays.
À moins qu’elles soient introduites dans la loi-cadre par des amendements en commission parlementaire, les mesures concrètes seront à surveiller dans le plan d’action prévu par la loi-cadre, mais également dans les structures mises en place par la ministre de l’Économie et des Finances, Élaine Zakaïb.
Banque de développement et Groupe Coop Relève
La ministre Zakaïb s’est adressée au mouvement coopératif et mutualiste lors de son congrès annuel, le 11 mars dernier. « Avec la Banque de développement économique du Québec, a-t-elle précisé, nous voulons combler une lacune importante sur le plan de l’investissement en offrant du capital adapté, entre autres, aux coopératives. Et à cet effet, nous créerons une vice-présidence à la Banque de développement, principalement dédiée pour financer les coopératives, les mutuelles et les entreprises d’économie sociale. » On peut donc s’attendre à ce qu’une partie du budget de la BDÉQ soit réservée à l’économie sociale. À titre de comparaison, le projet de loi français est aussi accompagné de la mise sur pied d’une Banque publique d’investissement (BPI), qui dédiera 500 millions d’euros à l’économie sociale et solidaire.
Pour répondre au défi de la relève d’entreprise, la ministre a confirmé le maintien du Groupe Coop Relève. « Dotée d’1,5 million $ sur trois ans », cette mesure avait été demandée par le CQCM et prévue par l’ancien gouvernement libéral. « Le Groupe Coop Relève apportera une expertise en matière de relève, principalement pour les dimensions légale, fiscale et financière des transactions, a expliqué la ministre. Il prendra en mains les étapes charnières de la reprise d’une entreprise, et travaillera en partenariat avec les coopératives de développement régional et les fédérations sectorielles. Il permettra de transmettre une expertise pointue au réseau coopératif et de tripler, d’ici trois ans, le nombre de reprises d’entreprises par des coopératives. »
En s’appuyant sur une étude diffusée en 2008 par son ministère, la ministre a expliqué que « d’ici cinq ans, 55 000 entrepreneurs seraient à la retraite, alors que seulement 30 000 nouveaux se lanceraient en affaires. » Ce sont 25 000 entreprises laissées sur le carreau. Le Groupe Coop Relève dispose d’un demi-million par année en ressources d’accompagnement. Sur les cinq années, cela représente 100 $ par dossier.
Avec Charles Laviolette