Août 152009
 

L’idée revient de temps à autres, lieu commun que tout un chacun se doit d’admettre sans sourciller tellement elle a été répétée partout depuis plusieurs années : « les Québécois ne veulent pas de référendum ». Même ceux qui veulent en tenir un n’osent plus prononcer ce mot ! Et lorsqu’ils le font parce que c’est dans leur programme, les médias, un brin cyniques, s’empressent d’en réduire la portée et de crier au subterfuge. Les mêmes commentaires accueillent les velléités de rouvrir la constitution : une boîte de Pandore ou des paroles en l’air pour séduire les électeurs. La question nationale du Québec n’a pas la cote, c’est le moins qu’on puisse dire.

De qui parle-t-on au juste ? Qui ne veut pas parler de la question nationale ? Il apparaît évident que les citoyens de ce qu’il convient maintenant d’appeler la nation québécoise sont fortement préoccupés par cet enjeu, qu’ils soient fédéralistes ou indépendantistes. En témoigne l’intérêt suscité par trois référendums et une tentative d’accord constitutionnel, sur une courte période de quinze années qui n’est pas si loin derrière nous. Le dernier référendum a même pulvérisé les records de participation en mobilisant presque 95 % des électeurs ! Il a laissé les citoyens sur un match nul qui n’a rien de décisif. N’est-ce pas une insulte à leur intelligence que de considérer l’apathie qui règne depuis à peine dix ans comme une preuve de leur désintérêt définitif ?

Le piège du statu quo

Lorsqu’on donne aux Québécois le choix entre le statu quo et la souveraineté, on leur donne en fait le choix entre une réalité qu’ils n’aiment pas et un changement naturellement porteur d’incertitudes. Ce discours nous condamne à vivre des référendums à répétition tant que le statu quo l’emportera, ou bien à voir la souveraineté l’emporter et se faire avec ses promesses et ses risques. Il semble que bien des Québécois ne souhaitent ni l’un ni l’autre, ce qui ne veut pas dire qu’ils s’opposent au règlement de la question nationale.

Ceux qui ne veulent manifestement pas parler de la question nationale sont plutôt les dirigeants actuels des principaux partis fédéraux et provinciaux. Les fédéralistes se complaisent dans un pouvoir central fort qui n’a d’une confédération que le nom et les souverainistes mettent leur lampe sous le boisseau pour éviter d’effrayer ceux dont ils convoitent le vote. Dans l’exercice du pouvoir, ce statu quo fournit aux un et aux autres un alibi pour l’immobilisme confortable qu’ils affectionnent dans la gestion de leurs responsabilités. Qui ne fait rien ne risque rien.

Pour quoi se priver d’un terrain de jeu au potentiel immense ? Il est si facile de se renvoyer la balle entre le fédéral et le provincial quand les compétences sont approximatives, les moyens inégaux et les procédures administratives incompatibles. Pour les grands projets d’infrastructures, le développement de solutions environnementales ou le financement de centaines d’organismes, de mesures et de projets nécessaires dans tous les milieux du Québec, il est toujours deux fois plus difficile ici qu’ailleurs de faire avancer les dossiers.

Dans le débat public, le statu quo nous force à tenir compte d’une dualité superflue que la question nationale latente ajoute au spectre socio-économique « gauche / droite ». Cette dimension vient polariser, voire paralyser, le moindre débat qui souvent lui est complètement étranger.

Quelle nation démocratique accepterait longtemps de vivre ainsi entre deux chaises, de partager son allégeance entre deux capitales ? Quels citoyens, éduqués et informés comme nous le sommes, ne se révolteraient pas contre une situation qui leur impose deux fiscalités, deux réseaux de services publics dans plusieurs secteurs et deux systèmes de représentation démocratique ? Deux mondes parallèles entre lesquels il faut continuellement jongler pour atteindre quelque objectif que ce soit : fonder et gérer une entreprise, obtenir de l’aide à l’emploi, financer une activité communautaire, vivre en sécurité pendant que des criminels récidivistes se font échapper entre deux systèmes judiciaires qui ne se parlent pas, ou simplement lutter pour sa vie entre deux banques de dons d’organes qui se tournent le dos…

Quand pourrons-nous, comme toute démocratie mature à laquelle nous pouvons prétendre à juste titre, tenir des élections générales sur des enjeux sociaux, économiques, moraux et environnementaux, plutôt que sur cette question nationale stérile et simpliste qui infantilise notre citoyenneté ? Quand pourrons-nous répondre en moins d’une heure à la simple question « de quel pays venez-vous », lors de voyages à l’étranger ?

Qui n’a pas constaté avec découragement toute l’énergie et le temps qu’il a fallu perdre pour obtenir le règlement superficiel, temporaire et insuffisant qu’un récent budget fédéral a consenti face au déséquilibre fiscal, enjeu névralgique s’il en est un ? Comment ne pas en conclure que le statu quo ne fonctionne tout simplement pas, s’il ne permet pas d’empêcher une telle fuite de capitaux ? Et pourtant, personne n’a encore osé faire tomber ce gouvernement.

Régler cette question une fois pour toutes !

Considérant le caractère intenable du statu quo, dont l’évidence devrait être partagée par une grande majorité de Québécois, il semble qu’un consensus puisse au moins être fait autour de l’urgence de régler la question nationale, que ce soit pour réformer la fédération ou pour faire l’indépendance.

Exigeons que les leaders de ces deux options s’engagent à négocier ensemble le plus tôt possible les règles d’un processus unique devant aboutir à deux consultations populaires. La première portant sur le rejet ou non du statu quo et la seconde, conditionnelle à un premier Oui, donnant le choix entre les deux options définies et défendues par les deux camps, mais qui devront toutes deux catégoriquement exclure le statu quo. Le tout suivi d’une période de négociation d’au plus un an pour mettre en œuvre l’option choisie.

Au terme de cet exercice, les Québécois devront avoir une seule citoyenneté, une seule fiscalité, un seul réseau d’organismes publics et parapublics, un seul député par comté, un seul chef d’État, détenteur du pouvoir exécutif et porte-parole international. Les différences entre les deux options étant strictement constitutionnelles, les deux camps devront choisir la solution qui leur semble la meilleure parmi toutes les configurations possibles, incluant notamment l’indépendance ou la souveraineté d’une part et une vraie confédération d’états autonomes ou un état unitaire de l’autre.

Ainsi, peu importe l’issue du scrutin référendaire, tout match de revanche sera exclu et un changement décisif se produira. Une nouvelle ère s’ouvrira et la page sera tournée sur l’ambiguïté, l’ambivalence, le malaise identitaire, le dédoublement des institutions et de la personnalité. Bref, le Grand Brouillard actuel fera place à une vraie nouvelle Révolution tranquille comme seul le peuple du Québec en a le secret, ce qui fait l’envie de toutes les nations de ce monde.