Voici un texte dont la substance a été exprimée lors du vote commenté par écrit des États généraux sur la réforme des institutions démocratiques du Québec, le 23 février 2003. La proposition qu’il implique est fondée sur les seules connaissances de son auteur. Ce dernier accueillera donc favorablement tout commentaire propre à corriger ou bonifier l’idée qu’il y exprime.
Chaque refonte de la carte électorale soulève l’enjeu déchirant d’équilibrer la représentation démocratique tant sur le plan démographique que territorial. Cet objectif est évidemment hors d’atteinte car chacun sait que le Québec présente une densité de population extrêmement hétérogène. D’autre part, le système actuel souffre d’une collusion de pouvoirs entre l’exécutif et le législatif, qui relègue toujours au second plan la responsabilité du citoyen. Enfin, il est grand temps de remplacer la politique d’image qui règne actuellement par une politique d’idées. C’est pourquoi je propose un système présidentiel à deux chambres sans présence politique des partis.
Comme d’autres l’ont suggéré, le seul moyen d’introduire une représentation territoriale sans nuire à la représentation démographique est d’ajouter à l’Assemblée nationale une deuxième chambre pour représenter le territoire. Les 125 députés de la «chambre démographique», soit l’Assemblée nationale, représenteraient chacun un nombre égal de citoyens selon un découpage équitable de la carte électorale, tandis que les élus de la nouvelle «chambre territoriale», appelons-la Conseil national, représenteraient les régions administratives existantes.
Afin de redonner à l’Assemblée nationale une représentativité effective de la volonté des citoyens, il faut la libérer des partis politiques. Pour ce faire, transformons le recrutement des candidats, leur investiture et leur élection: chacune des circonscriptions serait subdivisée de façon à permettre l’élection d’une dizaine de candidats lors d’assemblées de quartier ou de village, cellules de moins de 5000 habitants. Les citoyens élus candidats seraient alors proclamés comme tels lors d’une assemblée d’investiture commune tenue par la Direction générale des élections (DGE), qui leur fournirait aussi à tous la même tribune officielle et uniformisée. Ainsi serait remplacé le financement problématique des partis politiques, qui donne au plus nanti le pouvoir de donner plus de visibilité à son parti favori. Plusieurs fois au cours de la campagne, les candidats seraient rassemblés en assemblées publiques lors desquelles, en l’absence d’une image fournie par un parti, ils devraient débattre de leurs positions respectives sur différents sujets. Sans s’aligner sur un parti, ils assureraient les électeurs du sens de leur vote en chambre sur chacune de ces questions et les électeurs choisiraient le candidat qui s’engage à voter en accord avec eux sur le plus grand nombre de points ou à élaborer des projets de loi qui leur conviennent. Les idées des candidats pourraient être empruntées à plusieurs partis différents, les partis étant devenus des organismes idéologiques et non politiques, concepteurs et fournisseurs d’idées pour les candidats, tous indépendants.
Une fois élus au scrutin préférentiel, les candidats devraient occuper deux sièges: l’un dans le comté, où ils devraient répondre de leurs actes devant les élus locaux et en assemblée de comté, l’autre en chambre où le processus législatif les amènerait à soumettre des projets de loi et à voter. Si le vote du député en chambre ne correspondait pas à ses engagements électoraux (consignés dans un document d’investiture publique), il pourrait être rappelé par les électeurs de son comté lors d’un référendum local suivi d’une élection partielle. Dans l’éventualité où la position initiale devienne intenable en raison d’un changement de conjoncture, le député pourrait lui-même déclencher un référendum pour obtenir la légitimité de défendre une nouvelle option. Ainsi, le processus législatif serait représentatif de la volonté des citoyens plutôt que de celle d’un parti.
