Sep 112013
 

Témiscouata-sur-le-Lac — Après le drame de Lac-Mégantic et plus récemment le déversement de pétrole dans la baie de Sept-Îles, l’inquiétude est croissante dans les régions qui pourraient être touchées par le projet d’oléoduc Énergie Est de TransCanada, devant transporter le pétrole lourd des sables bitumineux albertains à travers le Québec. Après l’annonce de ce projet, en août, trois rencontres publiques d’information ont été organisées par des citoyen-ne-s, qui ont invité Équiterre et l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA) à répondre aux questions de la population de l’Islet, de Mont-Carmel et de Témiscouata-sur-le-Lac. Le pétrole transporté, issu des sables bitumineux, sera-t-il plus dangereux que le pétrole conventionnel? — Second de quatre articles parus du 10 au 13 septembre.

La compagnie TransCanada, qui n’a pas répondu aux questions du journal Ensemble malgré un délai de plus de deux semaines, se fait rassurante sur le site web du projet Énergie Est: «Les oléoducs de l’Ouest du Canada transportent, en toute sécurité, du bitume dilué depuis plus de 30 ans et du pétrole brut classique depuis plus de 60 ans.» La conversion d’un gazoduc en oléoduc semble n’être qu’une formalité: «TransCanada a déjà converti des gazoducs avec succès et en toute sécurité. Le plus récent exemple est la conversion d’une canalisation principale d’un gazoduc en oléoduc pour le pipeline Keystone.»

Entre 12 et 65 déversements par année

Geneviève Aude Puskas, agente de recherche chez Équiterre, ajoute quelques nuances. «Dans la première année de mise en exploitation du projet Keystone, il y a eu douze déversements. Ça, c’est la première année. La compagnie Enbridge, par exemple, qui a un pipeline de 47 ans, a une moyenne de 65 déversements par année. La question n’est pas « Est-ce qu’il va y avoir un déversement? », mais c’est où, et quand, et comment va-t-on le contrôler.»

Le pétrole destiné au nouvel oléoduc, issu des sables bitumineux, est-il plus dangereux que le pétrole classique? «Actuellement, pour les projets qui sont sur la table, ce qui serait transporté, à ce qu’on entend, c’est du pétrole léger, donc qui serait déjà raffiné avant d’être mis dans le pipeline», assure Martine Ouellet, ministre des Ressources naturelles du Québec, rencontrée lors d’un événement partisan à Rivière-du-Loup.

Or, dans la section Pétrole 101 du site du projet Énergie Est de TransCanada, il est clairement indiqué que: «En fonction de la teneur en soufre, le pétrole brut peut prendre plusieurs formes allant du pétrole brut léger au pétrole brut lourd, et du pétrole brut non corrosif au pétrole brut acide. Énergie Est transportera une variété de types de brut, dont du pétrole brut classique, du bitume dilué et du pétrole brut synthétique.»

«Qu’est-ce que le bitume?», poursuit le site. «C’est une matière première que l’on trouve, entre autres, dans les sables bitumineux de l’Alberta qui doit être valorisée en une substance synthétique semblable au brut léger West Texas pour devenir un pétrole brut synthétique ou mélangée à des produits pétroliers légers comme l’essence pour devenir du bitume dilué. Sur le plan physique et chimique, on ne peut différencier le bitume d’autres pétroles bruts lourds.»

Diluant: 250000 barils par jour

Dans le cas de Northern Gateway, le projet d’oléoduc par lequel la société Enbridge souhaite exporter le pétrole albertain en traversant la Colombie Britannique, le bitume est mélangé à un diluant à raison de une partie pour trois. Un quart de la capacité de l’oléoduc doit donc être consacrée au transport d’un diluant (condensate), qui doit être séparé en raffinerie à destination et retourné ou produit à nouveau au point de départ (193000 barils par jour, selon le document explicatif d’Enbridge). Un oléoduc parallèle est donc prévu pour acheminer le diluant vers l’Alberta. Si ce même modèle est appliqué au projet Oléoduc Énergie Est, ce sont 250000 barils par jour de diluant qui devront être transportés avec le pétrole, et retournés en sens inverse vers l’Alberta.

«C’est quoi ces diluants-là, questionne Geneviève Aude Puskas? Vous allez retrouver du gaz naturel, mais aussi des produits chimiques comme du benzène et du toluène. Ce sont des substances très volatiles et qui sont considérées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme étant très cancérigènes. S’il y a un déversement, ces substances volatiles s’échappent dans l’air. Le pétrole très lourd coule au fond de l’eau et sera très difficile à ramasser.» Le document sur les diluants, disponible sur le site d’Enbridge Northern Gateway, conseille d’ailleurs aux riverains, «dans l’éventualité improbable d’une fuite, de s’éloigner et de se placer du côté du vent par rapport à la fuite, pour éviter une exposition prolongée aux émanations.» – notre traduction.

Dégâts: qui paiera la facture?

Dans l’éventualité d’un accident, les coûts engendrés dépassent parfois la capacité de payer des entreprises responsables. «À Lac-Mégantic, en plus des 47 morts, la facture du désastre a jusqu’à maintenant été intégralement payée par les contribuables québécois, dénonce Mme Puskas. La Montreal, Maine & Atlantic Railway Corporation (MMA) possède une assurance d’environ 25 millions $. Avec ses actifs, sa valeur monte à environ 100 millions $. Ce déversement risque de coûter environ 500 millions $, donc cinq fois plus. Jusqu’à maintenant, tous les frais ont été assumés par le gouvernement du Québec. C’est inquiétant, car il y a très peu de transparence sur les politiques d’assurances de ces compagnies. Il est difficile de savoir qui va payer en cas d’accident: les municipalités, le gouvernement ou les compagnies?» MMA s’est récemment placée sous la protection de la loi sur la faillite.

L’oléoduc ne vise pas à transporter le pétrole du Dakota qui a explosé à Lac-Mégantic, rappelle Steven Guilbault en soulignant que les compagnies ont tenté de se servir de ce drame pour positionner les oléoducs comme plus sécuritaires que les trains. «Le pipeline de TransCanada, il vise à permettre aux pétrolières qui font des sables bitumineux en Alberta d’augmenter leur production. Si on dit oui à ce projet-là, il n’y aura pas moins de trains autour de nous, il n’y aura pas moins de camions, pas moins de bateaux. Il va juste y avoir plus de pétrole: 1,1 million de barils de pétrole de plus par jour autour de nous.»

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Second de quatre articles parus du 10 au 13 septembre.