Oct 132009
 

« On peut pas toute avoir. »

Même le festivalier le mieux organisé, le plus préparé, le moins dormeur, le plus fêtard, le mieux véhiculé, ne pouvait espérer assister à tous les spectacles et à toutes les ambiances de cette treizième édition du Rendez-vous des Grandes Gueules. Il a fallu choisir.

On nous l’avait annoncé, un grand moment de ce bouquet de paroles était sans conteste le cabaret métallurgique des Hommes à scie, le samedi soir. On nous avait aussi préparé à un délice auditif, attendu le dimanche après-midi avec les Ceuzes-là. Dans les deux cas, le plaisir fut au rendez-vous, avec un certain vent de renouveau. Ambiances déconcertantes, groupes de conteurs, éléments multimédia. Le Rendez-vous s’épivarde et le conte se réinvente.

Michel Faubert parle de sa participation au Rendez-vous des Grandes Gueules:

Les Hommes à scie

Lorsque le traditionnel et patrimonial présentateur, Michel Leblond, quitte les planches, il laisse place à une ambiance inédite dans l’univers du conte québécois. Un homme de fer, implacable mine patibulaire, ouvre le bal d’un grincement lancinant. C’est Marc St-Pierre, métallurgiste et créateur des scies, interprète et accompagnateur technique sur scène. Présence grave et intense, il ne dira pas un mot. Une lumière découpée à la scie ronde fait apparaître les deux autres, ceux qui parleront. Simon Gauthier et Jean-Marc Massie nous transportent à bord de leurs paroles paraboliques, de l’invention du berce-eau à la naissance d’Isidore Beseau, en passant par l’homme au cerveau d’or et les rencontres croustillantes d’une carmélite et d’un curé-orignal.

Le texte a d'abord été publié dans L'Horizon, presse coopérative des Basques

Le texte a d'abord été publié dans L'Horizon, presse coopérative des Basques

Par la force de leur verbe, Simon Gauthier et Jean-Marc Massie nous font toucher à la naissance comme personne ne l’a vécue, ils nous servent les éléments, les sentiments et les événements avec une texture plus vraie que nature. Le tout au son des scies. Des scies percutées, des scies à archet, des scies distortionnées sur mesure, mais aussi des chaînes, des tambours, des cloches, de l’harmonica, des vocalises et des verres de cristal, qui fracassent par leur délicatesse cet univers heavy-metal.

Par moments, les projecteurs se retournent vers la salle et, tel un encanteur, Simon Gauthier extirpe des spectateurs complices les mots qui serviront de base à une improvisation de haute voltige présentée en deuxième partie par Jean-Marc Massie. Que feriez-vous de vasectomie, fripouille, érosion, révolution, accouchement et sanguinaire ? Jean-Marc Massie jongle avec ces thèmes et nous livre une création impromptue qui rend ce moment plus unique encore qu’il ne l’était déjà. Du fantastique et du poétique, il passe à la critique sociale et au message politique, avec un humour bien placé qui ravit l’auditoire.

Benoît Rolland, l’homme de l’ombre, technique en coulisse, soutient de ses effets sonores le discours des deux conteurs. La prestation se termine sur une improvisation hendrixienne à la scie électrique, qui laisse les spectateurs sur une impression durable que le conte n’est plus ce qu’il était. En fait, l’a-t-il jamais été ?

On ne peut que s’étonner que cette symphonie sidérurgique n’ait été présentée à la Forge.

Les Hommes à scie en entrevue exclusive:

Les Ceuzes-là

Une longue histoire à tiroirs, ramenée du Caucase et assaisonnée des sept péchés capitaux, personnages inquiétants venus des enfers, a tenu en haleine une salle comble pendant un temps suspendu. Le Diable, dans une vision managériale de l’apocalypse, avait soigneusement planifié sa fin du monde, sans tenir compte de Badanek et de son village. Cette contrée incorruptible aux mœurs surprenantes, où l’on balance les vieux du haut d’une falaise, résiste encore et toujours aux pires tentations. En sauvant le monde menacé, les habitants du village nous livrent une vibrante morale qui devrait inspirer notre société quant au sort qu’elle réserve aux aînés.

Le quatuor accompagne son épopée de chants polyphoniques parfaits, colorés d’accordéon, d’harmonica, de mandoline, de scie à archet, de guitare, sans oublier la cuillère, la turlute et la podorythmie traditionnelles. Quelques décrochages contrôlés, apartés bien dosés, commentaires sur la société, créent une belle complicité avec le public, qui en redemande. Avec une gestion délicate du croustillant, les  conteurs savent tenir l’expectative à sa juste mesure. Leur présence à couper au couteau nous fait entrer dans le conte avec eux, jusque dans les entrailles de la trame narrative. La performance et le rythme compensent leur inégalité par une riche diversité et un texte extrêmement bien construit.

Nadine Walsh et Michel Faubert

Pour les petites et grandes oreilles qui se lèvent tôt le dimanche matin, il ne fallait pas manquer Nadine Walsh. Nous l’avons croisée au café des conteurs peu avant son départ. Elle nous parle d’un spectacle qui a ravi tous les âges. Autre regret, de n’avoir pu assister au spectacle de clôture présenté par Michel Faubert. Chants, extraits multimédia avec écrans et accompagnement musical ont agrémenté la performance de ce vétéran du festival. Selon Audrey Coulombe St-Amand, qui y a assisté, « Michel Faubert a offert une expérience nouvelle en intégrant des aspects sensoriels habituellement absents de l’univers du conte ».

Maurice Vaney, président du Rendez-vous, Nadine Walsh, les Ceuzes-là et Michel Faubert, partagent leurs impressions au café des conteurs, puis François Lavallée présente son spectacle à la Forge:

Les Hommes à scie seront à Montréal, au Lion d’or le 21 octobre, le 25 octobre au Cabaret du Roy et le 30 octobre au musée des religions de Nicolet.