Les candidats indépendants ne finiraient-ils pas par s’aligner sur les partis, même si ceux-ci ne sont plus politiques? Des partis ne finiraient-ils pas par se créer officieusement en chambre, comme ce fut le cas aux débuts du parlementarisme au 18e siècle? S’il y a moins de risque aujourd’hui que des candidats «achètent» de A à Z les idées de tel ou tel parti, l’important est que le lien financier entre le candidat et le parti soit remplacé par un lien de responsabilité du député envers ses électeurs. L’apparition de coalitions en chambre ne serait peut-être pas si néfaste, car le danger des partis est d’opposer entre eux des députés qui, autrement, seraient d’accord sur une question. Or, dans un système non partisan, les députés seraient liés à leurs électeurs de comté, sous peine de rappel, et obligés de suivre les positions pour lesquelles ils ont été élus. Des coalitions se formeraient inévitablement autour de certaines questions, mais se formeraient de façon différente pour d’autres questions. Dans un tel système, la fierté d’appartenir à un parti serait remplacée par celle d’appartenir à un comté, d’être indépendant et de défendre des idées légitimes.
Une fois en chambre, les députés auraient pour première tâche d’élire, entre eux, le président de l’Assemblée et les différents ministres. Ces «ministres élus» iraient chacun former un duo ministériel avec les «ministres spécialistes» de chaque domaine provenant de l’équipe du chef d’État, élu au suffrage universel.
Ainsi, lors de l’élection générale, en plus de voter pour un député, l’électeur devrait voter (aussi de façon préférentielle) pour un chef d’État et son équipe. Chaque candidat au poste de chef d’État se présenterait avec une équipe de spécialistes en éducation, santé, emploi, industrie, transports etc. qui deviendraient ensuite les «ministres spécialistes», à chacun desquels seraient jumelé un élu provenant de l’Assemblée nationale. Le chef d’État, ses «ministres spécialistes» et les «ministres élus» formeraient le Gouvernement.
Les projets de loi, que tout citoyen aurait le droit de soumettre selon des règles à définir (qu’il soit représentant ou représenté, qu’il appartienne à l’Assemblée nationale, au Conseil national ou au Gouvernement), seraient étudiés par les députés et votés à l’Assemblée nationale, puis soumis au veto du Conseil national.
Pour sa part, le Conseil national serait constitué des présidents élus au suffrage universel dans chaque région administrative et présidé par le chef d’État. Il serait donc possible de l’intégrer à une structure de représentation qui parte du conseiller municipal. Ce dernier siège au Conseil municipal, dont le maire est élu au suffrage universel municipal. Ce dernier siège au Conseil local (Conseil des maires), dont le préfet serait élu au suffrage universel local (MRC). Ce dernier siégerait au Conseil régional, dont le président régional serait élu au suffrage universel régional. Ce dernier siégerait au Conseil national (la «chambre territoriale»), dont le chef d’État serait élu au suffrage universel national.
Chacun des élus devrait répondre de ses actes dans son milieu, le premier étant le conseiller municipal, devant répondre de ses actes devant ses électeurs; le dernier étant le chef d’État, devant répondre de ses actes devant les présidents régionaux. La seule nouvelle structure qu’impliquerait cette intégration, outre la chambre territoriale elle-même et le chef d’État, est le fait de réunir les préfets en Conseil régional autour du président régional. Tout le reste existe déjà.
Un pouvoir législatif exercé par des députés indépendants élus dans des circonscriptions redessinées en fonction d’un nombre d’électeurs fixes; un pouvoir exécutif exercé par les Conseils des paliers municipal, local, régional et national; et un lien raisonnable entre les deux, assuré par la présence de députés au Conseil exécutif et par le droit de veto législatif accordé au Conseil national. Voilà une structure qui pourrait assurer un équilibre politique optimal. De plus, les changements à apporter pour la mettre en œuvre ne représentent aucune augmentation significative des coûts du système, ni des bouleversements structurels majeurs. La structure représentative resterait familière pour le citoyen, mais deviendrait enfin efficace, juste et équitable.